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— Voyons, euh ! environ, une douzaine de jours… Radford hocha la tête.

— Parfait, je vous remercie. Bien entendu, vous ne devez parler de cette conversation à personne. Sous peine d’être traduit devant un Grand Jury.

Le banquier l’assura qu’il n’y avait pas de meilleur citoyen que lui et raccrocha.

Les yeux de Radford brillaient. Il se tourna vers Malko :

— Je voudrais avoir vingt ans de moins. Pour vous accompagner.

5

Chris Jones respira profondément l’air humide du lac Léman et remarqua :

— C’est marrant, tout est petit en Europe. Ce lac, on dirait la piscine d’un Texan un peu riche.

Malko venait d’arrêter leur Dodge, louée à Genève au bord du lac, en face d’un restaurant aux volets bizarrement peints en bandes rouges. À vingt mètres de la grille de la Maison de Santé du Professeur Soussan. Les trois hommes étaient fourbus. Le DC 8 de la Swissair les avait débarqués à Genève une heure plus tôt.

Objectif : retrouver Kitty Hillman. Le général Radford avait obtenu du Président un délai supplémentaire de huit jours. Après, la mort du patron de la C.I.A. serait rendue publique.

Pour aider Malko, Radford lui avait donné les deux gorilles, redoutables en cas d’action violente.

— Attendez-moi ici, ordonna Malko. Il y a peu de risques. Inutile d’ameuter les populations.

Pour plus de précautions, Chris Jones posa sur le siège à côté de lui un énorme Colt 45 magnum, à la crosse creusée de six alvéoles, le modèle d’arme individuelle juste en dessous du mortier. À eux deux les gorilles représentaient une puissance de feu considérable… Bien dirigés, ils pouvaient gagner une petite guerre. Malko leur devait déjà quelques fières chandelles.

Celui-ci appuya longuement son pouce sur une sonnette dissimulée sous le lierre, juste au-dessus d’une plaque de cuivre portant l’inscription : Professeur Soussan, clinique neuropsychiatriques. Il y eut un bourdonnement et la grille s’ouvrit. Malko entra, refermant derrière lui. Brusquement, il se retrouva sur une immense pelouse très helvétique, avec au fond une demeure en pierres de taille. Une allée menait droit au perron. Au fond, à gauche, des infirmières jouaient avec des enfants d’une dizaine d’années. Malko était encore à mi-chemin du perron quand une infirmière au visage revêche apparut sur le pas de la porte et l’attendit immobile, telle la statue du Commandeur.

Il en fallait plus pour troubler Malko, harassé, de mauvaise humeur et pas rasé. Même son costume, d’habitude toujours impeccable, était lamentablement froissé. Il dissimulait ses yeux rougis de fatigue derrière ses éternelles lunettes noires. Il les ôta pour parler.

— Je voudrais voir le docteur Soussan, dit-il assez sèchement.

— Professeur, pas docteur, corrigea le cerbère avec un accent bernois de rogomme. Vous avez rendez-vous ?

— Non, dit Malko. Mais je dois voir le Professeur. C’est extrêmement important.

— Écrivez, dans ce cas. Le Professeur ne reçoit que sur rendez-vous. Déjà l’infirmière faisait demi-tour. Malko glissa fermement son pied dans le battant de la porte et tendit une de ses cartes.

— Donnez ceci au Professeur, intima-t-il. Dites-lui qu’il s’agit d’une question de vie ou de mort pour quelqu’un. Et que je ne partirai d’ici qu’après l’avoir vu…

Un instant, l’infirmière hésita. Mais, ses yeux dorés vrillés dans les siens, Malko ne bougeait pas. Elle lui arracha presque la carte des mains et disparut en claquant la porte.

Malko était perplexe. La veille, au téléphone, le correspondant de la C.I.A., à l’Ambassade de Berne, après avoir effectué une discrète et rapide enquête, lui avait affirmé que le Professeur Soussan était honorablement connu depuis plus de trente ans. À première vue, il semblait impossible qu’il ait pu participer à une telle opération… Évidemment, Malko était bien placé pour savoir que c’était toujours les gens insoupçonnables qui travaillaient pour des Services de Renseignements… Il était, hélas ! à peu près certain que Kitty Hillman ne se trouvait plus dans la clinique du Professeur Soussan. Mais c’était le point de départ de la piste. On ne fait pas disparaître une malade mentale sans de sérieuses complicités.

Enfin, il serait très vite fixé. Et si le Professeur Soussan était dans le coup, il allait avoir de bien difficiles moments à passer… La porte se rouvrit sur le cerbère, visiblement navré que la foudre ou la main de Dieu n’eût pas réduit Malko en un petit tas de poussière pendant son absence.

— Le Professeur va vous recevoir, dit-elle à regret.

Son ton disait assez à quel point elle désapprouvait cette initiative. Malko la suivit dans un couloir ripoliné d’un blanc éblouissant qui traversait tout le bâtiment.

Le Professeur Soussan l’attendait devant son bureau, au fond. C’était un homme grand et très maigre enveloppé d’une blouse blanche, l’air sévère derrière des lunettes sans monture. Il tenait à la main la carte de Malko.

— Vous êtes le Prince Linge ? demanda-t-il.

— Lui-même, fit Malko, et j’aimerais vous entretenir quelques minutes en particulier.

L’infirmière s’éclipsa et ils entrèrent dans un grand bureau aux murs tapissés de livres. Malko s’assit dans un fauteuil de rotin.

— Que puis-je pour vous ? demanda le Professeur Soussan. Il dévisageait avec curiosité son visiteur à qui les traits tirés et la barbe pas rasée donnaient un air assez peu rassurant.

Malko prit son souffle.

— J’arrive des États-Unis pour voir la fille de Foster Hillman, Kitty, qui se trouve en traitement dans votre établissement…

Le Professeur Soussan ne cilla pas. Mais son doigt appuya sur un bouton placé sur son bureau.

— Vous ignorez peut-être, Monsieur, dit-il, que le secret médical nous interdit de parler d’aucun de nos malades à des personnes non autorisées. Êtes-vous un parent de cette jeune fille et avez-vous une autorisation de son père ? Dans la négative, je me verrai obligé de vous faire reconduire…

Cela pouvait être la réaction normale d’un praticien prudent. Ou la défense habile d’une affreuse canaille. De toute façon, le moment des explications violentes n’était pas venu. Pas encore. Malko tira de son portefeuille sa carte du Département d’État, couverture légale dont il se servait à l’étranger.

— Je travaille pour une Agence Fédérale Américaine, dit-il. Il vous est facile de le vérifier auprès de notre Ambassade à Berne. Nous avons des raisons de croire que Kitty Hillman a été la victime d’un kidnapping. Je suis ici à la demande de son père.

Soussan jeta à peine un coup d’œil sur la carte :

— Cela ne me concerne pas, dit-il. Qui que vous soyez, je n’ai pas à vous parler d’un de mes malades. L’hypothèse que vous évoquez n’a aucun fondement, mais si vous y croyez, pourquoi ne pas vous adresser à la police ?

Derrière les lunettes sans monture, les yeux étaient parfaitement calmes.

Malko retint son impatience.

— Professeur, dit-il, nous préférons pour l’instant garder cette affaire secrète. Vous n’êtes pas sans savoir que M. Hillman est un très haut fonctionnaire américain. Mais je dois vous avertir qu’en refusant de répondre à mes questions, vous vous rendez complice d’une affaire extrêmement grave. De plus, j’ai la possibilité d’obtenir de la police fédérale suisse une perquisition dans votre établissement, sur intervention directe de notre chargé d’Affaires à Berne. Je ne pense pas qu’une telle mesure serait du goût de votre clientèle…

Soussan se troubla. Il réexamina la carte de Malko, la tint quelques instants entre ses doigts et dit avec un dégoût non dissimulé :