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— En éliminant les opposants.

— C’est ça. M’éliminer lui aurait suffi puisque j’étais celui qui avait été choisi pour le combattre mais il voulait savoir qui était de mon côté afin de faire le ménage à plus grande échelle.

— Et la drogue ?

— Je n’en sais guère plus si ce n’est qu’un groupe de vampires mené par un certain Séverin s’est mis en tête de vendre une drogue désinhibante aux Anormaux. Tellement désinhibante qu’une fois sous son influence, ils n’ont plus aucune conscience de leur situation et se livrent à tous les excès. À court terme, notre existence risque d’être révélée, ce qui marquera notre fin. Pour puissants que nous soyons, les humains sont trop nombreux pour que nous ayons une chance raisonnable de survivre hors de la clandestinité.

— Quel rôle joue ton clan dans ce trafic de drogue ?

— Cette drogue est fabriquée par des magiciens travaillant sous le contrôle de Séverin et de sa bande. Les garous sont chargés de la protection des installations et de la distribution. Chiens de garde et dealers. Quelle déchéance !

Il a serré les poings, cessant d’être séduisant pour devenir presque effrayant de colère contenue. Chez les garous, le pouvoir appartient au plus fort, charge à celui qui l’a conquis de s’en montrer digne. Les combats entre prétendants, je l’ai lu, sont violents, parfois mortels, mais un chef, un Alpha, ne peut en aucun cas se défiler s’il est provoqué.

— Tu comptes toujours défier Trulež ?

Je connais la réponse que va m’offrir Načelnik. Je la lis dans ses yeux, dans la crispation de ses mâchoires, dans l’envie de vengeance qui pulse en lui.

— C’est, hélas, impossible.

Tout faux, Ombe.

— Pourquoi ? Tu as peur de perdre ?

Glups. J’essaie de ravaler mes mots mais il est trop tard.

Les lèvres de Načelnik se retroussent sur des dents – des crocs ? – modèle « je te mords, tu meurs » tandis qu’un grondement sourd monte de sa poitrine. Chance pour moi, il parvient à se contrôler.

— Je n’ai pas peur de ce chacal !

Il a martelé chaque syllabe.

Inutile d’avoir fait des études supérieures pour comprendre que chacal, dans la bouche d’un garou, est la pire des insultes.

— C’est quoi alors le problème ?

— Les problèmes.

— D’accord. C’est quoi les problèmes ?

Načelnik prend une profonde inspiration et ses dents retrouvent des dimensions raisonnables. Il me fixe de son regard intense.

— Le premier problème, le plus important, c’est que Trulež a un second, Lakej. Du coup, nos lois m’obligent à avoir, moi aussi, un second qui affrontera Lakej avant que je puisse massacrer Trulež.

— C’est un problème, ça ?

— Oui. Lakej est un monstre, un tueur, même selon les normes des garous. Aucun de mes amis n’est de taille à l’affronter. Moi seul en suis capable et je n’en ai pas le droit, pas si je veux m’occuper de Trulež.

— Je vois. Et le second problème ?

— Un prétendant au titre de chef doit prouver qu’il contribuera au bien-être matériel du clan en acquittant un droit au combat.

— Un droit au combat ?

— De l’argent qui servira à aider les familles de garous dans le besoin. Une somme importante.

— Combien ?

— Chaque prétendant l’évalue à sa guise mais, en dessous de cinquante mille euros, il perd toute crédibilité et a de fortes chances d’être réduit en charpie par son clan avant même d’avoir combattu.

Je m’autorise un sourire.

— J’adore la délicatesse des us et coutumes garous…

Puis je me penche vers Načelnik et plante mes yeux dans les siens.

— Et si je trouvais une solution à tes deux problèmes ?

12

Il fait nuit quand nous quittons mon appart pour gagner le lieu que Načelnik appelle la Friche et qui est le quartier général de son clan.

La rue Muad’Dib n’est ni la rue de la Paix ni les Champs-Élysées et aucune guirlande lumineuse n’a été tendue d’un immeuble à l’autre. Pourtant, pour la première fois depuis une éternité, j’ai le cœur en fête, même si la fête en question n’est pas Noël. Toutes les roues tournent, Ombe, et celle de ta vie amorce une vraie jolie rotation.

Pendant que je vais chercher ma bécane, Načelnik prend la première à droite, direction le marchand de cycles du boulevard de Fombelle. Nous avons pas mal de trajet à faire à moto et il a besoin d’un casque pour qu’on puisse rouler tranquilles. Alors que je le regarde s’éloigner puis disparaître, je sens une drôle de fleur s’épanouir dans mon ventre. Douce, colorée, odorante…

Waouh !

Je me secoue. Au boulot, Ombe. Tu cueilleras les fleurs plus tard.

Le boulevard de Fombelle est à sens unique, ce qui m’oblige à effectuer un détour conséquent avant d’arrêter ma bécane sur le pont qui surplombe les rails du métro, à une dizaine de mètres du magasin où Načelnik est en train de payer son casque.

Je coupe le contact et, tandis que mes fesses restent sur la selle, mon esprit s’envole. Ce que j’éprouve dans les bras de Načelnik va très au-delà d’une simple plénitude physique. Nous nous emboîtons à la perfection, et je ne parle pas uniquement de cette évidence des corps qui me fait suffoquer quand il me touche. C’est plus que ça. Bien plus. Le sentiment – la certitude ? – que c’est lui.

Juste ça.

C’est lui.

J’ai envie de crier que je suis heureuse, que la vie est belle, que…

J’ai crié pour de bon ? Un type s’arrête devant moi pour me dévisager.

Jeune, plutôt mignon, vêtements de motard, sa silhouette et son visage me soufflent qu’on se connaît mais, malgré mes efforts, je ne parviens pas à l’identifier.

— Est-ce que je…

Le type sourit, plonge la main dans sa poche et, toujours souriant, en sort un pistolet, une arme monstrueuse du genre Taser, qu’il braque sur ma poitrine.

Merde !

Le type qui m’a coursée à moto il y a trois jours sur le périphérique ! Le fou à qui je n’ai échappé que par miracle. Je ne sais ni qui il est ni ce qu’il me veut mais il m’a retrouvée et, assise stupidement sur ma moto, je suis coincée. S’il tire, je…

Il tire.

Aucune chance de me rater.

Sauf qu’à l’ultime seconde une silhouette massive s’interpose entre lui et moi.

Entre la bouche du Taser et mon cœur.

Načelnik !

— Non ! ! !

Mon hurlement ne parvient pas à masquer le chuintement du Taser. Un flux de cette étrange et meurtrière énergie qui a failli me griller déjà une fois nimbe soudain le torse et la tête de Načelnik. Un filament résiduel se glisse sous son bras et frôle le mien.

J’ai l’impression d’être plongée dans un bain d’huile bouillante, l’impression que ma peau est arrachée, mes muscles déchiquetés, mes nerfs tailladés. Ce n’est qu’un infime frôlement et j’ai l’impression de mourir.

Načelnik…

Načelnik…

Načelnik, lui, ne bronche pas.

Pas plus gêné que s’il avait été arrosé avec un pistolet à eau.

Il ne bronche pas mais il bouge.

Vite et fort.

Son poing percute le type au Taser sous le menton. Si violent que mon agresseur transformé en pantin désarticulé bascule par-dessus la rambarde pour s’écraser sur les rails du métro cinq mètres plus bas.

— Tu n’es pas blessé ?

Je peine à respirer et ma voix chevrote comme celle d’une grand-mère. Načelnik me lance un coup d’œil surpris.

— Blessé ? Non. Moins que lui en tout cas.

Alors que la souffrance qui a paralysé mon corps s’estompe lentement, je jette un regard sur la voie. Si j’en crois son état – plutôt abîmé – et sa position – plutôt désorganisée – ce fou furieux ne tirera plus jamais sur les gens.