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Bien sûr, tout cela est égocentrique – et même plus, c’est tout à fait stupide. J’ai parfois eu l’impression de m’être rendu tout à fait ridicule, bien que tout le monde se soit donné beaucoup de mal pour ne pas me le faire sentir. Car cela fait maintenant quelques années que ces voyages dans les étoiles ont lieu, et presque tous les nôtres ont, à ce jour, fait au moins un petit voyage. Pas moi, bien entendu. Mes doutes et mes réserves agiraient certainement comme un blocage psychologique qui s’opposerait à mon départ – mais il est vain de m’interroger là-dessus car je n’ai nullement l’intention d’essayer. Mon petit-fils Jason et son excellente femme, Martha, sont parmi le petit nombre qui n’a pas essayé, ce qui me rend très heureux étant donné mes préjugés. Je crois deviner que Jason porte aux hectares ancestraux un peu le même amour que je leur porte moi-même, et j’incline à croire que cet amour le gardera à jamais des étoiles, ce qui, si je ne m’abuse, n’est pas une tragédie. Son frère, John, au contraire, a été l’un des premiers à partir et il n’est pas revenu. J’ai passé de longues heures à m’inquiéter à son sujet.

Je suis évidemment tout à fait ridicule de m’obstiner dans cette attitude illogique. Quoique je puisse dire ou penser, l’homme a finalement cessé de dépendre de la Terre, tout à fait naturellement et simplement. Et ceci est peut-être la véritable raison de mon attitude : une gêne que l’homme cesse finalement de dépendre de la Terre après des millénaires.

La maison est pleine de souvenirs des étoiles. Ce matin même Amanda a apporté un magnifique bouquet de fleurs tout à fait étranges qui se trouve maintenant sur mon bureau. Il a été ramassé sur une planète dont j’ai complètement oublié le nom – mais le nom n’est pas important car ce n’est pas son vrai nom (si elle en a jamais eu un) mais celui que deux êtres humains, Amanda et son ami George, lui ont donné. Elle est située du côté d’une étoile très brillante dont j’ai aussi oublié le nom – évidemment, ce n’est pas un satellite de cette étoile mais celui d’une autre plus petite, tellement plus faible que même si nous avions un énorme télescope, nous ne distinguerions pas sa lumière. Il y a des objets étranges partout dans la maison – des branches avec des baies séchées, des rochers, des cailloux de couleur, des morceaux de bois exotique, des objets artificiels fantastiques ramassés dans des sites où des créatures intelligentes ont autrefois vécu, où elles ont construit et fabriqué les débris que nous ramassons maintenant. Nous ne possédons pas de photographies, et c’est dommage. Les caméras sont encore en état de marche, mais nous n’avons pas de films pour les charger. Un jour, quelqu’un trouvera peut-être le moyen de refabriquer de la pellicule et nous aurons alors des photos. Bizarrement, je suis le seul qui ait envisagé de prendre des photos, aucun des nôtres ne s’y intéresse.

Au début, nous avions peur que quelqu’un, en revenant des étoiles, ne se matérialise – ou ne se réassemble – dans sa forme naturelle à l’endroit précis où se trouverait quelque objet solide ou quelque autre personne – ce qui, dans ce second cas, serait extrêmement ennuyeux. Je ne crois pas que cette appréhension ait été vraiment justifiée, car si j’ai bien compris, le voyageur qui revient sonde, regarde, ou utilise quelque autre moyen pour se rendre compte de la situation et des conditions de l’endroit. Je dois admettre que je décris très mal tout cela, car, bien que cela me soit familier depuis un certain nombre d’années, je ne comprends pas ce qui se passe – ce qui est peut-être dû au fait que cette nouvelle faculté que les autres ont développée ne m’a pas du tout touché.

Quoi qu’il en soit, et c’est là où je voulais en venir, nous avons réservé la grande salle de bal du troisième étage comme aire de matérialisation pour le retour des voyageurs. Nous l’avons interdite à tous les autres et la règle est de garder cette pièce vide de tout objet. Quelques-uns des jeunes l’ont baptisée « le dépôt », remontant à l’époque pratiquement préhistorique où des autobus et des trains arrivaient et repartaient de dépôts. Le nom est resté. Il avait d’abord beaucoup fait rire, il semblait extrêmement drôle à certains des jeunes. Je dois avouer que je ne vois là rien de particulièrement drôle, mais je ne vois non plus rien de mal à ce qu’ils lui donnent le nom qu’ils veulent.

J’ai beaucoup réfléchi au développement de toute cette affaire, et malgré certaines des théories avancées par certains de ceux qui ont vraiment voyagé (et qui présument donc en savoir plus que moi à ce sujet), je pense qu’il s’agit peut-être d’un processus évolutif normal – en tout cas, c’est ce que j’aimerais croire. L’homme est passé de la condition d’humble primate à celle d’être intelligent, il est devenu constructeur d’outils, chasseur, fermier, il a contrôlé son environnement, il a régulièrement progressé au cours des années – et il est vrai que ce progrès ne s’est pas toujours fait pour son bien ni pour celui des autres. Mais, le fait est qu’il a progressé, et cette faculté d’aller dans les étoiles est peut-être un moment de l’évolution qui marque un pas de plus dans cette progression logique…

19.

Jason n’arrivait pas à dormir. Il ne pouvait s’empêcher de penser au Principe. Il ne savait pas comment il avait commencé à y penser. Pour se libérer de ses réflexions, il tenta sans y parvenir de retourner en esprit au point de départ de ses réflexions, mais celui-ci était trop confus, il ne put le retrouver et continua à s’interroger.

Il fallait qu’il dorme, se dit-il. Thatcher allait le réveiller tôt le lendemain matin, et il descendrait avec John le sentier qui menait au camp de Horace Nuage Rouge. Il était impatient de remonter le fleuve, ce serait intéressant – il y avait longtemps qu’il ne s’était pas éloigné de chez lui. Mais, si intéressant que ce soit, ce serait une dure journée et il avait besoin de sommeil.

Il essaya de compter des moutons et d’additionner des colonnes de chiffres imaginaires. Mais les moutons se refusaient à sauter et les chiffres retournaient au néant d’où il les avait tirés. Il continuait à s’inquiéter et à s’interroger au sujet du Principe.

Si l’univers était en création continue, s’il n’avait ni commencement, ni fin, s’il avait toujours existé et était destiné à exister à jamais, à quel point de cette éternité le Principe était-il né ? Ou bien, était-il lui aussi éternel, comme l’univers ? Si, par contre, l’univers était évolutif, s’il avait commencé à une date précise, en un lieu précis, et s’il devait prendre fin à une date et en un lieu précis, le Principe était-il déjà là, avant, à attendre, étrangeté sortie du néant ? Ou bien ne s’était-il développé qu’à une date ultérieure ? Et à partir de quoi s’était-il développé ? Et pourquoi dans cette galaxie ? se demanda-t-il. Pourquoi le Principe avait-il choisi de résider dans cette galaxie quand il aurait pu en choisir des milliards d’autres ? Y était-il né et y était-il resté ? Et si tel était le cas, quelles caractéristiques uniques offrait celle-ci pour déterminer son apparition ? Ou bien s’agissait-il de quelque chose de beaucoup plus grand que ce que l’on pouvait imaginer, et sa manifestation dans la galaxie n’était-elle que l’antenne d’une unité centrale beaucoup plus importante ?