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Tout cela était absurde, bien entendu. Il n’avait aucun moyen de trouver une réponse, aucun moyen logique d’arriver même à deviner ce qui s’était réellement passé. Il n’était pas en possession des données du problème. Personne ne les avait. Le seul qui pouvait savoir était le Principe lui-même. Toute sa réflexion était un exercice imbécile, Jason le savait. Il n’avait pas de raisons impératives de chercher une réponse. Et pourtant, son esprit continuait à s’interroger, il ne parvenait pas à l’arrêter, s’accrochant désespérément à une impossibilité à laquelle il n’aurait jamais dû prêter attention.

Il se retourna nerveusement et essaya d’enfoncer plus profondément sa tête dans l’oreiller.

— Jason, dit la voix de Martha dans le noir, dors-tu ?

— Presque, lui répondit-il en marmonnant. Presque.

20.

Son acier lisse brillait dans la lumière matinale. Il dit qu’il s’appelait Stanley et qu’il était heureux de leur venue. Il reconnaissait trois d’entre eux – Ézéchiel, Jason et Nuage Rouge, dans cet ordre – et il dit que le bruit de leur arrivée était parvenu jusqu’au Projet. Présenté à John, il manifesta un plaisir peu commun à l’idée de rencontrer un homme qui voyageait dans les étoiles. Il était affable, poli, et étincelait quand il marchait. Il dit qu’ils agissaient en bons voisins en leur rendant visite, même après toutes ces années, et qu’il était désolé de n’avoir à leur offrir ni nourriture, ni boisson, puisque les robots n’utilisaient ni l’un, ni l’autre.

Apparemment, ils avaient été surveillés dès l’apparition de la flottille qui remontait le fleuve car il les attendait en haut de la falaise quand ils avaient monté le sentier, après avoir laissé derrière eux, en bas sur la plage, les canoës échoués et les hommes qui avaient pagayé.

Au-dessus de la falaise s’élevait l’édifice – quoi qu’il puisse être. C’était une immense construction mince et cintrée qui s’évasait vers le ciel, d’un diamètre plus grand au sommet qu’à l’endroit d’où elle émergeait du sol, noire de nombreuses fenêtres métalliques qui luisaient dans le soleil matinal. Une immense construction mince et cintrée qui montait vers le ciel, ressemblant plus à un monument fantastique ou à une sculpture de rêve qu’à un édifice. Quand on la regardait, elle semblait n’avoir aucun sens. Elle était de forme circulaire, mais le cercle n’était pas parfait car un grand vide en forme de V entaillait sa circonférence.

De l’endroit où ils se trouvaient, ils apercevaient à une certaine distance de l’édifice évasé les ruines de l’ancienne cité, avec çà et là des pans de murs brisés, des squelettes métalliques de bâtiments qui s’élevaient encore au-dessus du sol inégal, ressemblant tout à fait aux bras ou aux mains raidis de cadavres hâtivement et trop peu profondément enterrés.

Il y avait d’autres ruines de l’autre côté du fleuve, mais la désintégration des bâtiments semblait moins avancée car de grands blocs de maçonnerie émergeaient encore par endroits.

Stanley vit Jason regarder ces bâtiments.

— La vieille université, dit-il. Nous avons fait beaucoup d’efforts pour préserver quelques édifices choisis.

— Vous les utilisez ?

— Leur contenu, oui. Nous nous servons de certains instruments et de certaines bibliothèques, de vieux ateliers et des laboratoires. Et nous sommes allés chercher ce qui leur manquait dans d’autres centres d’études. Mais il ne reste pas grand-chose ailleurs, dit-il avec un soupçon de tristesse.

— Vous avez utilisé vos connaissances pour construire ceci, dit John en désignant l’édifice évasé d’un geste du bras.

— C’est cela, répondit Stanley le robot. Vous venez pour en entendre parler ?

— En partie, dit Jason. Mais il y a aussi autre chose.

— Nous avons un endroit où vous serez beaucoup mieux que dans cette prairie venteuse, dit Stanley. Si vous voulez bien me suivre ?

Ils marchèrent à sa suite le long d’un sentier de terre battue jusqu’à une rampe qui menait à l’intérieur de l’édifice évasé. En descendant la rampe, ils constatèrent que seule la moitié de l’édifice se trouvait au-dessus du sol. Ses flancs lisses s’enfonçaient dans une grande excavation. La rampe descendait rapidement, s’enroulant le long des parois lisses de la construction évasée.

— Nous sommes allés jusqu’à la pierre pour que ce soit solide, dit Stanley. Jusqu’au calcaire.

— Et vous l’appelez le Projet ? demanda Nuage Rouge.

C’était la première parole qu’il prononçait. Jason l’avait vu se raidir, comme pour rassembler son courage, quand le robot étincelant était venu à leur rencontre. Il avait retenu son souffle un instant, par peur de ce que son vieil ami pourrait se sentir obligé de dire. Mais ce dernier n’avait pas parlé et Jason avait eu vers lui un élan d’affection et d’admiration. Au cours des années pendant lesquelles Nuage Rouge avait fréquenté la maison, il s’était développé entre lui et Thatcher quelque chose qui ressemblait à un affectueux respect. Mais Thatcher était le seul robot auquel le vieux chef consente à accorder un second regard. Et voilà que ce dandy de robot plein d’allant, compétent, sûr de lui, agissait comme leur hôte. Jason imaginait aisément que sa vue devait avoir soulevé le cœur du vieil Indien.

— C’est ainsi que nous l’appelons, monsieur, dit Stanley. Nous l’avons baptisé comme cela au début, puis c’est devenu une habitude et le nom est resté. Et c’est bien ainsi. C’est le seul projet que nous ayons.

— Et quel en est le but ? Il doit avoir un but ?

À la manière dont Nuage Rouge le disait, il était manifeste qu’il n’en croyait rien.

— Quand nous serons arrivés à l’endroit plus confortable, je vous dirai tout ce que vous voudrez savoir, dit le robot. Nous n’avons pas de secrets, ici.

Ils croisèrent d’autres robots qui remontaient la rampe, mais ils ne dirent rien et ne s’arrêtèrent pas. Et c’était là, pensa Jason en descendant la rampe, l’explication de tous ces groupes pressés, affairés, de soi-disant « robots sauvages » qu’ils avaient vus au cours des siècles – tous ces groupes affairés, absorbés par leur tâche, qui allaient dans toutes les directions et qui revenaient de toutes les directions pour chercher les matériaux nécessaires à la construction de l’édifice qui s’érigeait ici.

Ils atteignirent finalement le bas de la rampe. Le diamètre de l’édifice était beaucoup plus étroit, et là, tout au fond, se trouvait quelque chose qui ressemblait à une maison sans côtés, un toit posé sur de larges colonnes sous lequel on avait placé des tables, des bureaux et des chaises, ainsi que de grands fichiers et d’étranges machines. Jason décida que cela tenait en même temps du baraquement et de la salle de contrôle.

— Messieurs, si vous voulez vous asseoir, j’écouterai vos questions et j’essaierai de vous dire ce que vous voudrez savoir, dit Stanley. J’ai des associés que je puis convoquer…

— Un seul d’entre vous suffit, dit Nuage Rouge d’une voix dure.

— Je pense qu’il est inutile de déranger personne d’autre, dit rapidement Jason pour couvrir les mots de Nuage Rouge. Si j’ai bien compris, vous pouvez répondre pour les autres ?

— Je vous ai dit que nous n’avions pas de secrets, répondit le robot. Et nous sommes tous du même avis, ou presque du même avis. Je puis appeler les autres si besoin est. Je suppose qu’il n’est pas nécessaire de vous dire que je vous ai tous reconnus, à l’exception du gentleman qui revient des étoiles. Vos réputations vous ont précédés. Nous connaissons et admirons le chef, bien que nous soyons conscients de l’animosité que lui et sa race nous portent. Nous pouvons comprendre ce qui est à la base de cette attitude – que nous regrettons – et nous nous sommes fait une règle de ne pas vous importuner, monsieur, dit-il à Nuage Rouge.