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— Bonjour, docteur, dit Angel.

— Salut ! dit Mangemanche. Ça biche ?

– Ça biche.

Le professeur salua l’archéologue et l’abbé.

— On peut vous aider ? demanda Angel.

— Non, dit le professeur. Ça va être fini tout de suite.

— Il est endormi ?

— Pensez-vous… dit Mangemanche. Pas pour une petite chose comme ça.

Il avait l’air inquiet et jetait des regards furtifs derrière lui.

— Je l’ai insensibilisé à coups de chaise sur la tête, dit-il. Mais vous n’avez pas rencontré un inspecteur de police, en venant ?

— Non, dit Athanagore. Il n’y a personne, professeur.

— Ils doivent venir m’arrêter, dit Mangemanche. J’ai dépassé mon nombre.

– Ça vous ennuie ? demanda l’abbé.

— Non, dit Mangemanche. Mais j’ai horreur des inspecteurs. Il faut que je coupe la main de cet imbécile et je m’en irai.

— C’est grave ? demanda Angel.

— Regardez vous-même.

Angel et l’abbé s’approchèrent de la table. Athanagore restait quelques pas en arrière. La main présentait un vilain aspect. Le professeur, pour son opération, l’avait étendue le long du corps de l’interne. La plaie béait, d’un vert vif, et une mousse abondante refluait sans cesse du centre vers les bords, maintenant complètement brûlés et déchiquetés. Une humeur liquide s’écoulait entre les doigts de l’interne et souillait le linge épais sur lequel reposait son corps agité d’un tremblement rapide. Par moments, une grosse bulle arrivait à la surface de la blessure et éclatait, criblant le corps du patient, au voisinage de sa main, d’une infinité de petites taches irrégulières.

Petitjean détourna la tête le premier, l’air ennuyé. Angel regardait le corps flasque de l’interne, sa peau grise et ses muscles relâchés, et les quelques poils noirs miteux qu’il avait sur la poitrine. Il vit les genoux bosselés, les tibias pas bien droits et les pieds sales, et serra les poings, puis il se retourna vers Athanagore et ce dernier lui mit la main sur l’épaule.

— Il n’était pas comme ça en arrivant… murmura Angel. Est-ce que le désert fait cet effet-là à tout le monde ?

— Non, dit Athanagore. Ne vous frappez pas, mon petit. Une opération, ce n’est pas agréable.

L’abbé Petitjean alla vers une des fenêtres de la longue pièce et regarda dehors.

— Je pense qu’ils viennent chercher le corps de Barrizone, dit-il.

Carlo et Marin marchaient en direction de l’hôtel, portant une sorte de brancard.

Le Pr Mangemanche fit quelques pas et jeta un coup d’œil à son tour.

— Oui, dit-il. Ce sont les deux agents d’exécution. Je croyais que c’étaient des inspecteurs.

— Personne n’a besoin d’aller les aider, je suppose, dit Angel.

— Non, assura Petitjean. Il suffira d’aller voir l’ermite. Au fait, professeur, nous étions venus vous chercher pour ça.

— J’en ai pour très peu de temps, dit Mangemanche. Mes instruments sont prêts. De toute façon, je ne viendrai pas avec vous. Sitôt que j’aurai fini, je m’en irai.

Il retroussa ses manches.

— Je vais lui couper la main. Ne regardez pas si ça vous dégoûte. C’est indispensable. Je pense qu’il en crèvera parce qu’il est dans un triste état.

— On ne peut rien faire ? demanda Angel.

— Rien, dit le professeur.

Angel se détourna ; l’abbé et l’archéologue en firent autant. Le professeur transvasa le liquide rouge du ballon dans une sorte de cristallisoir et saisit un scalpel. Les trois autres entendirent la lame grincer sur les os du poignet, et c’était fini tout de suite. L’interne ne bougeait plus. Le professeur étancha le sang avec une poignée de coton et de l’éther, puis il saisit le bras de l’interne et plongea l’extrémité saignante dans le liquide du cristallisoir qui se figea aussitôt autour du moignon, formant une sorte de croûte.

— Qu’est-ce que vous faites ? demanda Petitjean qui regardait à la dérobée.

— C’est de la cire de bayou, dit Mangemanche. Il prit délicatement la main coupée au moyen d’une paire de pinces nickelées et la déposa sur une assiette de verre, puis l’arrosa d’acide nitrique. Une fumée rousse s’éleva et les vapeurs corrosives le firent tousser.

— J’ai fini, dit-il. On va le détacher et le réveiller.

Angel s’occupa de défaire les courroies des pieds et l’abbé celle du cou. L’interne ne remuait toujours pas.

— Il est probablement mort, dit Mangemanche.

— Comment est-ce possible ? demanda l’archéologue.

— L’insensibilisation… j’ai dû taper trop fort.

Il rit.

— Je plaisante. Regardez-le.

Les paupières de l’interne se soulevèrent d’un coup comme deux petits volets rigides, et il se dressa sur son séant.

— Pourquoi suis-je à poil ? demanda-t-il.

— Sais pas… dit Mangemanche en commençant à déboutonner sa blouse. J’ai toujours pensé que vous aviez du goût pour l’exhibitionnisme.

— Si vous cessiez de me dire des vacheries, ça vous ferait mal, hein ? lança l’interne hargneux.

Il regarda son moignon.

— Vous appelez ça du travail propre ? dit-il.

— La barbe ! dit Mangemanche. Vous n’aviez qu’à le faire vous-même.

— C’est ce que je ferai la prochaine fois, assura l’interne. Où sont mes vêtements ?

— Je les ai brûlés… dit Mangemanche. Ce n’était pas la peine de contaminer tout le monde.

— Alors, moi, je suis à poil, et je reste à poil ? dit l’interne. Eh bien, merde !

— Assez, dit Mangemanche. Vous m’embêtez, à la fin.

— Ne vous disputez pas, dit Athanagore. Il y a sûrement d’autres vêtements.

— Vous, le vieux, dit l’interne, passez la main.

– Ça va ! dit Mangemanche. Vous allez la fermer ?

— Qu’est-ce qui vous prend ? demanda l’abbé. Bateau, ciseau…

— Des clous, dit l’interne. Vous me les cassez avec vos conneries. Je vous chie sur la gueule, tous, tant que vous êtes !

— C’est pas ça la réponse, dit Petitjean. Il faut répondre : La bataille au bord de l’eau.

— Ne lui parlez pas, dit Mangemanche. C’est un sauvage et un malappris.

– Ça vaut mieux que d’être un assassin… dit l’interne.

— Sûrement pas, dit Mangemanche. Je vais vous faire une piqûre.

Il s’approcha de la table et renoua prestement les courroies, maintenant d’une main le patient qui n’osait se défendre, de crainte d’abîmer son beau moignon de cire tout neuf.

— Ne le laissez pas faire… dit l’interne. Il va me zigouiller. C’est une vieille crapule.

— Foutez-nous la paix, dit Angel. Nous n’avons rien contre vous. Laissez-vous soigner.

— Par ce vieil assassin ? dit l’interne. M’a-t-il assez emmerdé avec cette chaise ? Et qui est-ce qui rigole, maintenant ?

— C’est moi, dit Mangemanche.

Il lui enfonça rapidement l’aiguille dans la joue ; l’interne poussa un cri aigu, puis son corps se détendit et il ne bougea plus.

— Voilà, dit Mangemanche. Maintenant, je fiche le camp.