— Et moi Načelnik Pourquoi me mens-tu ?
— Je ne te mens pas, je m’appelle…
— …Ombe et tu es un ange.
Il sourit, ses yeux brillent et, soudain, je réalise que je suis à moitié nue, allongée sur un garou beau comme un rêve qui, lui, est complètement nu.
Je réalise également que, hormis son prénom, j’ignore tout de lui.
Je réalise enfin qu’il a retrouvé, nos positions respectives m’ôtant la possibilité d’en douter, toute sa vigueur.
Son regard brûlant clame son envie de refermer ses bras sur moi, de m’embrasser, de me…
Réagis, Ombe.
L’action est ton domaine, le réflexe une seconde nature, bouge !
Načelnik n’a pas le temps de faire un geste, je le plaque sur le lit, l’immobilise d’une clef imparable…
… et j’écrase ma bouche sur la sienne.
Souvenir…
Mon premier véritable amoureux.
Celui avec lequel j’échange mon premier baiser sur la bouche.
Je ne suis pas bien vieille. Lui à peine davantage.
Il l’a voulu ce baiser, il l’a espéré, cherché, supplié et quand, un matin, nous nous retrouvons derrière le hangar, quand nos lèvres se…
Waouh !
Le lendemain, il m’évite, me fuit, se cache.
Nous ne nous embrasserons plus.
Je ne comprends pas. Ses yeux brillaient tellement quand nos lèvres se sont séparées.
9
J’ouvre les yeux.
10 h 30 m’annonce le réveil lumineux posé près de mon lit.
Je lui envoie une claque qui lui enlève l’envie de jouer au mariolle et je me retourne pour réveiller le type le plus formidable que j’aie eu l’occasion de rencontrer de ma vie.
Il a dormi trois heures. Ça devrait suffire, non ?
Apparemment non, vu les difficultés que j’éprouve à obtenir une réaction. J’ai beau le bousculer, le chatouiller, le pincer – pour plus de détails veuillez d’abord certifier que vous êtes majeur – il ne bouge pas.
Il dort, bras écartés, respiration ample et profonde, si paisible que mon envie qu’il ouvre les yeux cède la place au désir de le laisser profiter d’un repos mérité. Pendant ce temps, je l’observe en détail, même si la nuit agitée qui vient de se dérouler m’a donné l’occasion de l’examiner de près.
Il est vraiment canon. Musclé juste ce qu’il faut, j’entends par là large d’épaules, taille fine, abdos dessinés, fesses rondes, mais pas bodybuildé ou…
10 h 30 ?
Merde !
Le rendez-vous au bureau de l’Association !
Je saute du lit, enfile mes vêtements, mon blouson, me précipite à la salle de bain pour me passer de l’eau sur le visage, attrape mon casque – heureusement que j’en possède deux – et fonce vers la sortie. Au dernier moment je me ravise. Il serait judicieux d’appeler mademoiselle Rose pour désamorcer, un peu, la bombe qui m’explosera à la figure quand j’arriverai devant elle.
La porte de Lucile est entrouverte. Se pourrait-il qu’elle ne soit pas rentrée de la nuit ? De la part de la douce et sage Lucile, ce serait une première ! Plus probablement, elle est rentrée et ressortie, et vu euh… l’agitation qui régnait dans ma chambre, je ne l’ai pas entendue.
Son ordi est toujours allumé. Quand je touche la souris, son économiseur d’écran, une montre molle à la Dali, cède la place à son bureau. Je n’ai aucune intention de me montrer curieuse mais une icône dans un coin attire mon attention comme un aimant attire un morceau de fer.
C’est pourtant une icône banale, si banale que je ne l’ai pas remarquée cette nuit, une bête valise bleue figurant un dossier, même si le nom qui est écrit dessous est, lui, tout sauf banal.
C’est le mien.
Ombe.
Je clique. Le dossier demande un mot de passe pour s’ouvrir. J’essaie Lucile puis Norvège, Lulu, Paris, et même Traviata. En vain.
Zut, ce n’est pas bien ce que je fais pourtant ma curiosité est trop à vif pour que je résiste. J’attrape la clef USB qui traîne toujours dans la poche de mon blouson et j’y copie le dossier.
Puis je quitte l’appart en courant.
Je suis dans la rue lorsque je réalise que je n’ai pas appelé le bureau. Tant pis. Advienne que pourra.
La rue du Horla ne se situe pas dans le quartier où j’habite mais je l’atteins en un temps record. Je gare ma bécane devant le 13, un immeuble ventru et décrépit qui se dresse entre un chantier immobilier tournant au ralenti et un hôtel de passe. Discrétion assurée, amateurs de bon goût s’abstenir.
Les bureaux de l’Association se trouvent au deuxième étage, juste au-dessus de l’Amicale des joueuses de bingo – toujours pas cherché ce que c’est, le bingo, moi ! – et en-dessous d’un Club philatéliste fréquenté par une bande de jeunes… du siècle dernier.
La porte, une vilaine porte verte protégée, selon Jasper, par une batterie de sortilèges plus terribles les uns que les autres, s’ouvre avant que j’aie eu le temps de frapper.
Mauvais signe, ça !
J’entre.
Mademoiselle Rose, assise derrière son bureau, lève les yeux de son écran pour les fixer sur moi. Mauvais signe aussi. D’habitude, elle achève toujours ce qu’elle a commencé avant de s’occuper des visiteurs.
— Considères-tu que 11 heures du matin soit la première heure ? me demande-t-elle d’une voix où il serait vain de chercher une trace d’humour.
— Euh… je n’ai pas beaucoup dormi, je cherchais à faire reprendre conscience à Na… au garou, je n’y suis pas arrivée et je…
— Ombe ?
— Oui, mademoiselle Rose ?
— Que tu n’aies pas beaucoup dormi, je n’en doute pas. Le garou – Načelnik c’est ça ? – m’a paru en revanche parfaitement conscient.
— Vous… vous…
— Évidemment ! Ce matin, lorsque ton retard est sorti du cadre du raisonnable pour entrer dans celui du surprenant puis de l’inquiétant, j’ai averti Walter et nous avons utilisé un sort de vision à distance.
— Vous… vous…
— Oui. C’était ça ou envoyer une équipe d’intervention chez toi.
— Vous… vous…
— Rassure-toi, quand nous avons compris que tu n’étais pas en danger, nous nous sommes retirés. Tu veux bien faire ton rapport, maintenant ?
— Mon… rapport.
— Oui, ton rapport. Rapport dans le sens de témoignage. Tu étais censée obtenir de Načelnik les informations que tu n’as pas réussi à récupérer sur le terrain.
— Je… je… nous n’avons pas vraiment eu le temps de parler.
— Je comprends.
Est-ce que je rêve ou un sourire est-il en train de naître sur les lèvres de mademoiselle Rose ? Si c’est le cas, j’assiste à une grande première !
Une première grande et courte.
Le sourire de mademoiselle Rose disparaît avant d’avoir éclos.
Une illusion ?
— Walter t’attend dans son bureau.
Je réprime un soupir.
— Obligée ?
— Obligée. Walter tient à te fournir personnellement le complément de consignes dont tu sembles avoir besoin pour achever ta mission.
Je capitule. D’un pas lent, j’emprunte le couloir de gauche jusqu’à atteindre la porte de Walter. Elle est ouverte.
— Entre, Ombe.
Walter est le directeur de l’agence parisienne. Inutile d’imaginer un jeune cadre dynamique en costume Armani. Walter est vieux, cinquante ans au minimum, gros, chauve et, en guise de costume, il a le chic pour s’affubler de chemises plus affligeantes les unes que les autres qu’il assortit de cravates moches à vomir.
— Alors, Ombe, cette enquête chez les garous ? Intéressante ?