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— Ce n’est pas une monstruosité, monsieur, dit Ezéchiel. Pour mes semblables, c’est une construction qu’il est logique d’entreprendre – encore que je m’empresse d’ajouter que ceux qui sont comme moi ne le feraient pas. Même si c’est logique, c’est une abomination construite par un orgueil coupable. Pourtant, je suis sûr que s’il en décide ainsi, il peut nous aider. Car, construit logiquement, il considérerait le problème logiquement…

— Nous allons le savoir car voici Stanley qui descend le sentier, annonça Jason.

Ils se levèrent et attendirent le robot étincelant. Celui-ci déboucha du sentier et vint sur la plage pour leur faire face. Il les dévisagea tour à tour.

— Pour vous, les nouvelles sont mauvaises, dit-il finalement.

— Vous n’allez donc pas nous aider ? dit Jason.

— Je suis sincèrement désolé, répondit le robot. Mon désir personnel serait de coopérer avec vous autant que nous le pourrions, mais nous avons construit le Projet, c’est l’un d’entre nous, le plus grand d’entre nous – je devrais peut-être dire (il fit un signe vers Nuage Rouge) notre chef, et nous devons donc nous conformer à son jugement. Car cela n’aurait pas de sens de créer un chef si nous ne lui faisions pas confiance et si nous ne le suivions pas.

— Mais sur quelles bases a-t-il pris sa décision ? s’enquit Jason. Est-ce parce que vous ne nous faites pas confiance ? Ou parce qu’à votre avis le problème est moins important que nous ne l’avons dit ?

Stanley secoua la tête :

— Aucune de ces raisons n’est la bonne, dit-il.

— Évidemment, vous vous rendez compte que si les Autres reviennent, ils pourront vous prendre sous leur domination – et le Projet lui aussi ?

Ezéchiel dit :

— Vous devez certainement à ces messieurs au moins la courtoisie…

— Ne te mêle pas de ça ! fit Stanley d’une voix sèche.

— Je m’en mêlerai ! dit Ézéchiel en martelant ses mots d’une colère inhabituelle. Ce sont les créatures qui nous ont faites. Ce sont nos créateurs. Nous leur devons toute notre loyauté. Votre Projet lui-même leur doit loyauté car pour le concevoir et le construire, vous avez non seulement utilisé l’intelligence que les humains nous ont donnée, mais c’est aussi dans le monde humain que vous avez récupéré les matériaux nécessaires à sa construction ainsi que le savoir que vous lui avez donné.

— Nous ne cherchons plus la loyauté, dit Jason. Peut-être n’aurions-nous dû jamais la chercher ? Je pense même parfois que nous vous devons des excuses pour vous avoir construits. Nous ne vous avons certainement pas donné un monde dont vous puissiez nous être reconnaissants. Mais, étant donné la tournure que prennent les choses maintenant, nous sommes tous concernés. Si les Autres reviennent occuper la planète, nous souffrirons tous.

— Que voulez-vous ? demanda Stanley.

— Votre aide, évidemment. Mais puisque vous ne pouvez nous la donner, je pense que nous avons le droit de demander pourquoi vous nous la refusez.

— Cela ne vous sera d’aucun réconfort.

— Qui parle de réconfort ? Ce n’est pas du réconfort que nous sommes venus chercher !

— Très bien, dit Stanley. Puisque vous insistez. Mais je ne peux pas vous le dire.

Il atteignit le sac qui était suspendu à sa taille, en sortit un morceau de papier qu’il déplia et lissa.

— Voici la réponse que nous a donnée le Projet, dit-il.

Il tendit le morceau de papier à Jason. Trois lignes étaient imprimées dessus. Elles disaient :

La situation en question nous est indifférente. Nous pourrions aider l’humanité, mais il n’y a aucune raison pour que nous le fassions. L’humanité est un facteur transitoire et ne nous concerne pas.

23.

Oncle Jason avait dit qu’elle devrait d’abord lire l’histoire – en commençant par les histoires générales. Il avait dit que cela lui donnerait une base pour comprendre le reste.

Et maintenant, assise devant le bureau dans la bibliothèque, écoutant le murmure du vent nocturne dans les gouttières, la grosse bougie posée devant elle ayant presque brûlé jusqu’à sa base, Étoile du Soir se demandait avec lassitude s’il était besoin de comprendre. La compréhension ne ferait pas disparaître du front d’Oncle Jason les rides d’inquiétude. Elle ne garantirait pas que, au cas où les Autres reviendraient, les forêts et les plaines à bisons resteraient comme avant le domaine de son peuple. Et cela ne lui dirait pas ce qu’il était advenu de David Hunt.

Elle devait reconnaître que, pour elle, cette dernière considération était la plus importante de toutes. Il l’avait tenue dans ses bras et embrassée le jour où ils avaient trouvé la créature du vallon, et ils étaient revenus à la maison ensemble, la main dans la main. Et c’était la dernière fois qu’elle l’avait vu, la dernière fois que quiconque l’avait vu. Elle avait parcouru les bois, espérant le trouver ou découvrir quelque indice de l’endroit où il avait pu aller, et elle se souvint même, en rougissant de honte, qu’elle était descendue jusqu’au monastère pour demander s’il y était passé. Les robots étaient restés indifférents. Ils avaient été polis, mais à peine aimables, et elle était rentrée à la maison en se sentant en quelque sorte avilie, comme si elle s’était montrée nue à ces hommes de métal indifférents.

L’avait-il fuie ? se demandait-elle. Ou bien avait-elle vu plus qu’il n’y avait vraiment dans ce qui s’était passé ce jour-là au creux du vallon ? Tous deux, elle s’en rendait bien compte, avaient été secoués par ce qui venait alors de se passer, et ils avaient peut-être trouvé l’un dans l’autre un exutoire au flot de leurs émotions. Et, avec un certain recul, peut-être cela ne voulait-il rien dire du tout ? Elle ne croyait pas que ç’avait été le cas, se dit-elle. Elle y avait réfléchi depuis et était arrivée à la conclusion que les événements n’avaient fait que provoquer quelque chose qu’elle ressentait déjà, qu’elle savait déjà mais dont elle n’avait pas entièrement pris conscience – c’est-à-dire qu’elle aimait cet errant qui venait de l’ouest. Mais elle se demandait s’il s’était posé la même question et s’il avait trouvé une autre réponse ?

S’était-il enfui ? Ou bien, avait-il encore quelque chose à chercher – après tous ces mois, tous ces kilomètres de quête, cherchait-il encore ? Était-il persuadé que ce qu’il recherchait – sans peut-être savoir vraiment ce que c’était – ne se trouvait pas dans cette maison, ni en elle-même, et avait-il continué à avancer vers l’est dans sa quête sans fin ?

Elle repoussa le livre et resta assise dans l’ombre et le calme de la bibliothèque, avec ses rangées de livres, devant la bougie qui coulait en arrivant à sa fin. L’hiver allait bientôt arriver, se dit-elle, et il aurait froid. Elle aurait pu lui donner des couvertures, des vêtements qui lui auraient tenu chaud. Mais il ne lui avait pas dit qu’il s’en allait et elle n’avait aucun moyen de le savoir.

Elle revécut une fois encore en esprit le jour où ils avaient trouvé la créature. Tout avait été extrêmement troublant et il lui était encore impossible de mettre de l’ordre dans ses pensées, de se dire que ceci était arrivé en premier, puis cela, puis encore cela. Tout était mélangé, comme si tout était arrivé en même temps, sans intervalle de temps – et pourtant, elle savait bien que cela ne s’était pas passé ainsi, qu’il y avait eu une progression dans les événements, bien que tout se soit très vite passé et sans régularité. Le plus bizarre était qu’elle avait du mal à dégager ce qu’avait fait David de ce qu’elle avait fait. Ils n’avaient peut-être pas tout fait ensemble, et elle se demanda une fois de plus si l’un d’eux aurait pu faire quoi que ce soit tout seul, ou s’il avait fallu qu’ils soient tous les deux ensemble pour que chacun puisse agir.