– Mes deux anciens valent-ils ton ancien? Mes trois savants, dont un vivant, valent-ils ton savant vivant?
À M. Lemaout, p. 319, j'oppose M. Lemaout, p. 322;-il y a équilibre.
L'équilibre est plus difficile à établir entre A. Dumas et A. Karr.
Mais je vais diminuer deux de tes champions et m'augmenter de ce que je leur ôterai.
D'abord, Hérodote, malgré une véracité reconnue, commet une erreur dans le passage que tu cites de lui; il affirme que le lotus descend sous l'eau au coucher du soleil.-C'est une chose que l'on dit généralement de tous les nymphaeas;-mais il y a vingt ans que je les regarde, et j'affirme qu'ils ne redescendent sous l'eau que lorsqu'ils ont perdu leur fraîcheur, et vont s'occuper de mûrir leurs graines; un soir, en effet, le nymphaea, qui comme le dit Hérodote, renferme chaque soir sa corolle, redescend sous l'eau, c'est vrai, mais il ne remonte pas le lendemain.-La fleur pense, comme la marquise de Lambert, qu'il faut quitter les salons quand on ne peut plus les orner; elle va, loin des yeux, s'occuper dans la retraite de sa future famille.
Or, un témoin qui commet une erreur sur un point connu, rend très-suspect son témoignage sur un point en litige.
D'autre part, je t'ai compté comme nul le témoignage de M. Lamaout; mais il ne t'appuie qu'à moitié; son lotus de la page 319 est blanc et rose;-il ne ressemble donc pas «aux neiges de l'Himalaya,» -mais à une glace de chez Tortoni,-crème et framboise.
Et je ne parle pas des Chinois, qui sont de mon avis;-les Chinois, ce grand peuple de faïence qui est en train de se casser.
Elle est belle, ta preuve!
Supposons cependant que tu aies prouvé que le lotus «est blanc comme la neige de l'Himalaya.»
Tu resterais encore avoir inventé lotus à pétales transparents,-car tous les autres ont la feuille épaisse et mate:-ça serait déjà bien gentil!
Remarque que, plus généreux que toi, je ne te reproche pas d'avoir dit pétales transparen_tes_; toi qui me tances si rudement pour une rose mousseuse, que dirais-tu, si je répondais: «Mousseuse? Faute d'impression comme transparentes.»
Mais non, j'ai écrit mousseuse, et je vais me défendre sur ce point, maintenant que je t'ai un peu replanté dans mon jardin,-me réservant de t'y planter définitivement tout à l'heure.
Et, d'abord, je n'ai pas inventé la rose mousseuse;
– Mille, jardinier anglais, a inventé la _rosa muscosa_; mais madame de Genlis, qui l'a apportée en France, à cause de quoi il lui sera beaucoup pardonné, la produisit sous le nom de rosé mousseuse,-voir dans ses Mémoires;-lis-les, pendant que je relirai les tiens, je serai vengé.
À cheval donné, on ne regarde pas à la bride; on ne chicana pas madame de Genlis sur le nom qu'elle donnait à cette belle fleur, et ce nom fut accepté; pas plus qu'on ne la chicana sur le nom de Paméla,-qu'elle a bien donné à cette belle lady Fitz-Gérald, qu'elle avait également rapportée d'Angleterre, en même temps que la rose… moussue.
Tu partages l'opinion des Arabes, qui poussent si loin l'hospitalité et la générosité, qu'ils disent qu'on peut voler pour donner. Tu dépouilles cette pauvre vieille pour orner ton ami.
Je suis bien de ton avis, moussue serait mieux que mousseuse,-mousseuse est une faute de français; aussi, désormais, je dirai rose moussue; c'est par lâcheté que je prononçais mousseuse. Je me disais: «Il faut hurler avec les loups.» Ces jardiniers, et quels jardiniers!-tu vas le voir tout à l'heure,-disent rose mousseuse.
Tu me rirais au nez si je te disais: le dictionnaire de l'Académie accepte rose mousseuse, en protestant, il est vrai, mais il l'accepte;-mais écoute un peu si ceux qui disent rose mousseuse ont le droit d'avoir voix au chapitre.
M. Hardy, qui a créé trois roses au moins, la _rose Hardy, le triomphe du Luxembourg, et madame Hardy_,-la plus belle des roses blanches,- dit rose mousseuse.
De même que:
M. Vibert, auquel on doit _Cristata, Adèle Mauzé, Jacques Laffitte_;
M. Laffay,-le père du prince Albert, de la duchesse de Sutherland, de la rose de la Reine et de la _rose Louis-Bonaparte_, qui, née en 1842, était alors dédiée au roi de Hollande;
M. Portmer, qui a obtenu de semis la rose duchesse de Galliera, et une autre qui me fait l'honneur de porter mon nom,-de même qu'une rose née chez M. Van Hout, de Gand, qui a mis au jour, en outre, la _marbrée d'Enghien_ et Narcisse de Salvandy, le plus beau des Provins.
M. Van Hout met sur ses catalogues: rose mousseuse;
Comme M. Oudin, de Lisieux, qui a vu naître dans son jardin la belle rose _génie de Chateaubriand_;
Comme feu Després, auquel on doit la _noisette Després_ et la _baronne Prévost_;
Comme M. Guillot, qui a produit récemment le _géant des batailles_;
Comme M. Beluze, qui, près de Lyon, a gagné de semis la splendîde rose souvenir de la Malmaison.
Remarquons en passant que la rose est un peu bonapartiste, par mauvaise humeur, sans doute, contre le lis, que l'on a cru longtemps être son rival et son compétiteur dans «l'empire de Flore.»-Ce n'est ni toi ni moi.
Et Margotin, et Levêque, et Souchet, et Verdier, ces autres maîtres des roses, ils disent rose mousseuse.
Et Bixio, donc, ton ami Bixio, dit rose mousseuse dans sa Maison rustique.
Ce seraient de terribles autorités contre nous deux.
Bah! nous acceptons d'autres fautes,-Veux-tu que nous acceptions celle-là?
_Orgue_:-masculin au singulier, féminin au pluriel; ce qui amène la phrase: un des plus belles orgues.
_Hymne_:-masculin dans les livres, et féminin dans les livres de messe.-Boileau dit: _un hymne vain_;-et l'Académie: _après que l'hymne fut chantée_.
Pendant vingt ans, en Normandie, j'ai appelé fossé la berge du fossé, ou plutôt la terre sortie du fossé, c'est-à-dire ce qui en est le contraire, sous peine de ne pas être entendu.
Si, à Gênes et à Nice, on appelait l'héliotrope autrement que vanille, on ne saurait pas ce que vous voulez dire, et pourtant l'héliotrope n'est pas la vanille.
Héliotrope me rappelle tournesol;-c'est le même mot.-Et, tant pis pour toi, nous allons en reparler tout à l'heure.
Revenons un peu au «lotus à pétales transparents, blanc comme les neiges de l'Himalaya.»
Je suppose, malgré l'avantage remporté par mes champions, qu'un des lotus est blanc.
Eh bien, tu n'aurais pas eu le droit encore de dire: blanc comme le lotus.
Car il y a, tu ne le nies pas, des lotus roses, des lotus bleus et des lotus blancs,-prétends-tu.
J'ajouterai qu'il ressort de notre débat que, si le lotus blanc existe, c'est le plus rare et le moins connu des trois.
Prendrais-tu la rose pour type du jaune?
Dirais-tu: jaune comme une rose?
Cependant il y a des roses jaunes, _chromatella, persian-yellow, noisette Després, ophyrée, solfatare, la pimprenelle jaune_, etc.
Parce qu'il n'est pas logique de prendre une exception pour type.
Je suis bien bon de te retenir dans mon jardin par les longs blizomes, par les racines de ton «lotus à pétales blancs et transparents.»
Mais, malheureux, tu y es planté irrévocablement depuis quatre ans, par ta fameuse «tulipe noire;» tu y végètes par ton «tournesol qui s'ouvre le matin et se ferme à la fin du jour.»
Notons que tu n'as pas répondu sur ces deux points.
Ah! tu veux t'en arracher, t'en sarcler comme une mauvaise herbe en m'y plantant moi-même.
Tu ne peux pas plus t'en déraciner que les soeurs de Phaéton ne purent se déraciner de leurs peupliers, Syrinx de ces roseaux, et Daphné de son laurier.
Tu resteras dans mon jardin des romanciers, et tu en feras malgré toi le plus bel ornement.
Je te serre bien cordialement les deux mains.
Alphonse KARR.