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Elle en disait trop, pensa-t-elle. Oncle Jason n’aimerait peut-être pas qu’elle raconte tout cela à quelqu’un de totalement étranger, à un homme qui leur tombait de nulle part. Mais cela lui avait échappé, comme s’il était un ami. Et elle ne le connaissait pas vraiment, elle ne l’avait rencontré qu’hier, après qu’il l’eut espionnée, et elle ne l’avait revu que ce matin quand il avait monté le chemin qui venait du monastère. Mais c’était comme si elle le connaissait depuis des années, pensa-t-elle. Ce n’était qu’un gamin. Qu’avait-il dit à propos des nombreuses années qui le séparaient de son vieil ami ? C’était peut-être cela, il n’y avait pas de différence d’âge entre elle et lui.

— Tu penses que ton oncle et ta tante ne verraient pas d’inconvénients à ce que je reste ici ? demanda-t-il. Tu pourrais peut-être demander à ta tante ?

— Pas maintenant, dit Étoile du Soir, elle est en train de parler avec les étoiles. Elle a bavardé toute la matinée. Mais nous pouvons le lui demander plus tard – ou le demander à mon oncle quand il reviendra du camp.

17.

Il se sentait vieux et seul. C’était la première fois depuis des années qu’il se sentait seul, et la toute première fois qu’il ait jamais eu l’impression d’être vieux.

— Je me suis demandé si j’allais t’en parler, dit Martha. Je n’aurais peut-être pas dû te le dire, Jason, mais il fallait que tu saches. Ils ont tous été polis et compréhensifs…

— Et légèrement amusés, dit-il.

— Non, pas vraiment, je ne crois pas, lui dit-elle. Mais un peu surpris de te savoir si bouleversé. Évidemment, la Terre ne peut pas signifier autant pour eux que pour toi et moi. À leurs yeux, la Terre n’est qu’une vieille et belle légende. Et ils ont tous souligné que les Autres pouvaient ne pas avoir l’intention de revenir pour rester. Il peut simplement s’agir d’un voyage de reconnaissance destiné à satisfaire leur curiosité.

— Ce qu’il y a, c’est que ça leur est un peu égal, dit Jason. Ils ont les étoiles, ils n’ont pas besoin de la Terre. Comme tu le dis, pour eux, ce n’est qu’une légende. J’avais pensé rassembler un conseil : quelques-uns des plus vieux amis, des plus fidèles, et quelques-uns des plus jeunes parmi ceux qui nous sont très proches.

— C’est peut-être toujours une bonne idée, dit Martha. Ils viendraient, j’en suis sûre. Ils viendraient tous, je crois, si nous avions réellement besoin d’eux. Cela pourrait être très utile, ils ont appris tant de choses. Nous n’avons aucune idée de toutes les choses qu’ils ont apprises.

— Je ne compterais pas trop sur toutes les choses qu’ils ont apprises, dit John. Collectivement, ils ont beaucoup appris. Depuis qu’ils sont partis dans les étoiles, la somme totale de savoir qu’ils ont acquise est probablement égale ou supérieure à tout ce que l’homme avait pu apprendre sur Terre avant la Disparition. Mais ce savoir est superficiel. Ils n’ont appris que les faits de surface, par exemple que telle chose est possible ou que telle action entraînera tel effet, mais ils n’ont acquis aucune compréhension réelle car ils n’ont cherché ni les pourquoi, ni les comment. Et, par conséquent, bien qu’ils connaissent beaucoup de choses étranges et insoupçonnées, leur savoir ne change pas grand-chose car ils ne peuvent pas l’utiliser. De plus, une grande partie de ce savoir dépasse la compréhension humaine et est si totalement étranger à la conception humaine de l’univers qu’il ne peut pas être compris avant que l’homme n’ait maîtrisé la manière de voir, les processus intellectuels de ces étrangers et…

— Inutile de continuer, dit amèrement Jason, je sais combien c’est impossible.

— Il y a quelque chose que je n’ai pas voulu mentionner jusqu’à maintenant parce que je sais que tu n’aimeras pas cela, dit John. Mais, si le pire arrivait, Martha et toi pouvez toujours partir dans les étoiles.

— John, tu sais bien que je ne peux pas faire ça ! dit Jason. Et je ne pense pas que Martha le pourrait non plus. Nous avons la Terre dans le sang, nous avons trop longtemps vécu avec elle, elle fait trop complètement partie de nous.

— Je me suis souvent demandé comment ce serait, dit Martha. J’ai parlé avec tant de gens et ils m’en ont tellement raconté à ce sujet. Mais, je ne crois quand même pas que je serais capable de partir.

— Tu comprends, renchérit Jason, nous ne sommes que deux vieux égoïstes.

Et voilà la vérité, pensa-t-il. C’est de l’égoïsme que de s’accrocher à la Terre, que de la réclamer tout entière pour soi tout seul. Quand on regardait les choses en face, les Autres avaient parfaitement le droit de revenir sur Terre s’ils le souhaitaient. Ils ne l’avaient pas volontairement quittée, on les en avait enlevés, arrachés. S’ils avaient réussi à découvrir le moyen d’y revenir, on ne pouvait rien trouver à y redire, ni légalement, ni moralement. Il se rendit compte que le pire à supporter serait leur insistance à partager avec ceux qui étaient restés sur Terre tout ce qu’ils avaient appris et acquis, toute leur avance technologique, tous leurs brillants nouveaux concepts, tout leur étincelant savoir, leur détermination à donner généreusement aux malheureux ignorants restés sur Terre tous les avantages de l’héritage humain. Et qu’adviendrait-il des tribus qui ne voulaient rien de tout cela ? Et des robots ? Mais, ces derniers seraient peut-être heureux de leur retour. Il ne savait pas grand-chose au sujet des robots et ignorait tout de leurs sentiments possibles dans une telle circonstance.

Dans un jour ou deux, il saurait ce qu’ils pensaient. Demain matin, John, Ezéchiel et lui se mettraient en route et remonteraient le fleuve en compagnie de Nuage Rouge et de ses hommes.

18.

(Extrait du journal du 9 octobre 3935)… J’ai hésité à accepter toute cette histoire de voyage vers les étoiles. Je savais que les nôtres le faisaient. Je savais que c’était possible. Je les ai vus partir, revenir après un certain temps, et j’en ai parlé avec eux. Nous en avons longuement discuté, et comme nous sommes humains, nous avons cherché à déterminer le mécanisme qui rend cela possible. Nous avons même quelquefois – mais moins souvent, maintenant – discuté pour savoir si ce nouveau trait de caractère que nous nous sommes découvert était désirable. Et l’utilisation même de cette expression, « trait de caractère », est révélatrice car elle souligne le fait que nous ne savons rien de la manière dont nous l’utilisons, ni de la manière dont il est apparu.

Je dis que j’ai quelque peu hésité à accepter l’idée de voyage vers les étoiles et c’est, je le sais, quelque chose d’assez curieux à dire. Je ne suis pas du tout sûr de pouvoir l’expliquer clairement. Évidemment, j’ai accepté le fait intellectuellement, et même émotionnellement, en ce sens que j’ai été aussi enthousiasmé que les autres par la réalisation de cette impossibilité apparente. Mais mon acceptation n’est pas totale. C’est comme si l’on m’avait montré quelque plante ou quelque animal invraisemblables (invraisemblables pour nombre de bonnes raisons logiques). En les voyant, je serais obligé d’admettre leur existence réelle, mais en les quittant, en m’éloignant d’eux, je douterais du témoignage de mes yeux, je me dirais que je n’ai pas pu vraiment les voir et je serais forcé de retourner les voir. Et après les avoir revus une seconde, une troisième, une quatrième, une cinquième fois, je douterais encore et il me faudrait retourner les voir à nouveau pour me rassurer. Peut-être y a-t-il quelque chose de plus : malgré mes efforts, je ne peux pas me persuader que ce soit une chose bénéfique, ni même convenable, pour l’homme. Une prudence innée, peut-être, ou une résistance à tout ce qui est trop révolutionnaire (attitude courante chez les gens de mon âge) me turlupine sans arrêt, me prédisant tout bas qu’il résultera des catastrophes de cette nouvelle faculté. Mon conservatisme refuse d’admettre qu’un tel don puisse être conféré à l’humanité sans qu’elle ait une lourde dette à payer en retour. Dans cet état d’esprit, j’ai sans doute inconsciemment supposé que, jusqu’à ce que je l’admette sans réserves, cette faculté ne pouvait exister et que, jusqu’à ce que son existence devienne incontestable, le paiement pouvait être différé.