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Paris s'était fort réjoui de cette entrée de la reine. On lui avait promis une diminution d'impôts: tout au contraire, il fallait payer la fête; ce fut Paris qui la paya; en outre, on décria les pièces de douze et de quatre deniers, avec défense de les passer sous peine de la corde. Or, s'était la monnaie du peuple, le seul argent du pauvre, de sorte que le pauvre, c'est-à-dire le peuple, ne sachant plus comment ni avec quoi acheter du pain, puisque sa monnaie n'avait plus court, cria famine, dans ces mêmes rues où les fontaines faisaient jaillir la veille du vin et du lait.

Le prétexte de ce voyage à travers la France, ce fut d'aller à Avignon s'entendre avec le pape sur les moyens d'éteindre le schisme.

Le véritable motif, c'était le plaisir.

Or, pour que le plaisir fût complet, le roi Charles VI ne prit ni ses deux oncles, deux illustres voleurs, les ducs d'Anjou et de Berry, ni la reine, qui trouva moyen de se faire, dans un autre genre, une illustration non noins grande que ses deux oncles.

D'abord, on s'arrêta à Nevers, où l'on fut reçu par le duc de Bourgogne,-pas le duc Jean, mais son père, avec lequel on était en paix.

Puis on gagna Lyon, la ville demi-italienne; on y passa quatre jours en jeux, bals et galanteries.

Enfin, on arriva à Avignon, chez le pape. Avignon était devenue une seconde Rome, aussi dissolue que la première, où Giotto peignait, où Pétrarque chantait, où Vaucluse murmurait. On était à la source des indulgences, comment n'eût-on pas péché? Pas une jeune et jolie Avignonaise qui ne se souvînt de ce passage, dit Froissard.

Le schisme ne fut pas éteint du tout; mais le pape donna au duc d'Anjou le titre de roi de Naples, et, au roi Charles, la disposition de sept cent cinquante bénéfices.

On passa en Languedoc.

Là commencèrent de s'éteindre les bruits joyeux des instruments, et les cris, les plaintes, les murmures, les remplacèrent et les couvrirent.-Le pauvre Languedoc était non-seulement ruiné, pressuré, mangé, mais encore dépeuplé par le duc de Berry, son gouverneur. Quarante mille habitants avaient émigré dans l'Aragon. Avide et prodigue, il prenait aux uns pour donner aux autres. Son bouffon, d'une seule fois, avait touché deux cent mille livres. Puis il aimait les châteaux aux tourelles anciennes, et faisait creuser ces dentelles de pierre que les églises du XIVe et du XVe siècle jetaient comme un mantelet sur leurs épaules. Il aimait les précieux manuscrits, les brillantes enluminures, les miniatures à fond d'or, et il jetait l'or aux architectes et aux artistes. Cet or, il fallait le prendre quelque part, et le bon gouverneur du Languedoc le prenait où il le trouvait. Enfin, il venait d'avoir une dernière fantaisie, non moins coûteuse et bien autrement folle que les autres: à soixante-six ans, il avait épousé une enfant de douze, la nièce du comte de Foix.

Il fallait une justice à ce pauvre peuple. Le roi, tandis qu'il était retenu pendant douze jours à Montpellier «par les vives et frisques demoiselles du pays, auxquelles il donnait, dit Froissard, annelets et fermaillets d'or,» ordonna d'arrêter et de faire le procès de Bétisac. Bétisac était lieutenant du duc de Berry; il fut reconnu coupable et condamné à être brûlé vif. Le roi quitta son harem de Montpellier pour l'aller voir brûler vif à Toulouse.

Le duc de Berry, le véritable dilapidateur, sentit-il la chaleur du bûcher? J'en doute.

Pendant qu'il était en train, le bon roi Charles, qui venait de _faire justice, fit faveur_: il accorda aux abbayes de filles de joie que leurs pensionnaires ne portassent plus de costume, sauf une jarretière d'autre couleur que leur robe, au bras.

Comment n'eût-on pas adoré un pareil roi, qui brûlait les voleurs et qui habillait les filles de joie comme les honnêtes femmes?

Il était si las de fêtes, qu'il évita celles qu'on lui préparait à son retour. Sa rentrée fut tout simplement un steeple-chase. Il gagea avec son frère que, partant au galop en même temps que lui, il arriverait avant lui. C'est le roi qui gagna.

Pauvre roi, ce fut sa dernière chance au jeu. À vingt-deux ans, il avait tout usé; à vingt-deux ans, la tête était morte et le coeur vide.

À vingt-trois ans, il était fou.

Ses deux oncles prirent le royaume. Louis, qu'il venait de faire duc d'Orléans, prit sa femme.

Il est vrai que la prenait à peu près qui voulait.

Par malheur, le beau jeune prince ne se contenta point de la femme de son frère Charles le fou. Il prit encore celle de sou cousin Jean de Bourgogne.

L'anecdote est-elle vraie? On dit qu'un soir que Jean de Bourgogne et Louis d'Orléans avaient soupé ensemble, il passa une singulière idée dans l'esprit fantasque du jeune prince.

C'était de faire voir au mari trompé le corps de sa femme, moins la tête. Ce corps était charmant, et Jean de Bourgogne envia fort le bonheur du duc d'Orléans.

Eugène Delacroix a fait un charmant petit tableau de ce fait, qui n'a jamais acquis une valeur historique, et auquel on attribua cependant la mort du duc d'Orléans.

Nous croyons que les causes d'antagonisme politique étaient suffisantes entre les deux princes, sans qu'on y mêlât une jalousie amoureuse.

En somme, les deux cousins étaient fort brouillés, lorsque le vieux duc de Berry, croyant faire merveille, décida le duc de Bourgogne à faire une visite à Louis d'Orléans.

Celui-ci était malade à son château de Beauté, charmant séjour, comme l'indique son nom, perdu dans les replis de la Marne, belle et dangereuse rivière, sur les bords de laquelle Frédégonde eut un palais, et du sein de laquelle un pêcheur, raconte Grégoire de Tours, retira le corps du jeune fils de Chilpéric, noyé par sa marâtre.

C'était à la fin de l'automne, les feuilles tombaient.

C'est l'époque des sombres pressentiments; Louis avait été visité de l'esprit de Dieu; depuis quelque temps, il pensait beaucoup à la mort.

Il avait de sa main, et fort chrétiennement, fait un testament où il recommandait ses enfants à son ennemi le duc de Bourgogne. Il y demandait d'être porté à son tombeau sur une claie couverte de cendres.

Il avait eu non-seulement des pressentiments, mais encore une vision.

Une nuit que, logé au couvent des Célestins, il allait à matines, il rencontra la Mort en traversant un dortoir; l'ange sombre tenait une faux à la main, et, avec cette faux, elle lui fit lire sur la muraille cette inscription latine: Juvenes ac senes rapio.

Il fut dans ces circonstances que le duc de Befry eut l'idée de réconcilier ses deux neveux.

Au commencement de novembre, il conduisit, comme nous venons de le dire, le duc de Bourgogne au château de Beauté, où Louis le reçut courtoisement; puis il les fit communier le 20 et les invita à diner pour le 22.

Le 20, ils avaient partagé l'hostie; le 22, ils partagèrent le repas.

Depuis le 17, le duc de Bourgogne avait tout préparé pour l'assassinat du duc d'Orléans.

Je ne sais, chers lecteurs, si ce que j'ai vu il y a deux ou trois ans existe encore aujourd'hui, au milieu des bouleversements dont Paris est le théâtre.

Ce que j'ai vu, c'était une petite tourelle qui s'élevait au coin de la vieille rue du Temple et de la rue des Francs-Bourgeois.

Cette petite tourelle, légère, élégante, gracieuse, et qui contrastait fort avec la lourde maison à laquelle elle était accrochée, cette petite tourelle, noire et lézardée aujourd'hui, était blanche et neuve lorsqu'elle vit s'accomplir l'événement que nous allons raconter.