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Un homme est assis dans le fauteuil. Il est immobile. Sa tête est contre le fauteuil, ses veux sont fermés et sa main appuie sur l’arrière de la boite.

C’est Rodolphe de Gortz.

«Je veux l'entendre une dernière fois», a dit le baron à Orfanik. Mais où est la Stilla ? Franz ne la voit pas et ne l’entend pas. Va-t-il se jeter sur Rodolphe et le frapper avec son couteau ? Franz avance vers le fauteuil. Un pas encore et il pourra attraper le baron. Il lève la main et…

Soudain, la Stilla apparait. Franz laisse tomber son couteau sur le tapis.

La Stilla est debout sur l'estrade, en pleine lumière. Ses cheveux sont défaits et elle tend les bras. Elle est dans le costume de l’Angélica d'Orlando, comme lors de son apparition sur le bastion. Ses yeux regardent le jeune comte. Elle doit le voir et, pourtant, elle ne l'appelle pas, elle ne lui parle pas. Hélas ! Elle est folle. Franz veut la saisir et l'entraîner dehors. Mais elle se met à chanter.

Le baron de Gortz se penche vers elle. Il respire sa voix comme un parfum, il boit sa voix comme une liqueur divine [100]. La Stilla chante pour lui tout seul dans ce donjon au-dessus de la campagne de Transylvanie.

Franz aussi est sous le charme. La Stilla est folle, mais elle est toujours une merveilleuse chanteuse. Il n’a pas entendu cette voix depuis cinq ans. Il la croyait morte, mais un miracle [101] la fait revivre devant ses yeux.

— Innamorata, mie cuore tremante, Voglio morires… [102]

Franz reconnaît l’air: la Stilla chante l’air de sa dernière représentation, le chant final d’Orlando. Mais, cette fois-ci, elle ne va pas s'arrêter, elle ne va pas mourir. Pourtant, la voix de la Stilla devient plus faible. Va-t-elle tomber comme au théâtre ? Non, elle ne tombe pas. Mais elle s'arrête à la même mesure et pousse un cri, le même cri qu’au théâtre de San Carlo à Naples.

Pourtant, elle est toujours là, debout, immobile, son regard vers Franz. Franz s’élance vers elle. Au même moment, le baron se lève de son fauteuil. Les deux hommes se retrouvent face à face.

— Franz de Télek! s’écrie le baron.

Mais Franz ne répond pas et se précipite vers l’estrade.

— Stilla, ma Stilla, tu es vivante !

— Vivante… la Stilla vivante ! s’écrie le baron dans un grand rire. Essaye de me l’enlever, Franz de Télek !

Rodolphe ramasse le couteau et se dirige vers la Stilla. La chanteuse est toujours immobile. Franz se précipite sur le baron, mais il est trop tard, le couteau frappe le cœur de la chanteuse. On entend alors un bruit de glace et la Stilla disparait dans mille éclats de verre.

Franz ne comprend plus. Est-il fou lui aussi ?

— La Stilla échappe encore à Franz de Télek, dit le baron. Mais sa voix est à moi… à moi seul.

Franz veut se jeter sur le baron, mais il n’a plus de force et il tombe évanoui devant l’estrade. Rodolphe de Gortz prend la boite sur la table et se précipite hors de la salle. Il descend au premier étage du donjon, traverse la terrasse et… un coup de feu retentit.

Rotzko vient de tirer sur le baron depuis l’extérieur du château. La balle ne touche pas le baron, mais détruit la boite. Le baron hurle :

— Sa voix ! Sa voix ! L'ame de la Stilla est brisée [103]… brisée !

Il court le long de la terrasse et répété :

— Sa voix, ils m'ont brisé sa voix !

Puis il disparait par la porte de la terrasse. Rotzko et Nic Deck décident alors d’escalader les murs du château sans attendre la police. A ce moment-là, une explosion fait trembler les montagnes. Des flammes gigantesques s’élèvent jusqu’aux nuages et une avalanche de pierres [104] tombe sur la route du Vulkan.

Il ne reste rien des bastions, du donjon et de la chapelle. Le château des Carpathes est une ruine.

Chapitre 9.

Tout s’explique, mais…

L’explosion du château des Carpathes est arrivée trop tôt par rapport au plan du baron Rodolphe de Gortz et d'Orfanik. Le baron n’a pas eu le temps de prendre le tunnel qui mène vers la route du col. Rodolphe était-il fou de désespoir [105] après la destruction de la boite ? A-t-il provoqué lui-méme l'explosion pour mourir sous les ruines du château ?

Les policiers étaient encore loin du château au moment de l’explosion. Seulement quelques-uns d'entre eux ont des blessures. Par contre, Rotzko et Nic Deck se trouvaient en bas des murs du château. Mais, par miracle, les pierres ne les ont pas écrasés.

Après l'explosion, Rotzko, Nic Deck et les policiers franchissent l’enceinte sans trop de difficulté. Ils trouvent un corps sous les pierres devant le donjon. C’est Rodolphe de Gortz. Franz de Télek est sans doute lui aussi sous les décombres. Rotzko n’espère pas le trouver en vie. Il pleure â grosses larmes et Nic Deck ne sait pas comment le calmer.

Cependant, après une demi-heure de recherches, ils retrouvent le jeune comte au premier étage du donjon. Ils le croient tout d'abord mort. Mais une partie du mur lui a sauvé la vie et il est simplement évanoui. Franz ouvre les yeux. Il ne reconnaît pas Rotzko et ne l’entend pas. Nic Deck le soulève et lui parle. Mais Franz ne lui répond pas. Seuls les derniers mots du chant de la Stilla sortent de sa bouche:

— Innamorata… Voglio morire…

Franz de Télek est fou.

Les quatre jours suivant l’explosion, Orfanik attend le baron de Gortz dans le village de Bistritz. Mais le baron ne vient pas. Que lui est-il arrivé ? Par curiosité, Orfanik retourne au château. Mais, quand il s’approche des ruines, des policiers le reconnaissent et l’arrêtent. Ils l’amènent dans la capitale de la région et des juges l’interrogent. Orfanik raconte toute l’histoire. Quand il apprend la mort du baron, Orfanik n’est pas ému. En réalité, seules ses inventions l’intéressent.

Orfanik explique aux juges que la Stilla est morte depuis cinq ans. Son corps se trouve bien dans la tombe du cimetière du Campo Santo Nuovo, a Naples.

Mais alors, pourquoi Franz de Télek a entendu sa voix dans l’auberge ? Qui était sur le bastion en costume blanc ? Comment Franz a entendu son chant dans la crypte ? Comment l’a-t-il vue vivante dans le donjon ?

Voici les explications qu Orfanik donne aux juges:

Quand la Stilla annonce la fin de sa carrière, le baron Rodolphe de Gortz est désespéré. Orfanik lui propose alors d'enregistrer les chants de la cantatrice. Il le fait grâce à des appareils phonographiques très perfectionnés [106]. Ses appareils gardent intacts [107] la pureté et le charme de la voix de la cantatrice.

Pendant le dernier mois des représentations, le savant installe ses appareils dans la loge du baron au théâtre. Il grave sur des plaques les airs d'opéra et les concerts de la cantatrice, dont bien sur l'air final d’Orlando. Ainsi, quand il s’enferme dans son château, le baron peut entendre chaque soir la voix de la Stilla.

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100

Divine : des dieux.

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101

Un miracle : un fait extraordinaire ou surnaturel.

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102

Innamorata, mie cuore tremante, Voglio morires… : Amoureuse, mon coeur tremble, je veux mourir.

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103

Brise : cissé.

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104

Une avalanche de pierres : de très nombreuses pierres qui roulent ensemble.

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105

Un désespoir : une perte de tout espoir, une très grinde tristesse.

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106

Perfectionnes : modernes.

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107

Intact: sans modification.