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» Elle y arriva le 22 février 1851, accompagnée de ma fille.

» Il n'était plus temps!

» Les bons et nobles offices du directeur, M. de Chabran, les soins incessants du médecin, le concours charitable de l'aumônier et de la soeur hospitalière, la salubrité du climat, la beauté du lieu, tout fut impuissant: la maladie s'aggravait toujours.

» Averti de l'imminence du danger, je me rendis en toute hâte à Paris. J'étais porteur d'une supplique pour le prince-président: j'en fis une autre que je signai. Je me plaçai sous le patronage d'un homme éminent dont je souffre de taire le nom, et, trois jours après, une lettre m'apprit que ma fille allait être libre.

» Ma joie devait être plus courte que ma reconnaissance. Arrivé en trente-six heures à Saint-Rémy, je pressai entre mes bras, non plus une femme, mais un squelette vivant que la mort venait disputer à la liberté.

» Le 1er juin 1852, l'infortunée posait son pied libre dans ma demeure. J'avais mes deux filles avec moi. Le 7 septembre, l'une mourait aux eaux d'Ussat, l'autre lui fermait les yeux.

» L'humble cimetière d'Ornolac a reçu les restes de la morte; une croix renversée couvrira sa tombe: qu'on ne me demande plus rien.»

Et, en effet, le noble vieillard se tait; il ne donne aucun détail sur la mort de sa seconde fille. Ce n'est donc pas à lui que nous nous adresserons pour en avoir, nous n'en avons pas le courage; c'est au prêtre qui a fermé les yeux de la mourante.

Au milieu des phrases de convention avec lesquelles un étranger parle toujours au coeur déchiré de la famille, on reconnaîtra les traces de cette influence étrange que Marie Capelle prenait sur tout ce qui l'entourait.

«Monsieur,

» Se suis chargé, d'une mission bien pénible au-près de vous. L'intéressante, l'excellente mademoiselle Adèle Collard vient encore une fois d'être frappée de la manière la plus cruelle dans ses affections les plus intimes; le bon Dieu vient d'exiger de son coeur le plus grand des sacrifices: sa chère et digne amie, la pauvre Marie Capelle, lui a été ravie comme par miracle. Je vous laisse à penser, monsieur, quel rude coup ç'a été pour un coeur si aimant, si parfait, vous qui avez eu tant de fois l'occasion d'apprécier, depuis longues années, sa sensibilité et son affectueux et incomparable dévouement pour sa bonne cousine! Si les sentiments de religion qui l'animent ne l'eussent soutenue, je crois qu'elle n'aurait pas résisté à la douleur que lui a causée le terrible événement que je suis forcé de vous annoncer.

» Madame Marie Capelle, que j'ai eu _l'honneur_ de voir souvent et qui avait, par ses vertus religieuses et ses autres qualités distinguées, captiva toutes mes sympathies, a rendu son âme à Dieu ce matin à neuf heures et demie. Elle a eu le bonheur de recevoir toutes les consolations que notre sainte religion puisse accorder. En ce moment suprême, _elle a été admirable de résignation, de foi, de piété et surtout de charité. Jamais, depuis dix-huit ans que j'exerce le saint ministère, je n'avais eu le bonheur d'être si profondément édifié. Jamais on n'a été témoin de plus beaux et de plus pieux sentiments._ Le bon Dieu a semblé vouloir la dédommager, à sa dernière heure, de tout ce qu'elle avait enduré de tourments et de souffrances pendant douze ans. Encore une fois, elle a été admirable aux approches de la mort.

» Soyez assez bon, monsieur et vénéré confrère, pour faire part de tout ceci à la bonne famille de cette pauvre mademoiselle Adèle. Je n'ai pas besoin de vous prier de prendre vos précautions pour ménager la sensibilité louable de ses dignes parents. Vous êtes trop sage et trop prudent pour ne pas savoir ce que vous avez à faire à cet égard.

» Veuillez bien rassurer cette excellente famille sur la position de mademoiselle Adèle. Nous tâcherons de contribuer tous de notre mieux à la lui rendre aussi facile que possible.

» Qu'on ne se mette pas surtout en peine sur la manière dont mademoiselle Adèle se rendra à Montpellier. Sans difficulté d'abord, elle se rendra à Toulouse, où elle ira descendre chez la cousine de madame Marie Capelle, et, de là, elle continuera sans peine son voyage pour se rendre au sein de sa famille.

» Sa santé est parfaite, et elle vous prie de faire agréer à sa famille l'expression de ses meilleurs sentiments.

» Pardon, monsieur, de mon importunité, et daignez recevoir l'hommage, etc.

» B…,

» Curé, aumônier des bains d'Ussat.»

» Ornolac, 7 septembre 1853.»

Maintenant, voici la lettre de la personne dans les bras de laquelle Marie Capelle a rendu le dernier soupir, la fidèle amie de la prisonnière, Adèle Collard ayant été forcée de la quitter deux heures avant sa mort.

Dès les premières lignes, vous reconnaîtrez, non plus le prêtre, consolateur par état, mais la femme consolatrice par nature:

«N'est-ce pas qu'en voyant le long retard que j'apporte à vous écrire [Footnote: La lettre est du 27 septembre, c'est-à-dire écrite vingt jours après l'événement.], vous ne vous êtes pas dit une seule fois qu'il pouvait y avoir de ma faute? Merci, chers amis. Si je vous connaissais moins, c'eût été pour moi une souffrance de plus. J'eus, mardi dernier, la visite de M. D… La sensation que sa vue me cause toujours, l'opération douloureuse qu'il m'a fait subir, tout cela a fait de moi une bien pauvre femme, et, tous ces derniers jours, j'en étais à perdre à chaque instant connaissance. On trouve pourtant de l'amélioration dans la maladie principale. Dans trois mois, dit-on, il n'y aura plus à cautériser. Si grande que soit ma confiance en M. D…, je vous avoue que j'ai peine à y croire.

» Mais parlons d'elle. Je l'écoutais avec mon coeur, et ce souvenir sera pour moi ineffaçable. C'était vous sa seule douleur. Pour vous seule, elle regrettait la vie. «C'est là qu'est le sacrifice,» disait-elle. «Pauvre Adèle, quand je songe qu'elle sera seule demain, sa vue me fait mal. Encore, encore un peu de vie, ô mon Dieu! pour que j'aille mourir au milieu des miens pour que je rende la pauvre Adèle à sa famille. Pour moi, je ne regrette pas la vie. Je serai si bien sous ma pierre! Comme on souffre pour vivre! comme on souffre peur mourir! Je ne murmure pas, ô mon Dieu! je vous bénis; mais je vous supplie, en m'envoyant le mal, envoyez-moi aussi le courage de le supporter.»

» Puis, comme les douleurs redoublaient:

«Mais c'est trop souffrir… c'est trop! Et pourtant, mon Dieu, vous savez bien que je n'ai rien fait. Oh!, mes ennemis, ils m'ont fait bien du mal; mais je leur pardonne, et demande à Dieu qu'il leur rende en bien toutes les douleurs qu'ils m'ont causées!»

» Puis c'était vous, Adèle, qu'elle appelait, qu'elle recommandait à tous. Puis c'était une prière, et toujours la résignation la plus grande.

» Ai-je bien tout recueilli? Je n'oserais en répondre; je souffrais tant de la voir souffrir! j'étais si malheureuse de mon impuissance à la soulager! Et puis je sentais si bien tout ce que je perdais; j'étais si fière de cette affection qu'elle me témoignait; je lui étais si reconnaissante de ce qu'elle avait su lire en moi ce qu'avec mon naturel timide je n'aurais jamais osé lui dire, à elle si supérieure.

» Que vous êtes bonne de m'avoir envoyé ce précieux souvenir! Vous m'écrirez quelquefois, n'est-ce pas? Nous parlerons d'elle. Vous me parlerez aussi beaucoup de vous, comme à l'amie la plus vraie.

» Je vous prie d'offrir à votre bonne famille mes sentiments les plus respectueux.

» Ma soeur et ma mère me chargent de vous dire combien vous leur êtes sympathique! C'est que je leur ai dit quel ange vous êtes.

» À bientôt, n'est-ce pas, ma bonne amie? Je vous embrasse de tout mon coeur.

» CLÉMENCE.

» Lundi 27.»

Un an après, c'est-à-dire le 20 septembre 1853, M. Collard recevait cette seconde lettre du brave curé d'Ussat.

Nous la citons entièrement; elle est caractéristique dans sa naïve bonté: