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Euh… je chercherai la réponse plus tard, d’accord ?

La respiration du garou s’est apaisée. Étendu sur mon lit, les yeux clos, il ne tremble plus et sa peau, si elle reste pâle, a perdu son inquiétante lividité. Le produit que lui a injecté le sbire de Trulež – un sérum de vérité ? – n’a pas réussi à le terrasser et je croise les doigts pour que ses jours ne soient plus en danger.

Je profite de cette pause dans mon marathon de sauvetage pour le détailler.

Il est vraiment charmant, traits virils mais doux, cheveux noirs et drus, épaules larges, ventre plat, jeune, pas plus de vingt-cinq ans, pile poil le genre de type qui me…

On se calme, Ombe ! C’est un garou, tu ne le connais pas, tu n’as même pas entendu le son de sa voix. Rien ne t’affirme qu’il ne s’agit pas d’un psychopathe, d’un demeuré ou, plus simplement, d’un type sans le moindre intérêt.

D’accord.

N’empêche qu’il est charmant.

Les drôles d’idées qui me passent par la tête ont au moins le mérite d’attirer mon attention sur la puanteur qui imprègne mes vêtements et mes cheveux et je file sous la douche en réfléchissant à un moyen d’avertir l’Association.

Je pourrais sortir dans les rues du quartier à la recherche d’une cabine téléphonique en état de marche mais cette quête risque fort d’être longue et vaine. J’éprouve, en outre, quelques réticences à abandonner le garou seul dans l’appart.

L’idée d’utiliser la magie m’effleure à nouveau. M’effleure juste, et pas longtemps. Les sortilèges de contact à distance sont autrement plus complexes que ceux permettant de forcer une serrure. Hors de portée en ce qui me concerne.

Je trouve une solution alors que j’enfile un jean et un tee-shirt.

Nous possédons une connexion Internet haut débit et si Laure et moi ne nous en servons que pour surfer sur le Net, Lucile l’utilise avec Skype pour parler à sa famille restée en Norvège. Skype, un logiciel qui permet d’appeler partout dans le monde ou presque.

Reste un petit problème. Autant Laure, Lucile et moi passons d’agréables soirées communes dans le salon, autant nous partageons sans problème cuisine et salle de bain, autant nos chambres sont un endroit perso où les autres ne pénètrent que si elles y sont conviées.

Je n’hésite pas longtemps. C’est un cas de force majeure. Je ne crois pas que Lucile m’en voudra si j’entre sans autorisation sur son territoire.

Sa chambre pourrait ressembler à la mienne, plafond rampant, rayonnages couverts de bouquins, sauf que, différences importantes, elle est rangée, aucun sac de frappe n’est suspendu à la poutre et il serait vain d’y chercher le moindre album de heavy metal, Lucile n’écoute que de l’opéra !

Bon, je ne suis pas là pour critiquer ma copine mais pour utiliser son ordinateur. Il est allumé, chance, et l’emploi de Skype est d’une simplicité enfantine.

Je compose le numéro d’urgence de l’Association. Alors que je suis censée tomber sur une boîte vocale, ce n’est pas une machine qui décroche à la deuxième sonnerie, c’est mademoiselle Rose en personne.

— Oui, Ombe. Que t’arrive-t-il ?

L’ordinateur de Lucile se serait transformé en barbe à papa géante que je n’aurais pas été plus surprise. Par les dents de Lucifer, comment mademoiselle Rose se débrouille-t-elle pour être toujours là quand je téléphone, y compris au milieu de la nuit ? Surtout, comment sait-elle que c’est moi qui appelle ?

Mademoiselle Rose est la secrétaire du bureau parisien et je suis persuadée, depuis la première fois que je l’ai vue, qu’elle n’est pas humaine. Pas totalement humaine. Cheveux gris attachés en chignon, lunettes cerclées de métal, tailleur gris impersonnel, elle fait tout son possible pour avoir l’apparence d’une austère secrétaire du siècle dernier mais je ne suis pas dupe. Cette femme, j’en suis certaine, mène une vie à rendre jaloux le plus intrépide des aventuriers. Quant à moi, elle m’inspire un étonnant mélange d’admiration et de frousse. Mélange d’autant plus étonnant que les gens que j’admire se comptent sur les doigts d’une main et ceux que je crains sur le pouce de l’autre.

— Je t’écoute, Ombe.

Mademoiselle Rose n’a pas besoin d’élever le ton pour obtenir ce qu’elle désire et même quelqu’un d’aussi réfractaire à l’autorité que moi ne ramène pas sa fraise devant elle.

En l’occurrence et puisqu’elle attend que je raconte, je raconte. L’entrepôt, les garous. Tout. Depuis le début.

Elle me laisse raconter sans m’interrompre avant de me poser une série de questions précises, d’une voix plus neutre que le Parlement suisse :

— As-tu entendu Trulež parler de drogue ou de vampires ? Non.

— Le garou que tu héberges est-il hors de danger ? Je crois.

— Trulež peut-il remonter jusqu’à toi ? Non.

— Quelqu’un t’a-t-il vue avec le garou ? Non.

— Y avait-il une odeur de soufre dans l’entrepôt ? Non.

Lorsque j’ai fini de répondre, mademoiselle Rose se racle discrètement la gorge.

— Bien. J’aurais préféré que Trulež et son clan n’apprennent pas que l’Association s’intéresse à leurs faits et gestes mais je suppose que tu n’avais pas d’autre moyen de sauver ta vie que montrer ta carte.

— Pas si je voulais éviter de les massacrer jusqu’au dernier…

Mademoiselle Rose ne feint même pas d’être amusée par ma boutade.

— Tu vas te débrouiller pour que le garou qui est chez toi reprenne connaissance très vite puis tu l’interrogeras de façon à en apprendre le plus possible sur les activités de Trulež. Il faudra ensuite qu’il quitte ton appartement. Nous t’attendons demain à la première heure pour un rapport complet.

— Mademoiselle Rose ?

— Oui, Ombe ?

— Comment voulez-vous que je l’aide à reprendre conscience ? Et comment savez-vous qu’il sera d’accord pour me parler de Trulež ?

— Trulež a tenté de le tuer. Cela devrait le rendre loquace.

— Et son inconscience ?

— Tu es en possession d’un nécessaire à magie, n’est-ce pas ?

— Oui mais…

— Alors sers-t’en.

Et elle raccroche.

8

Première réaction : colère. Rappeler mademoiselle Rose et lui dire ce que je pense d’elle, de ses manières et de…

Stop !

Deuxième réaction : prudence. Mademoiselle Rose n’est pas de celles à qui on balance leurs quatre vérités à la figure. Et réflexion : ce n’est pas sa faute si je suis une quiche en magie.

Je regagne ma chambre. Le garou est toujours étendu sur le dos et quand j’entreprends de le secouer par les épaules, il ne fait pas mine de commencer à entrouvrir une paupière. C’est pas gagné, là !

Bon, je ne risque rien à tenter la magie. Enfin, je ne risque rien… façon de parler. J’ai lu pas mal de choses sur les dégâts provoqués par une simple inversion de syllabes au cours d’une incantation ou par une bête erreur d’ingrédients dans une potion. Des dégâts sans commune mesure avec l’insignifiance de la méprise.

Lors d’un séminaire portant sur le rythme et la cadence des invocations élémentaires, le formateur a même évoqué l’exemple d’un magicien qui, ayant confondu pingis, de pingere, peindre, et pinguis, gras, a été retrouvé au sommet d’un arbre, à vingt mètres de son pentacle. En pièces détachées.

Sur le coup, j’ai été impressionnée mais ça n’a pas duré, soyons logiques, il n’y a pas d’arbre dans le coin et comme j’ai toujours aimé les sensations fortes…