Выбрать главу

— Un compte numéroté, bien entendu.

— Moi-même, j’en ai un, se hâta de dire le Professeur Soussan. Par discrétion fiscale. Les banques ne révèlent le nom de leur propriétaire à personne, pas même à la police. C’est la loi.

Cela, Malko le savait. Il aurait fallu que le kidnapping soit rendu public pour que la Sûreté helvétique puisse agir. Et jamais un banquier suisse digne de ce nom ne trahirait son secret professionnel. Pour l’instant le Professeur ne pouvait plus lui être d’un grand secours. Il se leva et demanda :

— Avez-vous une photo de cette jeune fille ? Soussan acquiesça avec enthousiasme.

— J’en fais faire régulièrement pour M. Hillman. Il aime à voir comment sa fille se développe.

De nouveau, il fouilla dans son dossier et tendit à Malko une épreuve de 24 X 30. Celui-ci eut un choc en prenant la photo. Il avait devant lui un ravissant visage de jeune fille, encadré de longs cheveux blonds, avec des pommettes hautes et des yeux légèrement bridés. Un air légèrement oriental. Le nez était délicatement retroussé et la bouche charnue, encadrée de deux fossettes…

— Mais elle est ravissante ! ne put s’empêcher de remarquer Malko. Le Professeur Soussan poussa un gros soupir.

— Hélas ! oui. Si son cerveau était normal, j’aimerais avoir une fille comme elle. Elle mesure un mètre soixante-cinq environ et a d’admirables proportions. Hélas !… avec le cerveau d’un enfant de quatre ans.

— Puis-je emporter cette photo ? demanda Malko.

— Naturellement, fit Soussan. Mais que dois-je faire maintenant ? Je suis dans une position épouvantable. Pensez à ma responsabilité… Malko avait déjà la main sur le bouton de la porte.

— Si vous croyez en Dieu, priez, dit Malko. C’est à peu près le seul recours qui vous reste. Et surtout, ne dites pas un mot à la police. Ce serait condamner cette jeune fille à mort.

Le Professeur le regarda s’éloigner dans le couloir. Il n’arrivait pas à admettre la réalité. En dépit de son élégance et de sa bonne éducation, Malko représentait un monde dont il ne soupçonnait même pas l’existence.

Les mains tremblantes, il referma le dossier de Kitty Hillman et soudain pensa à quelque chose. Il repoussa brutalement son fauteuil et se précipita dans le couloir. Tout essoufflé, il rattrapa Malko au milieu de la pelouse et tâcha de reprendre un peu de dignité.

— Monsieur… Linge, quand vous retrouverez miss Hillman… il y a un point que je voudrais vous souligner, quelque chose d’un peu gênant… Intrigué, Malko s’arrêta :

— Que voulez-vous dire ?

Le Professeur ôta ses lunettes et fixa sur Malko un regard de myope.

— Eh bien, miss Hillman, en raison de son âge et de son tempérament, disons au-dessus de la moyenne, a des besoins sexuels assez importants ! Or, l’accident l’ayant privée de tout sens, euh !… moral, elle considère ces choses comme un jeu absolument sans importance. Ce qui ne va pas sans créer quelques problèmes. J’en ai eu avec des infirmiers qui ont profité de cette faiblesse et j’ai dû sévir. Comme je la considère toujours sous ma responsabilité… n’est-ce pas ?

Malko sourit tristement et dit :

— Nous n’en sommes pas encore là, Professeur. Dites-vous bien que ce que risque Kitty Hillman en ce moment est infiniment plus grave.

— Quand même, fit Soussan, pensez aux conséquences si…

— Nous y penserons quand nous l’aurons retrouvée, conclut Malko. Je vous tiendrai au courant. À bientôt, Professeur.

La grille bien huilée se referma sans un bruit.

La Dodge n’avait pas bougé. Malko fut accueilli par un double soupir de soulagement :

— Encore dix minutes et on allait vous chercher, dit Chris. Où est la petite ?

Malko expliqua rapidement le kidnapping et leur montra la photo de Kitty Hillman.

Ils restèrent la langue pendante. Chris remarqua :

— Mais je croyais que c’était une dingue, ou quelque chose comme ça ?

— C’est seulement son cerveau qui est touché, précisa Malko. Le reste marche très bien, trop bien même.

— Qu’est-ce qu’on fait ? demanda Chris en mettant en route. Malko jeta un regard de regret au lac de Genève.

— Nous allons à Zurich. Rendre visite à la Société zurichoise de Dépôts.

Pendant que la voiture grimpait l’étroite route qui rattrapait l’autoroute de Berne, Malko savourait une sombre satisfaction. Grâce au chèque, il allait peut-être retrouver facilement la piste des ravisseurs de Kitty Hillman. Et pour la première fois depuis très longtemps dans une de ses missions, il éprouvait un plaisir personnel à la pensée de réussir. Lorsqu’il avait vu la photo de Kitty, il avait éprouvé un désir forcené, inhumain, de tuer.

6

L’or ruisselait dans la Bahnhofstrasse. Des montagnes de « petites demoiselles » – c’est ainsi que les Suisses appellent la pièce suisse de vingt francs – des lingots, des louis, des dollars, des souverains s’étalaient dans les vitrines du Crédit Suisse, de l’Union de Banques Suisses, de la Banque Populaire ou de Leu et Cie, comme pour tenter les passants.

La Dodge conduite par Chris Jones remontait lentement la plus grande artère de Zurich, entre deux murailles d’or. Là, où il n’y avait pas de banque, les vitrines d’un joaillier regorgeaient de bijoux et de pierreries.

— C’est pas possible, c’est du toc, fit Milton. Malko secoua la tête.

— Zurich est le plus grand marché d’or du monde. Ici, c’est libre. Si cela vous chante, vous pouvez entrer dans n’importe laquelle de ces banques et ressortir avec une valise pleine d’or. En le payant bien entendu. On dit que la Bahnhofstrasse cache plus de fortunes au mètre carré que Wall Street…

Les tramways à la peinture écaillée qui descendaient de la gare ne semblaient pas participer au luxe général. Mais on sait que les Suisses n’aiment pas étaler leur richesse.

Malko scrutait les façades noircies de suie des immeubles, côté impair.

— C’est là, dit-il soudain.

Le 49 Bahnhofstrasse était un immeuble banal de six étages avec une pâtisserie et une bijouterie au rez-de-chaussée. Mais de la voiture, Malko pouvait voir briller une plaque en cuivre portant l’inscription : « Société zurichoise de Dépôts ».

— Faites le tour, ordonna Malko et garez-vous en face.

Ils durent aller jusqu’au bout de la Bahnhofstrasse et attendre au feu au bout de la rue. Dix petites minutes… Chris piqua du nez sur son volant, ivre de sommeil. En Suisse allemande les feux de signalisation sont les plus longs du monde. Sinon, les gens ne traversent pas. Malko trépignait d’impatience. Depuis la veille au soir à New York, ils n’avaient pas chômé. Maintenant, la première clef du mystère était à portée de la main.

Enfin le feu passa au vert. Chris vint sagement ranger la Dodge en face d’un élégant café, rendez-vous des mannequins du couturier numéro 1 de Zurich, Rita Kaégi, fréquenté par les femmes les plus laides et les plus riches du monde. Chris accompagna Malko, tandis que Milton veillait sur la voiture.

La banque était au premier étage, au-dessus de l’entresol. Un ascenseur hydraulique et antédiluvien les emmena avec une lenteur toute helvétique. On avait tout le temps de s’imprégner de la solennité des lieux. À Zurich, lorsqu’on entre dans une banque, c’est un peu comme si on allait communier.

La porte de la Société zurichoise de Dépôts était en acajou massif, discrètement fourré d’un peu d’acier au tungstène. Malko laissa un bon moment son doigt sur la sonnette et attendit. Un minuscule mouchard, au milieu de la porte, permettait aux gens de l’intérieur d’inspecter les arrivants.