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Après avoir passé quelques jours à Compiègne, chez mon ami Vuillemot, le meilleur cuisinier du département, dans la collaboration duquel je compte faire, un jour, le meilleur et le plus savant livre de cuisine qui ait jamais été fait, j'étais venu finir je ne sais plus quel roman ou quel drame au _grand hôtel de Pierrefonds_, où je ne pensais pas le moins du monde à un feu d'artifice, je vous jure.

Un matin, deux jeunes gens se présentent chez moi avec une liste de souscription.

Il s'agissait d'illuminer les ruines avec des feux du Bengale, le soir du dimanche suivant.

Je donnai mon louis pour la contribution à l'oeuvre pittoresque.

Ils me remercièrent et descendirent l'escalier. Ils n'étaient pas encore au premier étage, qu'il m'était venu une idée. Je les rappelai.

– Messieurs, leur demandai-je, sans indiscrétion, où allez-vous acheter vos artifices?

– À Paris.

– Chez qui?

– Chez Ruggieri.

– Attendez.

J'écrivis une lettre.

– Tenez, leur dis-je, remettez cette lettre à mon ami Désiré.

– Qu'est-ce que votre ami Désiré?

– Ruggieri en personne. Non-seulement je contribue au feu d'artifice, mais encore je fournis l'artificier.

Les deux jeunes gens restèrent stupéfaits.

– Comment! me demandèrent-ils, vous croyez que M. Ruggieri se dérangera?

– J'en suis sûr.

– Pour nous?

– Pour vous un peu, beaucoup pour moi.

Ils se retirèrent en hochant la tête.

Et, moi, je me remis à mon travail en murmurant:

– Je crois bien qu'il se dérangera! il se dérangeait bien, ce cher ami, pour venir me faire des feux d'artifice à Bruxelles, et m'illuminer le bouleard de Waterloo et la forêt de Boitsfort, Je crois bien qu'il se dérangera!

Tout à coup, je me mis à rire tout seul. Cela m'arrive quelquefois, plus souvent même que lorsque je suis en compagnie.

Je me rappelais comment, dans la forêt de Boitsfort, non-seulement l'artifice, mais encore l'artificier avaient pris feu, et combien peu il s'en était fallu que Buggieri ne s'évanouît en flamme et en fumée comme sa marchandise.

Vous comprenez bien, chers lecteurs, que le bruit s'était rapidement répandu que M. Alexandre Dumas avait écrit à M. Ruggieri, et que M. Ruggieri devait venir.

Il se manifestait dans tous les environs un mouvement inaccoutumé.

Des paris s'étaient ouverts:

Ruggieri viendra-t-il?

Ruggieri ne viendra-t-il pas?

On accourut me demander:

– Est-il bien vrai que M. Ruggieri viendra?

– Pourquoi cela?

– Parce que j'écrirais à num cousin à Attichy, à mon frère à Villers-Cotterets, à mon oncle à Vic-sur-Aisne.

– Écrivez à votre oncle à Vic-sur-Aisne, à votre frère à Villers-Cotterets, à votre cousin à Attichy.

– Et il viendra, nous pouvons y croire?

– Aussi certainement que s'il était arrivé.

Et chacun partait en criant:

– J'écris qu'il viendra.

Mais, me direz-vous, chers lecteurs, comment pouviez-vous répondre avec une pareille certitude?

Est-ce que je ne connais pas mon artiste? Vous croyez que Ruggieri fait des feux d'artifice parce qu'il est artificier?

C'est tout le contraire.

Il est artificier parce qu'il fait des feux d'artifice.

Ce n'est pas un état qu'il fait, c'est un plaisir qu'il se donne.

Les ruines de Pierrefonds à illuminer, et Ruggieri ne viendrait pas!

Allons donc! vous ne connaissez pas Ruggieri.

Le dimanche, à midi précis, on frappa à ma porte.

– Entrez, Ruggieri! criai-je.

Et Ruggieri entra.

Il y a entre nous autres une franc-maçonnerie d'art qui fait que nous pouvons répondre les uns des autres.

Une heure après, on savait, à trois lieues à la ronde, que Ruggieri était arrivé, qu'il y aurait feu d'artifice sur la pelouse et illumination des ruines.

À sept heures du soir, dix mille personnes attendaient au bord du lac.

À huit heures et demie, le canon du brick donna le signal.

C'était une véritable nuit de feu d'artifice, noire, sombre, sans étoiles, à ne pas voir le bout de son nez.

Bientôt, à bord d'une barque invisible jusque-là, un feu rouge s'alluma.

La barque glissa sur le lac, éclairant ses rameurs, en se reflétant dans l'eau.

Les premiers cris de joie commencèrent.

Ce premier feu éteint, une autre barque lui succéda à un autre endroit avec un feu vert.

Puis une troisième avec un feu blanc.

Puis ce troisième feu s'éteignit comme les deux autres, et, cette fois, tout rentra dans l'obscurité.

Tout à coup, les dix mille spectateurs poussèrent un grand cri.

Les ruines comme un spectre gigantesque, semblaient sortir de la montagne et se dresser dans la nuit.

La pâle apparition dura dix minutes.

Après le premier cri poussé, chacun s'était tu.

L'apparition évanouie, les bravos éclatèrent.

Trois fois le fantastique mirage se renouvela, et, chaque fois, avec une teinte différente.

Pour mon compte, je n'ai rien vu de plus merveilleux.

Songez-y donc: un lac, des ruines et Ruggieri!

Le feu d'artifice tiré, la dernière fusée éteinte, la dernière boite à feu brûlée, on fit irruption dans le parc de M. de Flubé.

C'était à qui remercierait le grand artiste auquel on devait cette magnifique soirée.

Je le trouvai soucieux au milieu de son triomphe.

– Qu'avez-vous donc? lui demandai-je.

– Je ne connais pas bien les ruines, de sorte que je n'en ai pas tiré tout le parti possible, répondit Ruggieri. Mais, ajouta-t-il, je reviendrai.

S'il revient et que je sois encore à Pierrefonds, chers lecteurs, je vous promets de vous en faire part à temps, pour que vous puissiez venir.

LE LOTUS BLANC ET LA ROSE MOUSSEUSE

Dans un de ses spirituels feuilletons du _Siècle_, Alphonse Karr écrivait, il y a quelque temps, ce qui suit, à propos d'une fleur dont j'avais orné la serre de Régina de Lamotte-Houdan, l'héroïne des _Mohicans de Paris:_

» J'étais bien surpris qu'Alexandre Dumas, le brillant auteur de tant de volumes, ne m'eût jusqu'ici fourni que deux fleurs pour mon jardin des romancier.

» Mon jardin des romanciers est un jardin que j'ai composé des arbres et des fleurs que les écrivains contemporains, trop à l'étroit dans le monde réel, ont placés dans leurs livres.

» Ce jardin doit à madame Sand un chrysanthème à fleurs bleues;

» À Victor Hugo, un rosier de Bengale sans épines;

» À Balzac, l'azaléa grimpante;

» À Jules Janin, l'oeillet bleu;

» À madame de Genlis, la rose verte;

» À Eugène Sue, une variété de cactus qui fleurit en plein air sous le climat de Paris;

» À M. Paul Féval, une variété de mélèzes qui gardent leurs feuilles pendant l'hiver;

» À M. Forgues, une jolie petite clématite rose qui grimpe et fleurit sur les fenêtres du quartier Latin;

» À M. Rolle, un camellia à odeur enivrante;

» À Dumas, déjà nommé, une certaine tulipe noire qui, venue de graine, fleurit l'année même du semis, et qui, de ses caïeux, produit des fleurs qui ne lui ressemblent pas. De plus, un tournesol qui s'ouvre le matin et, conséquemment, se ferme le soir.

» Dumas vient d'enrichir le jardin d'un lotus blanc comme la neige, à pétales transparentes (lui ont fait dire les imprimeurs.)

» Ah! mon cher Dumas, c'est sans contredit une de tes plus belles créations.

» Recevons donc solennellement ton lotus blanc à pétales transparents dans le jardin des romanciers.

» L'ancien lotus, représenté dans les monuments égyptiens sur la tête d'Osiris, était rose ou bleu, suivant Athénée.

» Les Chinois représentent le lotus avec des fleurs pourpres sur leurs papiers de tapisserie, dont les fleurs, qui ont passé longtemps pour des rêves, ont fini par venir dans nos climats.

» M. Savigny, qui a fait l'expédition d'Égypte, et le savant maître M. Porret, le déclarent rose. Théophraste est du même avis, ainsi que Barthélémy. L'empereur Adrien ayant tué un lion à la chasse, un poète essaya de lui faire croire qu'un lotus rose qu'il lui présenta devait son coloris au sang de ce lion.