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L’action a duré trois secondes. Personne ne lui a prêté d’attention.

Si.

Un vieux bonhomme de l’autre côté de la rue.

Il n’ose pas intervenir mais il a tout vu. Dans un instant, il va…

— On se casse ! jette Načelnik. Tu peux piloter ?

J’acquiesce et, pendant que je lance le moteur de ma Kawa, il s’assoit derrière moi. En moins de temps qu’il en faut pour l’écrire, nous disparaissons.

Je roule un bon moment en tentant d’offrir un sens à ce qui s’est produit. Je n’y arrive pas. Je finis par m’arrêter près d’un immeuble en construction. La Friche n’est plus très loin et j’ai besoin d’avoir l’esprit libre quand nous l’atteindrons.

— Tu es certain de ne pas être blessé ?

Drôle que ce soit la première chose que je pense à demander.

Načelnik doit sentir l’émotion qui menace de m’emporter maintenant que le danger est passé parce qu’il referme ses bras sur moi.

— Promis, m’assure-t-il. Tu connaissais ce chacal ?

— Non. Enfin, oui.

— Oui ou non ?

En quelques mots, je lui raconte ma rencontre avec le motard qui a tenté de me tuer trois jours plus tôt avant d’exprimer ce qui me tracasse le plus.

— Je ne comprends pas pourquoi tu n’as rien senti quand il a tiré. L’énergie, l’onde ou le je ne sais trop quoi qui est sorti de son flingue m’a à peine effleurée et j’ai cru que je m’évanouissais de douleur.

Načelnik hausse les épaules.

— C’est peut-être un truc sans effet sur les garous.

— Peut-être.

— En tout cas, ce gars sentait la satisfaction du travail accompli.

— Il sentait quoi ?

— La satisfaction du travail accompli. Nous, les garous, possédons un odorat très développé qui ne se limite pas à percevoir les odeurs auxquelles vous, les humains, êtes limités. Ce chacal était convaincu d’agir pour la bonne cause en te liquidant.

— Vous êtes vraiment capables de sentir des choses comme ça ?

— Oui. L’odorat est un sens primordial pour nous. Plus encore que la vue.

— C’est génial.

Le regard de Načelnik s’assombrit.

— Oui. Sauf que, parfois, c’est… terrible.

Alors que je m’apprête à lui demander des précisions sur ce qu’il entend par terrible, il me ferme la bouche d’un baiser sauvage. Lorsque, un long moment plus tard, nos lèvres se séparent, il a les yeux qui brillent et moi le ventre qui vibre.

Waouh !

— Voilà ce que je te propose, dit-il en me caressant la joue. Ce soir, nous nous occupons de Trulež et dès demain je mets tout mon clan sur ton type au Taser. Ce serait étonnant que nous ne découvrions rien. Ça te va ?

— Ça me va.

Un dernier baiser et nous reprenons la route. Tiens-toi bien, Trulež, on arrive.

13

La Friche est une ancienne usine aménagée en salle de concert underground, en bar pour noctambules déjantés et, accessoirement, en lieu de rendez-vous pour les trafics louches de la capitale.

Je m’y suis déjà rendue trois ou quatre fois pour écouter des groupes de heavy metal, certes peu connus mais qui, en terme d’énergie et de nombre de watts développés, n’ont rien à envier aux plus grands. J’ignorais en revanche que la Friche était le fief du clan de Načelnik.

Quand je pense que je suis sans doute passée à côté d’une dizaine de garous sans deviner une seconde leur nature, je ne suis pas très fière. J’ai pourtant lu une bonne partie de ce qui a été écrit à leur sujet et j’estimais jusqu’à aujourd’hui être, sans doute pas une experte, mais au moins une spécialiste.

Tout faux, Ombe.

Je me gare devant l’entrée principale, un portail métallique dans une ruelle sombre, près de laquelle discutent cinq types franchement suspects, une collection ambulante de sales gueules et de crasse. Avec un remarquable ensemble, ils pivotent pour jauger la carrosserie de ma bécane… et la mienne.

Un sifflement gras résonne suivi d’une série de remarques subtiles que je m’efforce de ne pas entendre. Quelques mots arrivent néanmoins à mes oreilles, avec pour effet immédiat de faire bondir mon taux d’adrénaline.

Je me tourne vers Načelnik qui est en train d’enlever son casque.

— Si j’en affiche un contre le mur et que j’en enroule un autre autour de ce poteau, tu crois qu’ils seront d’accord pour surveiller ma Kawa ?

— Ta moto ne risque rien, me répond Načelnik en haussant la voix de façon à être entendu des cinq types. N’est-ce pas les gars ?

Je m’attendais à une vague d’injures colorées suivie d’un échange de baffes en guise d’échauffement à ce qui nous attend, c’est un geyser de flagorneries puantes qui s’élève en réponse à sa question.

— Non, bien sûr, Nač.

— Non, Nač, elle risque rien, la moto de ta copine.

— Nous, tu sais, on bouge pas d’ici, alors on la surveille volontiers.

— Désolé, Nač, on t’avait pas reconnu.

— Compte sur nous, Nač.

— Bonne soirée, Nač…

Après ça, difficile de douter que la Friche appartient aux garous et que, parmi ces garous, Načelnik est de ceux qui comptent. Les cinq types s’écartent pour nous laisser le passage. C’est drôle, je n’avais pas remarqué à quel point ils étaient pâles.

De l’autre côté du portail, une cour décorée façon hard trash avec une carcasse de bagnole éventrée, une pile de moteurs usagés, des tonneaux rouillés dégorgeant des flots de cannettes vides, des murs tagués de haut en bas et, au sol, un tapis de mégots si épais qu’en récupérant les miettes de tabac on ferait fumer la Chine pendant dix ans.

Le genre de lieu que je fréquente volontiers. Tant que j’ai la possibilité de ne pas y rester.

Même chose pour la faune installée dans la cour. Des trognes patibulaires, des regards variant du torve au franchement provocant, des cheveux longs ou des crânes rasés, beaucoup de cuir, de piercings, de tatouages… La faune de base qui fréquente les endroits comme la Friche.

J’aime bien.

Tant que je ne suis pas obligée de vivre avec.

Un type, qui doit compter plus d’armoires normandes que de prix Nobel dans son arbre généalogique, nous ouvre la porte après avoir salué Načelnik d’un : « Ça arrache, Nač ? » d’une impressionnante voix de baryton.

Une vague de décibels déchaînés déferle sur nous, dialogue dément d’une guitare survoltée et d’une basse dopée aux amphétamines. Je reconnais immédiatement For Whom the Bell Tolls même si les hardeux qui se produisent sur la scène de la Friche n’ont pas le niveau de Metallica. Loin de là.

À l’intérieur ça grouille, ça hurle, ça gesticule, ça danse, ça boit, ça braille, ça saute, ça vocifère, ça fume, dans l’explosion lumineuse d’une rampe de projecteurs pris de folie et le cataclysme sonore dispensé par les enceintes géantes positionnées devant la scène.

Génial ! Je m’attarderais volontiers mais Načelnik m’a saisi la main et m’entraîne derrière lui, fendant la cohue trépidante avec l’efficacité et l’absence d’émotion d’un brise-glace.

Une deuxième porte, du genre porte de coffre-fort suisse. Elle est gardée par deux colosses que j’identifie au premier coup d’œil : garous ! Ils toisent Načelnik sans aménité.

— Qu’est-ce que tu fous ici ? crache l’un d’eux.

— Je suis venu arracher la tête de Trulež.

Dialogue limite simpliste qui a le mérite d’être clair. Les garous s’écartent.

Au moment où Načelnik pousse la porte, un des deux colosses pose la main sur son épaule. Je me tends, prête à la bagarre, mais le garou se contente de fixer Načelnik droit dans les yeux.