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Le général Radford ne dormait plus depuis la mort de Foster Hillman. Une douzaine de très hauts fonctionnaires, dont bien entendu le Président, ne dormaient pas non plus très bien.

Tant qu’on ne connaîtrait pas le secret que Foster Hillman avait emporté dans sa tombe, la C.I.A. ne pourrait pas reprendre une vie normale. Par précaution, certains agents « dormeurs » en place dans des pays de l’Est, avaient été rappelés et mis à l’abri. Mais c’était une goutte d’eau dans la mer. Foster Hillman avait accès à TOUT. S’il avait trahi, c’était la politique entière de l’Amérique qui était en danger et certains des secteurs les plus en pointe de sa Défense.

Seul Radford continuait à le défendre à fond. Pour lui Foster Hillman était incapable de trahir. Il grogna sous le regard froid et inquisiteur de Donovan et demanda à Malko :

— Qu’est-ce que vous en pensez ?

— Cela semble clair, dit Malko. On a fait chanter Foster Hillman. À l’aide d’une femme à qui il tient. La propriétaire de ce doigt. Et en ce moment, on cherche à l’intimider… D’une façon assez horrible.

— Vous voulez dire, dit Radford à voix basse, qu’à cause de notre bluff, on est en train de torturer une femme, de cette façon atroce ?

— Vous voyez une autre explication ? Radford jouait avec son cigare éteint.

— Bon sang de bon sang ! jura-t-il. Il faut trouver. Nous n’avons pas le droit de laisser faire cela.

— Annoncer à la presse que Foster Hillman est mort, proposa Malko.

— Alors, nous ne saurons jamais, ou alors trop tard, ce qui est arrivé, objecta Donovan.

— Si nous ne trouvons rien, vous condamnez cette inconnue à mort, fit Malko.

Donovan eut un geste ayant l’air de dire que la vie d’une femme ne pesait pas beaucoup dans la balance quand il s’agissait de la sécurité du pays.

— Nous avons promis au Président de tirer au clair le suicide de Foster Hillman, dit-il sèchement, nous devons tenir notre promesse. Silence de mort. Le général Radford baissa la tête sous le regard plein de reproche de Donovan. Il mâchonna son cigare et dit à voix basse :

— Je ne veux pas attendre qu’on m’envoie un second doigt, ou qu’on me demande quelque chose d’impossible. N’oubliez pas que nous sommes Foster Hillman. Soyons à la hauteur. Puisque nous avons pris la responsabilité écrasante de mettre en danger quelqu’un pour qui il a donné sa vie.

Donovan l’interrompit :

— Que voulez-vous faire ?

— Quel était le meilleur ami de Foster Hillman ? Donovan répondit immédiatement :

— Un congressman. Brice Peufroy.

— Nous allons interroger ce Peufroy, dit fermement Radford. Lui doit savoir qui est la femme pour qui Foster Hillman a accepté de mourir. Donovan regardait ses ongles impeccables pensivement :

— Réalisez-vous le risque que vous prenez ? Nous avons l’ordre de ne parler à personne de la mort de Foster Hillman. À la moindre fausse manœuvre, c’est un scandale effroyable.

— Vous savez, après « La Baie des Cochons » on ne peut pas faire beaucoup mieux. De toute façon, j’en prends la responsabilité. Nous avons perdu assez de temps. Qu’on aille me chercher ce Peufroy.

— Quoi, au Congrès ?

— En enfer, s’il s’y trouve, hurla Radford, excédé.

Malko quitta le laboratoire sur la pointe des pieds. Depuis toujours, les militaires considéraient les Congressmen comme des cryptocommunistes, et ceux-ci voyaient les généraux comme des assoiffés de guerre atomique.

Brice Peufroy était un petit homme mince et élégant, avec une cravate noire, plusieurs dents en or et un accent du Sud prononcé. Il regarda avec méfiance le plateau chargé de verres et d’une bouteille de « Chivas Royal, étiquette noire » posée sur le bureau de Radford. L’adjoint de Hillman arborait son sourire le plus engageant, ou du moins qu’il considérait comme tel. Car il avait plutôt l’air de vouloir dévorer le petit Congressman. Dans son dos, Malko déplorait silencieusement l’absence de vodka.

— Monsieur Peufroy, dit cérémonieusement Radford, j’ai besoin de vous.

Peufroy esquissa un sourire contraint.

Une heure plus tôt, une Cadillac contenant deux agents du F.B.I. avait été le prendre à son bureau du Sénat. L’un des agents avait une lettre manuscrite du général Radford lui demandant de le rencontrer immédiatement, dans l’intérêt supérieur des U.S.A. Brice Peufroy pouvait difficilement se faire prier. En plus, sa curiosité était délicieusement piquée. Dans quel secret d’État allait-il atterrir ? Le bureau où Malwin Radford l’avait reçu était un peu spécial. Ses murs étaient aussi truffés de micros qu’une Ambassade américaine dans un pays de l’Est. Deux caméras, dissimulées dans les moulures du plafond, filmaient les conversations.

Le tout, pour déceler, plus tard, les témoignages hésitants. Mais le brave Peufroy ignorait heureusement tout cela.

— Je suis à votre disposition, répondit-il. Du moins, se hâta-t-il ! d’ajouter, dans les limites de ma compétence. Car je n’approuve pas toujours les initiatives de votre Agence…

Le général Radford regretta une courte seconde de ne pas avoir le pouvoir de faire fusiller Peufroy et dit onctueusement :

— Il s’agit de quelque chose de… plus anodin. Néanmoins, je vous demande de garder le secret le plus absolu sur tout ce qui pourra être dit au cours de notre conversation.

— Bien sûr, bien sûr.

— Bon.

Radford s’éclaircit la voix :

— Vous connaissez très bien, je crois, Foster Hillman, qui est le patron de notre Agence ?

Peufroy gonfla la poitrine et se rengorgea.

— Il m’honore en effet de son amitié. Depuis près de vingt ans. Mais pourquoi…

C’était l’instant délicat. Radford plongea, les doigts crispés sur son cigare. Les chemins détournés n’étaient pas son fort :

— Connaissez-vous quelqu’un dans sa vie privée, euh ! une femme à qui il tiendrait beaucoup ?

— Une femme ?

Brice Peufroy montra ses dents en or dans une grimace d’étonnement, resta une seconde la bouche ouverte, puis vira au violet et sauta de sa chaise :

— Qu’est-ce que c’est que cette infamie, vociféra-t-il. Je veux voir Foster Hillman immédiatement.

Il redressa sa petite taille et se pencha sur le bureau de Radford :

— Vous m’entendez. Je veux voir Foster. Je vais lui dire que, que… – il en bégayait d’indignation… – ses subordonnés enquêtent sur sa vie privée… C’est une infamie, répéta-t-il d’un ton pénétré. Une infamie ! Malko s’interposa :

— Monsieur Peufroy dit-il le plus suavement possible, vous avez mal compris la question du général Radford. Il l’a posée dans l’intérêt de Foster Hillman pour lequel nous avons tous deux la plus grande estime…

Cette tirade ne calma pas le congressman. Trépignant sur place, il continuait de glapir :

— Je veux voir Foster Hillman. Immédiatement.

Soudain, Radford déplia ses formes éléphantesques. Il dominait Peufroy de vingt bons centimètres. Ses énormes sourcils noirs lui donnaient l’air si menaçant que Malko craignit qu’il ne jetât le congressman par la fenêtre. Mais il se pencha seulement sur Peufroy à le toucher et dit d’une voix contenue de rage :

— Alors, vous voulez voir Foster Hillman ?

— Oui, dit fermement Peufroy, drapé dans sa dignité.

— Eh bien, vous allez le voir ! Et tout de suite. Suivez-moi.

Il fit le tour de son bureau et prit Peufroy par le bras, le tirant littéralement. Pas rassuré, le petit congressman jeta un regard implorant à Malko.

Le bureau était situé au sixième étage. Le chef adjoint de la C.I.A., traînant toujours Peufroy par le bras, s’engouffra dans un ascenseur qui arrivait justement et appuya sur le bouton du quatrième sous-sol. Ils arrivèrent devant une porte fermée à clef. Radford appuya sur un bouton et un guichet métallique coulissa au milieu du panneau. Reconnaissant Radford, l’homme qui était derrière la porte ouvrit, libérant une bouffée d’air glacial. Peufroy ne disait plus rien. La pièce était nue, les murs laqués de blanc, et les seuls meubles étaient un distributeur de Coca-Cola et une civière métallique. Le mur du fond était divisé en seize casiers un peu comme des portes de coffre-fort, avec chacun une poignée.