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Depuis que les Autres étaient partis, ils avaient eu de bonnes années. Ils avaient eu tout le temps de retrouver leurs anciennes habitudes. Le vent avait de nouveau soufflé librement, l’eau avait coulé sans entraves à travers les terres, l’herbe de la prairie était redevenue douce et épaisse, la forêt était redevenue une forêt et le ciel était noir de gibier à plume au printemps et à l’automne.

L’idée de visiter la construction des robots lui déplaisait. Il répugnait à voir Ézéchiel, le robot, monter dans un canoë, partageant – même momentanément – cet ancien mode de vie. Mais Jason avait tout à fait raison : c’était la seule chose à faire, leur seule chance.

Il remonta le sentier vers le camp. Ils attendaient tous, il allait les rassembler maintenant. Il faudrait choisir des hommes pour pagayer. Certains des jeunes devraient aller chercher de la viande fraîche et du poisson pour le voyage. Les femmes devraient rassembler la nourriture et des vêtements. Il y avait beaucoup à faire : ils se mettraient en route à l’aube.

16.

Étoile du Soir était assise dans le patio quand le jeune homme aux jumelles et au collier de griffes d’ours apparut, remontant le sentier qui venait du monastère.

Il s’arrêta en face d’elle.

— Tu es ici pour lire les livres, dit-il. C’est bien le mot, n’est-ce pas ? Lire ?

Il avait un pansement blanc sur la joue.

— C’est le mot juste, répondit-elle. Ne veux-tu pas t’asseoir ? Comment te sens-tu ?

— Très bien, dit-il. Les robots ont bien pris soin de moi.

— Eh bien, alors assieds-toi, dit-elle. Ou bien te rends-tu quelque part ?

— Je n’ai nul endroit où aller, confia-t-il. Je partirai peut-être plus loin.

Il prit place sur une chaise à côté d’elle et posa son arc sur les dalles.

— Je voulais te demander, pour les arbres qui font de la musique. Tu connais les arbres. Hier, tu as parlé avec le chêne centenaire…

— Tu m’avais dit que tu ne parlerais plus jamais de cela ! dit-elle avec une certaine colère. Tu m’as espionnée, et tu as promis.

— Je suis désolé, mais il le faut, lui dit-il. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un qui puisse parler avec les arbres. Je n’avais jamais entendu d’arbres qui puissent faire de la musique.

— Qu’est-ce que les deux choses ont à voir l’une avec l’autre ?

— Il y avait quelque chose qui n’allait pas chez les arbres, la nuit dernière. J’ai pensé que tu l’avais peut-être remarqué ? Je crois que je leur ai fait quelque chose.

— Tu plaisantes. Qui pourrait faire quoi que ce soit avec des arbres ? Et il n’y avait rien qui n’allait pas, ils ont très bien joué.

— Il y avait une maladie en eux, ou chez certains d’entre eux. Ils ne jouaient pas aussi bien qu’ils l’auraient pu. Et j’ai aussi fait quelque chose aux ours. Surtout avec ce dernier ours. Peut-être avec tous…

— Tu as prétendu que tu les avais tués et que tu avais pris une griffe par ours pour ton collier. Une manière de tenir le compte, m’as-tu dit. Et, si tu veux mon avis, une manière de te vanter, aussi.

Elle pensa qu’il allait peut-être se fâcher, mais il parut seulement un peu perplexe.

— J’ai toujours pensé que c’était l’arc, dit-il. Que je les avais tués parce que je tirais très bien à l’arc et que mes flèches étaient si bien faites. Et pourtant, si ce n’était pas du tout l’arc, ni les flèches, ni ma manière de tirer, mais quelque chose de tout à fait différent ?

— Quelle différence cela fait-il ? Tu les as tués, n’est-ce pas ?

— Oui, bien sûr, je les ai tués, mais…

— Mon nom est Étoile du Soir, dit-elle. Tu ne m’as pas dit le tien ?

— Je m’appelle David Hunt.

— Eh bien, David Hunt, parle-moi de toi.

— Il n’y a pas grand-chose à dire.

— Il doit bien y avoir quelque chose. Tu as un peuple, un endroit où tu es chez toi. Tu dois bien venir de quelque part ?

— Un endroit où je suis chez moi ? Oui, sans doute. Mais nous bougions beaucoup. Nous fuyions sans arrêt et les gens partaient…

— Fuir ? Qu’y avait-il à fuir ?

— Le Marcheur Noir. Je vois que tu n’es pas au courant. Tu n’en as jamais entendu parler ?

Elle secoua la tête.

— C’est une silhouette, dit-il. Comme un homme, et pourtant différent d’un homme. Il a deux jambes. Peut-être est-ce sa seule ressemblance avec l’homme. On ne le voit jamais le jour. Seulement la nuit. Toujours sur une crête. Une silhouette noire sur le ciel. On l’a vu pour la première fois la nuit où tout le monde a été enlevé – c’est-à-dire, tout le monde sauf nous, et pour être exact, tout le monde sauf nous, les gens d’ici et ceux des plaines. Je suis le premier de chez nous à savoir qu’il y a d’autres gens.

— Tu sembles penser qu’il n’y a qu’un Marcheur Noir. En es-tu sûr ? Es-tu sûr qu’il y a vraiment un Marcheur Noir, et que vous ne l’avez pas imaginé ? À une certaine époque, mon peuple a imaginé beaucoup de choses dont nous savons maintenant qu’elles n’ont jamais été vraies. A-t-il jamais fait mal à quelqu’un des tiens ?

Il fronça les sourcils, essayant de réfléchir :

— Non, pas à ma connaissance. Il n’a fait de mal à personne. On le voit, c’est tout. C’est horrible à voir. Nous sommes sans arrêt aux aguets, et quand nous le voyons, nous fuyons à un autre endroit.

— N’avez-vous jamais essayé de le suivre à la piste ?

— Non, dit-il.

— Je pensais que c’était peut-être ce que tu étais en train de faire. Que tu essayais de le suivre et de le tuer. Un archer tel que toi, qui peut tuer les ours…

— Tu te moques de moi, dit-il, mais sans colère.

— Peut-être, avoua-t-elle. Tu es si fier d’avoir tué les ours. Personne de mon peuple n’en a tué autant.

— Je doute que l’on puisse tuer le Marcheur avec des flèches, dit-il. Peut-être ne peut-il pas du tout être tué ?

— Il n’y a peut-être pas de Marcheur, dit la jeune fille. As-tu pensé à cela ? S’il existait, nous l’aurions certainement vu ou nous en aurions entendu parler. Mon peuple s’étend jusque loin vers l’ouest, jusqu’aux montagnes, et ils en auraient entendu parler. Et d’ailleurs, comment se fait-il que pendant toutes ces années nul n’ait entendu parler de ton peuple ? Pendant des siècles, les habitants de cette maison ont essayé de trouver d’autres gens, épuisant des rumeurs de toutes sortes les unes après les autres.

— Mon peuple a aussi essayé, m’a-t-on dit, pendant les premières années. Bien sûr, j’en ai seulement entendu parler. J’ai entendu ce que les gens en disaient. Je n’ai moi-même que vingt étés.

— Nous sommes du même âge, dit Étoile du Soir. J’ai juste dix-neuf ans.

— Il y a peu de gens jeunes parmi nous, dit David Hunt. Nous ne sommes pas très nombreux, à nous tous, et nous bougeons si souvent…

— Je suis étonnée que vous ne soyez que quelques-uns, dit-elle. Si vous êtes comme nous, vous vivez pendant très longtemps et il n’existe pas de maladies. D’une petite tribu, mon peuple est devenu des milliers. Des quelques personnes qui se trouvaient dans cette maison, ils sont maintenant des milliers dans les étoiles. Vous devriez être des milliers, vous devriez être forts et nombreux…