N’empêche que je suis persuadé qu’un lien puissant unit magie et créatures.
Et qu’il y a là un mystère, un secret qui reste à percer.
13 rue du Horla
« Walter,
J’ai fait ce que tu m’as demandé. Mes investigations
auprès du Bureau international étaient
Tu sais que j’aime autant la milice antidémon que les
rapports que tu m’obliges à rédiger. La MAD (Mais Après moi le Déluge)
À propos de Fulgence et de sa cohorte
On m’a fait comprendre que
Je prends le premier train pour Paris.
Le Sphinx. »
Walter – Note personnelle – Dossier confidentiel.
Le Sphinx vient de me le confirmer – avec des mots bien à lui : c’est un membre de l’Association qui a tiré sur Ombe. Rectification : un mercenaire appartenant à la MAD. Une milice instituée par le Bureau international en marge de l’Association et dont l’unique objectif est de traquer les démons ayant réussi, par un moyen ou un autre, à pénétrer dans notre monde.
Les miliciens sont des Normaux, mais très bien entraînés et dotés d’armes exceptionnelles. Ombe, malgré toutes ses qualités, n’avait aucune chance.
Je suis d’accord avec le Sphinx pour regretter l’opacité qui entoure la MAD. Le règlement nous oblige à la contacter dès qu’un démon pointe le bout de son nez. Mais en retour, la milice ne donne aucune information, aucune explication sur ses opérations. Inutile de harceler le Bureau international pour en obtenir. Fulgence devient grognon quand on se montre trop curieux au sujet de sa chère milice !
Pourtant, j’ai des questions à lui poser et celles-ci partiront par lettre scellée dès que le Sphinx sera de retour et aura sécurisé le pigeonnier : est-ce que la MAD est directement impliquée dans la mort d’Ombe ? Si oui, pourquoi traque-t-elle des Agents de l’Association ?
Franchement, Fulgence a intérêt à me donner des réponses. À l’heure où l’une de mes stagiaires a perdu la vie et où je reste sans nouvelles d’un autre, je ne suis pas d’humeur à me contenter d’un haussement d’épaules dédaigneux…
Quant à la suggestion du Sphinx, il me semble évident qu’en attendant que toute la lumière soit faite sur cette troublante affaire, je ne tolérerai pas qu’un seul milicien confonde mon territoire avec un champ de tir.
12
La rue Nodier est sombre et déserte. Je souffle sur mes doigts pour les dégeler. Le froid, encore plus aigu que les jours précédents, ainsi que l’heure avancée expliquent en partie l’absence des passants, la réputation de coupe-gorge du quartier faisant le reste.
Au moins, il ne pleut plus.
J’ai posé mes affaires sur le trottoir où disparaissent lentement les traces d’un rituel, à proximité d’une poubelle métallique sans couvercle. J’ai profité du temps dont je disposais pour confectionner une dernière arme, en prévision de l’affrontement à venir.
À présent, tapi au coin d’une ruelle, je ne quitte pas des yeux l’entrée de l’hôtel Smarra.
Je suis allé tout à l’heure soutirer des informations au réceptionniste, usant d’un sortilège particulièrement efficace (un billet de cinquante euros…). Il a confirmé les dires de la goule. Un homme correspondant à la description réside là depuis deux semaines. Il partageait une chambre avec un collègue, reparti il y a quelques jours.
L’homme – qui se fait appeler Ernest Dryden – rentre le soir à une heure tardive.
L’hôtel est certainement truffé de pièges et de signaux d’alerte ; j’ai décidé d’attendre ce Dryden dehors.
« Tu n’as pas peur de mourir, Jasper ?
— Bah… Si je gagne, tu seras vengée. Si je perds, j’en aurai plus rien à faire.
— Tu ne réponds pas à ma question.
— Bien sûr que j’ai peur ! Je pète de trouille, si tu veux savoir. Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse ?
— Renonce à ta vengeance. Passe la main à Walter.
— J’y ai songé, vois-tu. Ces dernières heures, j’ai eu moult occasions de cogiter !
— Et alors ?
— Tu te rappelles ces films dans lesquels le héros tient, à la fin, entre ses mains, le salaud qui a tué sa femme ou son fils ou son meilleur ami ? Et qui l’épargne, au nom de je ne sais quelle morale à la con ?
— Je me les rappelle très bien.
— Eh bien, ces films m’ont toujours énervé.
— Pareil pour moi !
— Alors tu vois, je ne sais pas pourquoi mais j’imagine très bien Walter dans le rôle du héros débile pardonnant l’impardonnable… »
Combien de temps j’attends, les mains enfouies dans mes poches, sautillant d’un pied sur l’autre pour ne pas perdre mes orteils ? Je l’ignore. Mais lorsqu’un bruit de pas retentit au bout de la rue, je suis prêt.
Lucide. Affûté comme un lama.
C’est bien lui : un homme de taille moyenne, serré frileusement dans un manteau gris, marchant sur le trottoir. Rien de remarquable. Mais il ne faut pas s’y fier. La seule fois où je me suis frotté à ce type, il a failli me tuer.
Je quitte la ruelle et me poste au milieu de la chaussée. Droit dans mes chaussures.
Il m’aperçoit et marque une hésitation. Puis sa trajectoire s’infléchit et il presse l’allure. Dans ma direction. Mon cœur s’accélère, fouetté par une brusque montée d’adrénaline.
Le face-à-face que j’appelais de mes vœux !
La preuve que j’avais raison et Walter tort.
Qu’un Agent qui marche va plus loin qu’une Association assise.
Que la ténacité paye.
L’occasion, aussi, de proposer une autre fin au film.