Выбрать главу

— Et tu as découvert que ce n’était pas joli, joli ! dit Jason.

John lui lança un coup d’œil stupéfait :

— Comment le sais-tu ?

— Tu as dit qu’ils avaient encore une technologie à base de machines, je crois que la clé est là. J’ai deviné qu’une fois qu’ils se sont tirés d’affaire, ils ont continué à peu près de la même manière qu’avant d’être arrachés à la Terre. Et, si c’est le cas, le résultat ne doit pas être joli.

— Tu as raison, dit John. Apparemment, cela ne leur a pas pris trop longtemps pour se tirer d’affaire, comme tu dis. Très peu d’années après s’être retrouvés en un clin d’œil sur une autre planète – ou plutôt, sur d’autres planètes – dans une partie inconnue de l’espace, ils ont retrouvé leur équilibre, ils se sont organisés et ont continué à vivre à peu près comme avant. Il a fallu qu’ils repartent à zéro, évidemment, mais ils avaient les connaissances technologiques, ils avaient à leur disposition des planètes neuves aux ressources vierges et ils sont rapidement retombés sur leurs pieds. Et, qui plus est, ils ont la même espérance de vie que nous, la même longévité que nous. Beaucoup d’entre eux sont morts pendant les premières années de lutte pour s’adapter, mais il en est quand même resté énormément. Et parmi ceux-ci, se trouvaient des gens qui avaient toutes les capacités nécessaires pour développer une nouvelle technologie. Imagine un peu ce qui arriverait si un ingénieur spécialisé et expérimenté – ou un savant imaginatif possédant son métier à fond – vivait de nombreux siècles ? La mort n’enlèverait pas à la société ces talents si nécessaires comme c’était le cas auparavant. Les génies ne mourraient pas mais continueraient à être des génies, les techniciens qui ne construisaient ou tiraient des plans que pendant les quelques années précédant leur mort ou leur retraite pourraient continuer indéfiniment à construire et à tirer des plans. Cela donne à un homme autant de temps qu’il en a besoin pour développer à fond ses théories, et cela lui donne la jeunesse dont il a besoin pour les poursuivre. Évidemment, tout ceci présente un inconvénient majeur : la présence d’hommes d’un grand âge possédant une vaste expérience et occupant des postes importants peut tendre à avoir une influence inhibitrice sur ceux qui sont plus jeunes, cela peut favoriser un conservatisme aveugle à toute nouvelle idée et peut enfin bloquer tout progrès si le danger n’a pas été reconnu et compensé. Les Autres ont eu le bon sens de le reconnaître et d’introduire quelques traits compensatoires dans leur structure sociale.

— As-tu réussi à te faire une idée de leur histoire ? Combien de temps leur a-t-il fallu pour redémarrer, et comment ont-ils progressé ?

— En gros, oui. Rien de précis, bien sûr. Disons qu’il leur a fallu une centaine d’années pour établir une société viable, peut-être dans les trois siècles pour reconstituer une approximation de la situation technologique qu’ils avaient sur Terre. À partir de là, ils ont continué sur les bases qu’ils possédaient, avec l’avantage de s’être débarrassés d’un certain nombre de boulets qu’ils traînaient autrefois derrière eux. Ils sont partis de rien et, au début, ils n’avaient pas besoin de s’encombrer des vieilleries qui leur pesaient sur Terre. Bien avant que mille ans se soient écoulés, les groupes vivant sur chacune des trois planètes – à moins d’une année – lumière de distance – se connaissaient les uns les autres et, en très peu de temps, des vaisseaux spatiaux ont été inventés, construits, et la race humaine a été à nouveau réunie. Le contact physique et le commerce que cette réunion rendit possible donna un nouvel élan à la technologie, car durant le millier d’années pendant lequel ils avaient été séparés, chacun avait développé sa technologie différemment, expérimentant dans des directions différentes. Et puis, ils avaient aussi les ressources de trois planètes au lieu d’une seule, et c’est ce qui doit avoir été un avantage décisif. Les trois cultures séparées se sont fondues en une sorte de superculture qui avait encore l’avantage de racines communes.

— Ils n’ont jamais développé de pouvoirs parapsychiques ? Aucune trace de cela ?

John secoua la tête :

— Ils y sont aussi aveugles qu’autrefois. Il n’y a pas que le temps qui soit nécessaire pour les acquérir puisqu’ils ont tous maintenant autant de temps que nous devant eux. Ce qui est nécessaire, ce doit être une manière de voir différente, une libération des pressions qu’une branche particulière de la technologie impose, non seulement à la race, mais à chaque individu.

— Et cette branche de la technologie ?

— Pour toi et moi, ce serait une contrainte brutale, dit John. Mais pour eux qui ne connaissent rien d’autre et qui voient en elle les buts pour lesquels ils ont lutté, cela doit paraître merveilleux. Sinon merveilleux, du moins satisfaisant. Pour eux, cela représente la liberté – liberté d’être au-dessus, et au-delà de l’environnement qu’ils ont à grand-peine soumis à leurs projets. Pour nous, cela serait asphyxiant.

— Mais ils doivent se souvenir ! dit Martha. Leur transfert de la Terre doit être suffisamment récent pour qu’ils s’en souviennent. Il doit y avoir des récits. Pendant toutes ces années, ils doivent s’être demandé ce qui leur est arrivé et où peut bien se trouver la Terre ?

— Des récits, oui, reconnut John. À moitié mythiques, car il s’est passé un certain temps – de nombreuses années – avant que quelqu’un se reprenne suffisamment pour écrire quelque chose. Et, à ce moment, l’événement était devenu quelque peu brumeux et il n’y avait très probablement pas deux opinions semblables sur ce qui était exactement arrivé. Mais ils y ont pensé, cela n’a jamais quitté leurs esprits. Ils ont tenté de l’expliquer, et il existe quelques merveilleuses théories. La confusion de tout cela peut nous sembler difficile à comprendre car tu as tes archives, Jason, celles que Grand-Père a commencées. Je pense que tu les tiens à jour ?

— Épisodiquement, répondit Jason. Il n’y a bien souvent pas grand-chose à écrire.

— Nos archives ont été délibérément écrites dans le calme et la clarté, dit John. Nous n’avons pas subi de bouleversement, nous avons simplement été laissés en arrière. Pour les Autres, il y a eu un bouleversement. Il est difficile d’imaginer ce que cela a pu être. Une seconde avant, ils étaient sur la Terre familière ; une seconde plus tard, ils se sont retrouvés jetés sur une planète qui était évidemment assez semblable à la Terre mais qui en différait totalement en de nombreux points. Se retrouver là sans nourriture, sans biens, sans abris ! Devenir en un clin d’œil des pionniers dans les pires circonstances ! Ils étaient terrifiés, bouleversés et, ce qui est bien pire, complètement désorientés. L’homme a grand besoin de pouvoir expliquer ce qui lui arrive – ou comment c’est arrivé –, et ils n’avaient aucun moyen de parvenir à une explication. C’était comme si on leur avait jeté un sort – un sort particulièrement méchant et impitoyable. Le miracle est qu’il y ait eu des survivants. Beaucoup d’entre eux sont morts. Et maintenant encore, ils ignorent comment et pourquoi c’est arrivé. Mais je crois que je sais pourquoi et que j’en connais la raison. Peut-être pas la méthode, mais la raison.

— Tu veux parler du Principe ?

— C’est peut-être pure imagination, reconnut John. Je suis peut-être arrivé à cette solution parce qu’il n’y avait pas d’autre explication apparente. Si les Autres avaient eu des facultés parapsychologiques, s’ils savaient ce que je sais, s’ils connaissaient l’existence du Principe, je suis sûr qu’ils arriveraient à la même conclusion que moi. Ce qui ne veut pas dire que nous aurions raison. J’ai déjà dit que je ne pensais pas que le Principe ait eu conscience de ma présence. Je ne suis pas sûr qu’il puisse avoir conscience d’aucun être humain – cela ressemblerait à un humain prenant conscience d’un seul microbe. Mais il a peut-être le pouvoir de se concentrer jusqu’à une perception très fine. Il ne connaît peut-être aucune limite. De toute façon, il est plus probable qu’il prête attention aux humains et à n’importe quelle autre créature vivant en groupe, peut-être plus attiré par la structure sociale et les directions mentales que doit avoir une telle masse d’individus que par cette masse elle-même. Pour attirer son attention, j’inclinerais à penser que n’importe quelle situation devait être unique – et d’après ce que nous avons jusqu’à maintenant trouvé dans la galaxie, il me semble que l’humanité d’il y a cinq mille ans, avec son développement technologique et son point de vue matérialiste en plein épanouissement, devait avoir semblé unique. Le Principe peut nous avoir étudiés pendant un certain temps, s’être interrogé sur nous, peut-être même s’être légèrement inquiété de la possibilité qu’avec le temps nous puissions déranger l’ordre et la précision de l’Univers – une chose qu’il ne tolérerait sûrement pas volontiers. Je pense donc qu’il nous a traités exactement de la manière dont les hommes de cette époque auraient traité un nouveau virus qui aurait présenté des possibilités de danger. Ils auraient placé un tel virus dans un tube à essai et lui auraient fait subir de nombreux tests pour déterminer comment il allait réagir dans différentes conditions. Le Principe s’est emparé de l’humanité et l’a déversée sur trois planètes, puis il s’est reculé et s’est remis à observer, se demandant peut-être s’il y aurait des divergences ou si les tendances morales se vérifieraient. Maintenant, il doit savoir que ces tendances se sont vérifiées. Les cultures des trois planètes différaient, bien sûr, mais malgré leurs différences elles étaient toutes trois technologiques et matérialistes. Et quand elles se sont découvertes les unes les autres, elles n’ont eu aucun mal à réunir leurs caractéristiques pour se fondre en une superculture technologique et matérialiste.