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— Quel salaud ! dit Carlo.

— Des voleurs et des imbéciles, dit Amadis.

Le pied de Marin l’atteignit au bas-ventre. Il poussa un cri étouffé et tomba sur le sol, replié sur lui-même. Sa figure était blanche et il haletait comme un chien qui a couru.

— Tu as eu tort, dit Carlo. J’étais calmé.

— Oh, ça va, dit Marin. J’ai pas tapé fort. Il va pouvoir marcher dans cinq minutes. Il avait envie de ça.

— Je crois, dit Carlo. Tu as raison. Ils ramassèrent leurs outils.

— On va être virés, dit Carlo.

— Tant pis, murmura son camarade. On se reposera. Il y a plein d’escargots dans ce désert. C’est les gosses qui disent ça.

— Oui, dit Carlo. On va en faire un drôle de plat.

— Quand le chemin de fer sera fini.

— Quand il sera fini.

Ils entendirent un grondement lointain.

— Tais-toi, dit Marin. Qu’est-ce que c’est ?

— Oh ! dit Carlo. C’est sûrement les camions qui reviennent.

— Il va falloir mettre le ballast, dit Marin.

— Sous toute la voie… dit Carlo.

Marin se courba sur sa pelle. Le bruit des camions grandissait, passa par un maximum, puis ils perçurent la clameur aigre des freins et le silence se fit.

II

L’abbé Petitjean saisit le bras de l’archéologue et lui montra du doigt la cabane de l’ermite.

— Nous y sommes, dit-il.

— Bon. Attendons les gosses… dit l’archéologue.

— Oh, dit l’abbé. Ils sont sûrement capables de se passer de nous.

Athanagore sourit.

— Je l’espère bien pour Angel.

— Le veinard ! dit Petitjean. J’aurais bien usé quelques dispenses pour cette fille.

— Allons, allons… dit l’archéologue.

— Sous ma douillette, précisa Petitjean, bat un cœur viril.

— Libre à vous de l’aimer avec votre cœur… dit l’archéologue.

— Heu… Bien sûr… approuva Petitjean.

Ils étaient arrêtés, et regardaient derrière eux, si on peut dire. Derrière les eux de cinq secondes plus tôt.

— Les voilà ! dit Athanagore. Où est Cuivre ?

— Ce n’est pas Angel, dit l’abbé. C’est son copain.

— Vous avez de bons yeux.

— Non, dit Petitjean. Je pense qu’Angel n’est tout de même pas assez noix pour faire ça aussi vite avec une fille pareille.

— C’est bien l’autre, constata Athanagore. Vous le connaissez ?

— Peu. Il est toujours en train de dormir, de travailler ou de prendre de l’exercice avec la secrétaire du pédé.

— Il court… dit l’archéologue.

Anne s’approchait rapidement.

— C’est un beau gars, dit Petitjean.

— On ne le voit jamais… Qu’est-ce qui le prend ?

— Les choses prennent une tournure particulière en ce moment.

— Vous avez raison, dit l’archéologue. Pauvre Pr Mangemanche.

Ils se turent.

— Bonjour ! dit Anne. Je suis Anne.

— Bonjour, dit Athanagore.

— Comment allez-vous ? demanda Petitjean avec intérêt.

— Mieux, dit Anne. Je vais la balancer.

— Votre coquine ?

— Ma coquine. Elle m’embête.

— Alors vous en cherchez une autre ?

— Tout juste, monsieur l’abbé, dit Anne.

— Oh ! Je vous en prie ! protesta l’abbé. Pas de ces vocables prétentiards. Et d’abord…

Il s’éloigna de quelques pas et se mit à tourner autour des autres en tapant vigoureusement ses pieds sur le sol.

— Trois petits bonhommes s’en allaient au bois ! chanta-t-il.

— Quand ils revenaient ils disaient tout bas… reprit l’archéologue.

— Atchoum ! Atchoum ! Atchoum !.. dit Anne en se mettant au pas.

Petitjean s’arrêta et se gratta le nez.

— Il sait les formules aussi ! dit-il à l’archéologue.

— Oui… constata ce dernier.

— Alors, on l’emmène ? dit Petitjean.

— Bien sûr, dit Anne. Je veux voir la négresse.

— Vous êtes un salaud, dit Petitjean. Il vous les faut toutes, alors ?

— Mais non, dit Anne. C’est fini avec Rochelle.

— C’est fini ?

— C’est fini, tout à fait. Petitjean réfléchit.

— Est-ce qu’elle le sait ? demanda-t-il.

Anne parut légèrement tourmenté.

— Je ne lui ai pas encore dit…

— C’est, à ce que je constate, dit l’abbé, une décision unilatérale et soudaine.

— Je l’ai prise en courant pour vous rattraper, expliqua l’ingénieur.

Athanagore paraissait ennuyé.

— Vous êtes gênant, dit-il. Ça va encore faire des histoires avec Angel.

— Mais non, dit Anne. Il va être très content. Elle est libre.

— Mais qu’est-ce qu’elle va penser ?

— Oh, je ne sais pas, dit Anne. Ce n’est pas une cérébrale.

— C’est vite dit…

Anne se gratta la joue.

— Peut-être que ça va l’ennuyer un peu, admit-il. Personnellement, ça ne me fait rien ; aussi, je ne peux pas m’en préoccuper.

— Vous réglez les choses avec rapidité.

— Je suis ingénieur, expliqua Anne.

— Vous seriez archevêque, dit l’abbé, ça ne serait pas une raison pour plaquer une fille sans la prévenir, quand vous avez couché avec elle encore hier.

— Encore ce matin, dit Anne.

— Vous profitez du moment où votre camarade Angel commence à trouver la voie de l’apaisement, dit Petitjean, pour le rejeter dans l’incertitude. Ce n’est pas sûr du tout qu’il veuille quitter la voie de l’apaisement pour cette fille que vous avez triturée comme un broyeur à boulets.

— Qu’est-ce que c’est la voie de l’apaisement ? dit Anne. Qu’est-ce qu’il a fait, Angel ?

— Il s’envoie une sacrée poule ! dit Petitjean. Le cochon !..

Il claqua la langue avec bruit et se signa presque aussitôt.

— J’ai encore dit un mot prohibé, s’excusa-t-il.

— Faites donc, approuva Anne machinalement. Comment est-elle, cette femme ? ce n’est pas la négresse, au moins ?

— Certainement pas, dit Petitjean. La négresse est réservée à l’ermite.

— Il y en a une autre ? dit Anne. Une bien ?

— Allons, dit Athanagore. Laissez votre ami tranquille…

— Mais il m’aime beaucoup, dit Anne. Il ne dira rien si je me l’envoie.

— Vous dites des choses antipathiques, observa l’archéologue.

— Mais il va être heureux comme un entrepreneur de savoir que Rochelle est libre !

— Je ne crois pas, dit l’archéologue. Il est trop tard.

— Il n’est pas trop tard. Elle est encore très bien, cette fille. Et elle en sait un peu plus qu’avant.

— Ce n’est pas agréable pour un homme. Un garçon comme Angel n’aimera pas recevoir des leçons de cet ordre.

— Ah ? dit Anne.

— C’est drôle, dit Petitjean. Parfois vous devez parler d’une façon intéressante, mais, en ce moment, vous êtes odieux.

— Vous savez, moi, dit Anne, les femmes, j’en fais ce qu’il faut, mais ça se borne là. Je les aime bien, mais pour tous les jours, je préfère les copains ; pour parler, justement.

— Angel n’est peut-être pas comme vous, dit Athanagore.

— Il faut le tirer de là, dit Anne. Qu’il couche avec Rochelle et il en aura vite assez.

— Il cherche autre chose, dit Petitjean. Ce que je cherche, moi, dans la religion… enfin… en principe… parce que je fais quelques bénignes entorses au règlement… Mais je dirai une cinquantaine de chapelets récapitulatifs ; quand je dis une cinquantaine… mettons trois.