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Je lisais dernièrement, dans un petit volume dont les critiques n'ont point parlé, probablement à cause de sa haute valeur, de fort beaux vers, qu'il faut que je vous dise, chers lecteurs.

Ils sont intitulés: le Partage de la Terre.

Les voici:

Alors que le Seigneur, de sa droite féconde, Eut, dans les champs de l'air, laissé tomber le monde; Qu'il eut tracé du doigt, Comme fait le pilote à la barque qui passe, La route qu'il devait parcourir dans l'espace, Il dit: «Que l'homme soit!»

À sa voix s'agita la surface du globe; La terre secoua les plis verts de sa robe, Et le Seigneur alors vers lui vit accourir, Comme des ouvriers demandant leur salaire, De l'équateur en flamme et des glaces polaires, Ces atomes d'un jour, qui naissent pour mourir.

«Cette terre est à vous, dit le Maître suprême, Ainsi que fait un père à ses enfants qu'il aime; Les lots vous sont offerts. Chaque homme a droit égal au commun héritage; Allez! et faites-vous le fraternel partage De la terre et des mers.»

Alors, selon sa force ou bien son caractère, L'homme, petit ou grand, prit sa part de la terre: Le noble eut le donjon aux gothiques arceaux, Le laboureur le champ où la rivière coule, Le commerçant la route où le chariot roule, Le nautonnier la mer où glissent les vaisseaux.

Déjà, depuis longtemps, le prince avait le trône, Le pape la tiare et le roi la couronne; Et le pâtre craintif Sur les monts gazonneux les troupeaux qu'il fait paître; Quand, venant le dernier, le Seigneur vit paraître Un homme à l'oeil pensif.

D'un rêve sur son fronton voyait flotter l'ombre Il marchait lentement, triste sans être sombre; Parfois il s'arrêtait pour cueillir une fleur; Enfin, au pied du trône il releva la tête, Et dit, en souriant: «Moi, je suis le poète; N'avez-vous rien gardé pour votre fils, Seigneur?»

Dieu dit: «Tu viens trop tard!» Lui répondit: «Peut-être! -Non: tu vois qu'ici-bas toute chose a son maître, De son avoir jaloux; Mais où donc étais-tu, tête en rêves féconde, Quand on faisait sans toi le partage du monde? -J'étais à vos genoux!

» Mon regard admirait la splendeur infinie; Mon oreille écoutait la céleste harmonie; Pardonnez donc, mon père, à l'esprit contempteur Qui, perdu tout entier dans l'immense mystère, S'est laissé prendre, hélas! sa part de cette terre, Tandis qu'il adorait son divin Créateur.

– Et pourtant tout est pris, dit le Maître sublime, La côte et l'Océan, la vallée et la cime: Que veux-tu! c'est la loi. Mais, en échange, viens, en tout temps, à toute heures, Je te garde, mon fils, place dans ma demeure, Et mon ciel est à toi.»

Vous voyez que la part du poète est encore la meilleure.

Puis il a les ruines.

Revenons aux nôtres.

Ce sont de magnifiques ruines que celles de Pierrefonds,-les plus belles de France, peut-être, sans en excepter celles de Coucy.

Elles dominent un petit lac que j'ai connu étang, mais qui a fait son chemin comme celui d'Enghien, et qui s'est fait lac à la manière dont beaucoup de gens se font nobles. Elles couronnent un charmant village, plus charmant autrefois, quand ses maisons étaient couvertes de chaume, qu'il ne l'est aujourd'hui avec ses villas couvertes d'ardoises. Enfin, elles sont situées entre deux des plus belles forêts de France, c'est-à-dire entre la forêt de Compiègne et la forêt de Villers-Cotterets.

Le château dont elles sont les restes a été bâti par un de ces hommes qui, l'on ne sait trop pourquoi, laissent à la postérité un souvenir sympathique.

Louis d'Orléans, premier duc de Valois, le commença en 1390 et l'acheva en 1407.

Les Arabes disent: «La maison achevée, la mort y entre.» Aussi laissent-ils toujours quelque chose à faire à leurs maisons, d'où il résulte que, d'habitude, leurs maisons tombent en ruine sans avoir été achevées.

Le château de Louis d'Orléans achevé, les Bourguignons voulurent y entrer. C'était à peu près la même chose que la mort. Mais aux Bourguignons on pouvait résister, quoique ce fût difficile; et Bosquiaux, capitaine orléaniste, défendit bravement Pierrefonds.

C'était au plus fort des guerres entre le duc d'Orléans et Jean, surnommé par ses flatteurs Jean Sans-Peur. C'était Jean Sans-Foi qu'il eût fallu l'appeler.

Singulière époque que cette époque. Le roi était fou, le royaume était fou.

Lequel avait donné sa folie à l'autre? On ne sait.

Les familles des vieux barons croisés étaient éteintes, ou à peu près. On cherchait, sans les pouvoir trouver, les grands fiefs souverains des ducs de Normandie, des rois d'Angleterre, des comtes d'Anjou, des rois de Jérusalem, des comtes de Toulouse et de Poitiers. À la place de cette puissante moisson fauchée par la mort, avait surgi une noblesse douteuse, aux écussons surchargés d'armes parlantes ou d'animaux monstrueux, et entourés de devises qui rendaient plus contestable encore la noblesse qu'elles étaient chargées de soutenir.

Puis les costumes, comme les blasons, étaient devenus étranges, inouïs, fantastiques.

Il y avait les hommes-femmes, gracieusement attifés, traînant des robes de douze aunes.

Il y avait les hommes-bêtes, aux justaucorps brodés de toutes sortes d'animaux.

Il y avait les hommes-musique, qui pouvaient servir de pupitre aux ménestrels et aux troubadours.

Il y a, au catalogue imprimé de la collection de M. de Courcelles, une ordonnance de Charles d'Orléans, le fils de celui dont nous nous occupons, qui autorise à payer une somme de deux cent soixante-seize livres sept sous six deniers tournois pour neuf cents perles destinées à orner une robe.

Voulez-vous savoir ce que c'était que cette robe, chers lecteurs?

Le voici:

«Sur les manches est escript de broderies tout au long le dict de la chanson _Madame, je suis plus joyeux_, et notté tout au long sur chacune desdites deux manches, cinq cent soixante-cinq perles, pour servir à former les nottes de ladite chanson, où il y a cent quarante-deux nottes. C'est assavoir, pour chaque notte, quatre perles en quarré.»

Mais ceci n'était rien, et, quoique les prêtres prêchassent contre ces modes insolites, leurs anathèmes étaient réservés surtout à ceux et à celles qui mettaient pour leurs toilettes le diable à contribution.

Il y avait des cornes partout.

Les femmes, grâce à leurs hennins, les portaient sur la tête; les hommes, grâce à leurs poulaines, les portaient aux pieds.

La crinoline, que nos modernes coquettes portent à leurs jupons, les femmes du XIVe siècle la portaient à leur bonnet.

«Les dames et demoiselles, dit Juvénal des Ursins, menaient grands et excessifs états et cornes merveilleuses, haultes et larges, et avaient de chaque côté, au lieu de bourrées, deux grandes oreilles si larges, que, quand elles voulaient passer l'huis d'une porte, il fallait qu'elles se tournassent de côté et baissassent.»

Or, au nombre des plus élégants cavaliers faisant la cour à toutes ces belles dames, grasses, décolletées et cornues, étaient le jeune roi Charles VI et son frère, plus jeune encore, le duc Louis d'Orléans.

Le premier, le roi, venait d'épouser son impudique Bavaroise Isabeau; le second, Louis, venait d'épouser sa douce et fidèle Valentine de Milan.

Elle lui avait apporté en dot Asti, avec quatre cent cinquante mille florins.

L'autre avait apporté à son époux l'adultère, la guerre civile, la folie.

Le pauvre jeune roi était pourtant bien gai, bien heureux, bien courtois, ne demandant qu'à rire et à s'amuser.

Après son mariage, il avait fait son tour de France, et, gai compagnon du trône qu'il était, sa royale chevauchée. Il partait de Paris, où l'on venait de célébrer l'entrée de la reine, entrée depuis quatre ans; mais, pour ce coeur joyeux, pour cet esprit couleur de rosé, tout était matière à fête. Le vin et le lait avaient coulé dans Paris par la bouche de toutes les fontaines; aux carrefours, les frères de la Passion avaient joué de pieux mystères; à la rue Saint-Denis, deux anges avaient posé une couronne sur la tête de la reine; au pont Notre-Dame, un homme était descendu par une corde tendue aux tours de la cathédrale, avec deux flambeaux à la main; et, pour mieux voir, pour mieux entendre, pour mieux être partout, le roi et son frère Louis d'Orléans s'étaient mêlés à la foule des bourgeois, et, trop pressés d'être au premier rang, avaient reçu des sergents maints bons horions dont ils montrèrent le soir les marques aux dames de la cour.