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Il resta silencieux. L’abbé Petitjean avait pris la tête entre ses mains et plissait son front dans une réflexion appliquée.

— Jusqu’à ce que vous en trouviez vous-même une autre, dit-il.

— Non. Vous êtes encore jaloux quand vous en avez vous-même une autre. Mais vous devez garder votre jalousie pour vous. Vous ne pouvez pas ne pas être jaloux, puisque vous n’êtes pas allé jusqu’au bout avec celle d’avant. Il y a toujours ce reste-là. Que vous ne prendrez jamais. C’est ça la jalousie. Que vous ne prendrez jamais si vous êtes un type bien, je veux dire.

— Un type comme vous, plutôt, précisa l’abbé complètement à côté de la question.

— Anne est en train d’aller jusqu’au bout, dit Angel. Il ne s’arrêtera pas. Il ne restera rien. Si on le laisse faire.

— Si on ne le laisse pas faire, dit l’abbé, est-ce qu’il en restera assez ?

Angel ne répondit pas. Sa figure était un peu pâle, et l’effort d’expliquer, une fois de plus, l’avait épuisé. Ils étaient tous deux assis sur le lit de l’archéologue et Angel s’allongea, les bras sous sa tête, et regarda, au-dessus de lui, la toile opaque et serrée.

— C’est la première fois, dit Petitjean, que je reste aussi longtemps sans dire une connerie plus grosse que moi. Je me demande ce qui se passe.

— Rassurez-vous dit Angel. La voilà.

XIV

— Ce que m’avait dit Claude Léon, expliqua l’abbé Petitjean, c’est qu’à l’intérieur, la négresse est comme du velours rose.

L’archéologue hocha la tête. Ils étaient un peu en avant, et ensuite, venaient Cuivre et Angel qui la tenait par la taille.

— Vous êtes bien mieux que l’autre jour… lui dit-elle.

— Je ne sais pas, répondit Angel. C’est probable, si vous le croyez. J’ai l’impression d’être près de quelque chose.

L’abbé Petitjean insistait.

— Je ne suis pas curieux, dit-il, mais je voudrais bien savoir s’il a raison.

— Il doit avoir essayé, dit Athanagore.

Cuivre prit la main d’Angel dans ses doigts durs.

— J’aimerais être quelque temps avec vous, dit-elle. Je pense qu’après, vous seriez tout à fait bien.

— Je ne crois pas que cela suffise, dit Angel. Naturellement, vous êtes très jolie, et c’est une chose que je pourrais très bien faire. C’est la première condition.

— Après, vous pensez que je ne suffirais plus ?

— Je ne peux pas dire, dit Angel. Il faut que je sois débarrassé de cette idée de Rochelle. C’est impossible parce que je l’aime ; et c’est d’ailleurs ça l’idée. Vous suffiriez sans doute ; mais en ce moment je suis assez désespéré, et je ne peux rien affirmer. Après Rochelle, il y aura pour moi une période morte, et c’est dommage que vous arriviez juste à ce moment.

— Je ne vous demande pas de sentiments, dit-elle.

— Ils viendront ou non, mais vous ne comptez pas pour cette chose précise. C’est à moi d’y arriver. Vous voyez qu’avec Rochelle, je n’y suis pas arrivé.

— Vous ne vous êtes pas donné assez de mal.

— Tout ceci était confus dans ma tête, dit Angel. Je commence à débrouiller l’écheveau depuis très peu de temps. L’influence catalytique du désert y est probablement pour beaucoup, et je compte également, dans l’avenir, sur les chemises jaunes du Pr Mangemanche.

— Il vous les a laissées ?

— Il m’a promis de me les laisser.

Il regarda Petitjean et l’archéologue. Ils avançaient à grands pas et Petitjean expliquait en faisant des gestes, tout au sommet de la dune au pied de laquelle Cuivre et Angel venaient d’arriver ; et leurs têtes commencèrent à descendre de l’autre côté puis disparurent. Le creux de sable sec était accueillant et Angel soupira.

Cuivre s’arrêta et s’étendit sur le sable. Elle tenait toujours la main d’Angel et attira le garçon contre elle. Comme d’habitude, elle ne portait qu’un short et une chemisette de soie légère.

XV

Amadis terminait son courrier et Rochelle le notait sous la dictée, qui faisait une grande ombre mouvante dans la pièce. Il alluma une cigarette et se renversa dans son fauteuil. Une pile de lettres s’accumulait sur l’angle droit du bureau, prêtes à partir, mais le 975 ne venait plus depuis plusieurs jours et le courrier aurait du retard. Amadis était ennuyé de ce contretemps. Des décisions devaient survenir, il fallait rendre compte, remplacer Mangemanche peut-être, tâcher de résoudre le problème du ballast, essayer de diminuer les appointements du personnel, sauf Arland.

Il sursauta car le bâtiment venait de trembler sous un choc violent. Puis il regarda sa montre et sourit. C’était l’heure. Carlo et Marin commençaient à démolir l’hôtel. La partie dans laquelle se trouvait le bureau d’Amadis resterait debout, et celle où travaillait Anne, également. Seul le milieu, la chambre de Barrizone, allait s’effondrer. Celle de Mangemanche partiellement, et celle de l’interne aussi. La chambre de Rochelle et la chambre d’Angel ne bougeraient pas non plus. Les agents d’exécution vivaient au rez-de-chaussée ou dans les caves.

Les coups retentissaient maintenant à intervalles irréguliers, par séries de trois, et l’on entendait l’écroulement pierreux des gravats et du plâtre, et le claquement des morceaux de vitres sur le sol du restaurant.

— Tapez-moi tout ça, dit Amadis, et nous aviserons pour le courrier. Il faut trouver une solution.

— Bien, Monsieur, dit Rochelle.

Elle posa son crayon et découvrit sa machine à écrire, bien au chaud sous sa housse et qui frissonna au contact de l’air. Rochelle la calma l’un geste et prépara ses carbones.

Amadis se leva. Il remua les jambes pour mettre ses affaires en place et quitta la pièce. Rochelle entendit, son pas dans l’escalier. Elle regarda dans le vague une minute, et se mit à son travail.

De la poussière de plâtre emplissait la grande salle du rez-de-chaussée et Amadis vit à contre-jour les silhouettes des agents d’exécution dont les lourds marteaux s’abaissaient et se relevaient avec effort.

Il se boucha le nez et sortit de l’hôtel par la porte opposée ; dehors, il vit Anne, les mains dans les poches, qui fumait une cigarette.

— Bonjour !.. dit Anne sans se déranger.

— Et votre travail ? remarqua Amadis.

— Vous croyez qu’on peut travailler avec ce vacarme ?

— Là n’est pas la question. Vous êtes payé pour travailler dans un bureau, et non pour flâner les mains dans les poches.

— Je ne peux pas travailler dans ce bruit.

— Et Angel ?

— Je ne sais pas où il est, dit Anne. Il se balade avec l’archéologue et le curé, je crois.

— Rochelle est la seule à travailler, dit Amadis. Vous devriez avoir honte et vous rappeler que je signalerai votre attitude au Conseil d’administration.

— Elle fait un travail mécanique. Elle n’a pas besoin de réfléchir.

— Quand on est payé pour ça, on doit au moins faire semblant, dit Amadis. Remontez dans votre bureau.

— Non.

Amadis chercha quelque chose à dire, mais Anne avait une drôle d’expression dans la figure.

— Vous ne travaillez pas vous-même, dit Anne.

— Je suis le directeur. Je surveille le travail des autres, notamment, et je veille à son exécution.

— Mais non, dit Anne. On sait bien ce que vous êtes. Un pédéraste.

Amadis ricana.

— Vous pouvez continuer, ça ne me vexe pas.

— Alors, je ne continue pas, dit Anne.

— Qu’est-ce qui vous prend ? Vous montrez plus de déférence, d’habitude ? vous, et Angel, et tous. Qu’est-ce que vous avez ? Vous devenez fous ?