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— Si nous étions d’accord pour laisser ce continent, dit Harrison, pour ne nous installer que sur les autres…

— Autrefois, nous avons passé des traités avec les Indiens, dit Jason. Nous avions dit que les traités seraient respectés aussi longtemps que les fleuves couleraient, aussi longtemps que le vent soufflerait. Ils ne l’ont jamais été. Et vos prétendus accords ne le seraient pas non plus. Ils le seraient peut-être pendant quelques centaines d’années, sans doute moins que cela. En tout cas, guère plus. Dès le début, vous interviendriez. Vous voudriez faire du commerce, vous voudriez annuler vos anciens accords pour en passer de nouveaux, et à chaque fois les Indiens auraient de moins en moins. La même vieille histoire recommencerait. Une civilisation technologique n’est jamais rassasiée, elle est basée sur le profit et sur le progrès – ce qu’elle appelle progrès. Elle doit s’étendre ou mourir. Vous pourriez faire des promesses et être sincères en les faisant, vous pourriez avoir l’intention de les tenir, mais vous ne les tiendriez pas, vous ne le pourriez pas.

— Nous vous combattrions, dit Nuage Rouge. Nous ne le voudrions pas, mais il le faudrait. Nous perdrions, nous le savons déjà. Mais nous combattrions quand même, dès que la première charrue labourerait le sol, dès que le premier arbre tomberait, dès que le premier chariot arriverait…

— Vous êtes fous ! hurla Harrison. Vous êtes tous fous. Vous parlez de nous combattre ! Vous ? Avec quoi ? Des lances et des arcs !

— Je vous ai dit que nous savons que nous perdrions, dit Horace Nuage Rouge.

— Et vous nous interdisez la planète ? dit sombrement Harrison en se tournant vers Jason. Elle ne vous appartient pas. C’est notre planète aussi bien que la vôtre.

— La planète ne vous est pas interdite, dit Jason. Nous n’avons pas de droits légaux, ni même de droits moraux. Mais, au nom de l’honnêteté, je vous demande de vous tenir à l’écart de nous, de nous laisser. Vous avez d’autres planètes, il en existe encore d’autres dont vous pourriez vous emparer…

— Mais celle-ci est notre planète, dit Reynolds. Elle a attendu pendant toutes ces années. Vous, une poignée de gens, vous ne pouvez pas empêcher le reste de la race humaine de prendre ce qui lui appartient. Nous en avons été arrachés, nous ne l’avons pas abandonnée. Pendant toutes ces années, nous y avons pensé comme à notre planète.

— Vous n’espérez tout de même pas que nous allons vous croire ? dit Jason. Cette histoire des expatriés revenant sur le vieux sol familier, pleins de reconnaissance… Laissez-moi vous dire ce que je pense.

— Je vous en prie, dit Reynolds.

— Je pense qu’il est possible que vous ayez connu l’emplacement de la Terre depuis des années, dit Jason. Mais cela ne vous intéressait pas. Vous saviez qu’il ne restait pas grand-chose de valeur et que la Terre ne pouvait offrir que de l’espace pour vivre. Et puis, d’une manière quelconque, il vous est parvenu un bruit disant que les gens laissés sur Terre pouvaient voyager dans les étoiles sans aide extérieure – qu’ils pouvaient aller n’importe où en un clin d’œil, à volonté – et disant qu’ils pouvaient communiquer télépathiquement à travers de grandes distances. Peut-être le premier bruit ne vous a-t-il pas donné une image exacte de tout cela, mais il y en a eu d’autres, et l’histoire a de plus en plus pris forme. Vous avez alors pensé que si vous pouviez ajouter ce genre de facultés à votre technologie, vous progresseriez plus vite, vous pourriez accroître vos profits, vous auriez plus de pouvoir. Et c’est alors, et alors seulement, que vous avez songé à revenir sur Terre.

— Je ne vois pas où vous voulez en venir, dit Harrison. Le fait est que nous sommes là.

— Le point où je veux en venir est le suivant, dit Jason. Ne nous menacez pas de vous emparer de la Terre dans l’espoir que nous bluffons, que nous finirons par céder et que nous vous donnerons ce que vous voulez pour vous empêcher de coloniser la Terre.

— Et si nous décidons quand même de la coloniser ?

— Alors, vous la coloniserez. Nous n’avons aucun moyen de vous en empêcher. Le peuple de Nuage Rouge sera anéanti. Le rêve des robots prendra peut-être fin. Deux cultures qui auraient pu arriver à quelque chose seront détruites et vous aurez sur les bras une planète sans valeur.

— Pas sans valeur, dit Reynolds. Vous pourriez reconnaître les progrès que nous avons faits. Avec ce que nous avons maintenant, la Terre aurait un intérêt économique en tant qu’avant-poste, en tant que base, en tant que planète agricole. Cela vaudrait la peine.

Les bougies coulaient dans un courant d’air qui ne venait de nulle part. Le silence tomba. Le silence, pensa Jason, parce que tout ce qui pouvait être dit avait été dit et qu’il ne servirait à rien d’en dire plus. C’était la fin, il le savait. Ces deux hommes, assis de l’autre côté de la table, n’avaient aucune compassion. Peut-être comprenaient-ils ce qui était en jeu, mais c’était une compréhension dure et froide, qu’ils essaieraient de tourner à leur avantage. On les avait envoyés exécuter un travail, les deux qui étaient là et les autres qui se trouvaient dans le vaisseau qui orbitait autour de la Terre, on les avait envoyés exécuter un travail et ils avaient l’intention de le faire. Ce qui pouvait résulter de l’accomplissement de leur travail leur était indifférent – cela leur avait toujours été égal, maintenant comme autrefois. On avait détruit des sociétés, extirpé des cultures, épuisé des vies humaines et des espoirs, ignoré toute honnêteté, tout avait été sacrifié au progrès. Et que pouvait bien être le progrès ? se demandait-il. Comment pouvait-on le définir ? Ne s’agissait-il que du pouvoir pur et simple, ou était-ce plus que cela ?

Une porte claqua quelque part. Un courant d’air froid passa dans la pièce. Un bruit de pas leur parvint de l’entrée. La porte s’ouvrit et un robot qui étincelait en marchant entra.

Jason se mit rapidement debout.

— Stanley ! dit-il. Je suis heureux que vous ayez pu venir, mais il est trop tard, j’en ai peur.

Stanley désigna d’un geste les deux hommes.

— Ce sont eux ? demanda-t-il.

— Exactement, dit Jason. J’aimerais vous présenter…

Le robot dédaigna les présentations :

— Messieurs, leur dit-il, j’ai un message pour vous.

32.

Il descendit la crête qui dominait le fleuve, marchant à grands pas dans la fraîche nuit automnale éclairée par la lune. Il arriva au bord d’un champ de maïs dans lequel se dressaient des gerbes, wigwams fantomatiques. La créature piaillante le suivait, se hâtant pour rester à sa hauteur, ne le lâchant pas d’une semelle. Le cri solitaire d’un raton-laveur provenait de quelque part dans le champ.

David revenait vers la grande maison qui surplombait les fleuves. Il pouvait maintenant revenir car il connaissait la réponse – ou, en tout cas, un début de réponse. Étoile du Soir devait l’attendre – du moins, il l’espérait. Il se rendait compte qu’il aurait dû la prévenir de son départ et lui en donner la raison. Mais, pour une cause qui lui échappait, il n’avait pas réussi à trouver les mots qu’il aurait fallu, et même s’il avait su quoi dire, il aurait été gêné de parler.