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— Jason a raison, dit-il. J’ai autre chose à ajouter. Il y a si longtemps que je veux le confier à quelqu’un, que je veux partager tout cela avec quelqu’un. Je peux me tromper. J’y ai pensé si longtemps que je peux m’être embrouillé. J’aimerais que vous m’écoutiez tous les deux et que vous me disiez ce que vous en pensez.

Il s’assit de nouveau.

— Je vais essayer de présenter cela aussi objectivement que possible, poursuivit-il. Vous comprenez, je n’ai jamais vu cette chose, ce Principe. Je ne suis peut-être même pas parvenu très près de lui – mais suffisamment près toutefois pour savoir qu’il est là et pour sentir un peu le genre de chose que c’est, mais peut-être pas plus que n’importe qui n’aurait pu le sentir. Je ne l’ai pas compris, bien sûr, je n’ai même pas essayé parce qu’on sait qu’on est trop faible, trop petit pour comprendre. C’était peut-être ce qui était le plus blessant : se rendre compte combien on est faible et petit – et pas seulement soi, mais l’humanité toute entière. C’est quelque chose qui réduit la race humaine au niveau de microbe, et peut-être même à moins que le statut de microbe. On sait instinctivement qu’on est indigne de son attention en tant qu’être humain, bien qu’il y ait des preuves – ou qu’en tout cas je crois qu’il y ait des preuves – qu’il puisse prêter attention à l’humanité, et qu’il l’ait fait.

Je m’en suis approché autant que mon esprit a pu le supporter. J’ai tremblé devant lui. Je ne sais pas ce que j’ai fait d’autre. Toute une partie de ceci se brouille dans mon esprit. Je m’en suis peut-être trop approché. Mais il fallait que je sache, vous comprenez, il fallait que je sois sûr. Et je le suis. Il est là-bas, il observe, il sait, et au besoin, il peut agir – bien que j’incline à penser qu’il soit lent à agir…

— Agir ? Comment cela ? demanda Jason.

— Je ne sais pas, lui répondit John. Il faut que tu comprennes bien que tout ceci n’est qu’une impression. Une impression intellectuelle. Rien de visuel, rien que j’aie vu ou entendu. Et c’est parce qu’il s’agit d’une impression intellectuelle que c’est si difficile à décrire. Comment décrire les réactions de l’esprit humain ? Comment donner une image de l’impact émotionnel de ses réactions ?

— Nous en avons entendu parler, dit Jason à Martha. Quelqu’un t’en a parlé. Te souviens-tu de qui il s’agissait, qui peut être allé aussi loin que John ? Ou presque aussi loin…

— Il n’était pas nécessaire d’aller aussi loin que moi, dit John. On peut le sentir bien avant. J’ai délibérément essayé de m’en approcher.

— Je ne me souviens pas de qui il s’agissait, dit Martha. Deux ou trois personnes m’en ont parlé. Je suis sûre que ce n’était pas une information de première main. Peut-être même cela s’était-il transmis de bouche à oreille une dizaine de fois. Le bruit avait couru d’une personne à l’autre, c’était passé par beaucoup de gens. Il y avait simplement quelque chose de malfaisant vers le centre de la galaxie. Mais aucun signe que qui que ce soit ait enquêté. Ils avaient peut-être peur d’aller enquêter.

— C’est sûrement, ça, dit John, j’ai eu très peur.

— Tu l’appelles « le Principe », dit Jason. C’est une drôle de manière de l’appeler. Pourquoi le Principe ?

— C’est ce que j’ai pensé quand j’étais près de lui, répondit John. Il ne me l’a pas dit. Il n’a pas du tout communiqué. Il n’était probablement pas conscient de ma présence et ne savait sans doute même pas que j’existais. Un minuscule microbe rampant vers lui…

— Mais, le Principe ? C’est une chose, une créature, une entité ? C’est un nom curieux à donner à une créature ou à une entité, il doit bien y avoir une raison ?

— Je ne suis pas sûr que ce soit une créature ou une entité, Jason. C’est seulement quelque chose. Peut-être une masse d’intelligence ? De quoi cela peut-il avoir l’air ? Peut-on même la voir ? Est-ce un nuage, une traînée de gaz, des trillions de minuscules atomes dansant dans la lumière des soleils du centre ? La raison pour laquelle je l’appelle le Principe ? Franchement, je ne peux pas vous dire. Ce n’est pas logique, je n’arrive pas à trouver la moindre raison à cela. J’ai simplement senti que c’était le principe de base de l’univers, le directeur de l’univers, son cerveau central, ce qui le maintient, ce qui le fait fonctionner – la force qui fait tourner les électrons autour du noyau, qui fait orbiter les galaxies autour de leur centre, qui maintient tout en place.

— Pourrais-tu désigner son emplacement ? demanda Jason.

John secoua la tête :

— Aucun moyen de le faire. Impossible d’utiliser la triangulation. On sentait le Principe partout, il me semble. Cela venait de partout, cela vous enveloppait, vous étouffait et vous absorbait. Aucune impression de direction. Et, de toute façon, ce serait difficile car il y a tellement de soleils et d’astres pressés les uns contre les autres. Des soleils qui ne sont séparés que par des fractions d’années-lumière. Vieux, pour la plupart. Et la plus grande partie des planètes sont mortes. Sur certaines restent encore les ruines et les vestiges de ce qui doit avoir été de grandes civilisations, mais elles sont toutes mortes, maintenant…

— C’était peut-être l’une de ces civilisations ?

— Peut-être, dit John. C’est ce que j’ai d’abord pensé. Que l’une de ces anciennes civilisations avait réussi à survivre et que son intelligence avait évolué de façon à devenir le Principe. Mais, depuis, je suis venu à en douter. Il aurait fallu plus de temps que ne le permet la vie d’une galaxie, j’en suis sûr. Je ne peux pas commencer à te raconter, je ne sais pas comment te décrire la force pure de cette intelligence, combien elle nous est totalement étrangère. Pas seulement différente, on trouve çà et là dans l’espace des intelligences différentes, et ces différences nous les rendent étrangères. Mais pas étrangères au sens où le Principe nous est étranger. Cette terrible étrangeté suggère une origine extérieure à la galaxie, ou antérieure à la galaxie. Une origine provenant d’un temps et d’un lieu si différents de la galaxie que ce serait inconcevable. Je suppose que tu connais la théorie de la Création Continue de l’Univers ?

— Oui, bien sûr, dit Jason. L’Univers n’a pas de commencement, n’aura jamais de fin, il est en état de création perpétuelle, de nouvelles matières se forment, de nouvelles galaxies naissent tandis que les anciennes meurent. Mais, avant la disparition des Autres, les cosmologues avaient établi que cette théorie ne tenait pas.

— Je sais qu’ils l’avaient fait, dit John. Mais il y a encore de l’espoir – on peut appeler cela de l’espoir –, car il y avait quelques personnes qui s’accrochaient obstinément au concept de la Création Continue pour des raisons philosophiques. C’était si beau, si superbe, si impressionnant, qu’ils se refusaient à l’abandonner. Ils disaient : « Supposons que l’Univers soit beaucoup plus grand qu’il ne semble, que nous n’en apercevions qu’un fragment, une minuscule bulle locale sur la peau de cet immense univers, et supposons que cette bulle locale traverse une phase qui ne semble pas se rapporter à la création continue mais à un univers évolutif… »

— Et tu crois qu’ils avaient raison ?

— Je pense qu’ils peuvent avoir raison. La Création Continue donnerait au Principe le temps dont il a eu besoin pour naître. Avant son apparition, l’univers était peut-être chaotique. Le Principe est peut-être la force constructrice qui l’a ordonné.

— C’est ce que tu crois ?

— Oui, c’est ce que je pense. J’ai eu le temps d’y réfléchir, de tout assembler, et cela s’ajuste si bien que je suis convaincu. Je n’ai pas l’ombre d’une preuve, pas l’ombre d’un fait, mais j’ai cette idée en tête et je ne puis m’en débarrasser. J’essaie de me dire que le Principe, ou une partie de lui, peut me l’avoir suggérée, mise en tête, j’essaie de me le dire, car c’est la seule explication que je trouve. Et pourtant, je sais que ce doit être faux car je suis persuadé que le Principe n’était absolument pas conscient de ma présence. Il n’y a pas eu le moindre signe qu’il en ait eu conscience.