En trois minutes, Carole fut parvenue à ses fins, ayant découvert tout le corps de Malko jusqu’à la ceinture. En commençant par les pieds. C’était une tornade, la belle Carole. Malko avait l’impression de faire l’amour avec un acheteur. Elle le pétrissait, le malaxait, finalement se glissa sous lui.
— Maintenant ! ordonna-t-elle.
Ce sont des ordres auxquels un gentleman ne désobéit pas. Malko se trouva, quelques minutes plus tard, un peu essoufflé, serré dans des bras d’acier, par une Carole qui lui murmurait à l’oreille.
— Il faut que je boive, sinon, j’ai des complexes à cause de ma taille. La musique arrivait toujours faiblement jusqu’à eux, mêlée de cris et de rires. Apparemment, la fête battait son plein. Malko chercha à tâtons son pistolet qu’il avait glissé sous le divan au début de leurs ébats et le glissa sous le matelas.
— J’ai soif, dit soudain Carole.
C’était l’occasion rêvée. Malko bondit du divan et remit son slip.
— Je vais chercher à boire.
Il posa un baiser sur les seins encore palpitants de Carole et sortit de la pièce, avec quand même un pincement de cœur. Il se conduisait comme un mufle. Un monsieur n’abandonne pas brutalement une dame après un échange de bons procédés. Il se jura de lui envoyer une énorme gerbe de fleurs, de tulipes, fleurs d’amour. Il tourna à gauche, suivant la galerie qui contournait tout le bâtiment. Il avait remarqué un passage symétrique à celui par lequel il était entré dans ce patio, qui devait conduire à un autre corps de bâtiment. Carole ne s’étonnerait pas trop de ne pas le voir revenir tout de suite. Elle penserait qu’il s’était fait enlever par une des nombreuses beautés de la soirée.
Personne ne gardait la voûte. Malko la franchit rapidement et un air tiède lui fouetta le visage. Il se trouvait dehors, derrière le bâtiment, dans un second patio à peine éclairé et beaucoup plus petit. L’endroit était absolument désert. Le bruit de la soirée psychadélique arrivait très faiblement jusque-là. Au fond, il apercevait la masse noire d’un bâtiment. C’est là que devait se trouver Kitty, car après il n’y avait plus rien que le désert.
Le danger commençait là. Car Malko n’avait absolument rien à faire dans cette zone, en tant qu’invité. Il aurait dû emmener Carole, mais il aurait fallu lui donner des explications. D’ailleurs, avec ses bandelettes et son slip, il n’avait vraiment pas l’air d’un espion. Résolument il s’engagea dans le patio, chaloupant volontairement sa démarche. Il aurait toujours la ressource de jouer l’ivrogne. Cela n’étonnerait personne.
Mais il parvint de l’autre côté sans encombre. Une porte était en face de lui, il tenta de l’ouvrir.
Fermée à clef. Tout était noir. Une seconde, l’idée l’effleura qu’il était tombé dans un piège. Tout cela aurait dû être gardé. Mais il n’avait pas beaucoup de temps pour se poser des questions.
Il se remit en marche et contourna le bâtiment. Avec ses espadrilles, il ne faisait aucun bruit. Arrivé au coin du mur, il regarda.
Devant lui, il y avait encore une galerie avec plusieurs appliques.
Déserte.
D’où il se trouvait, il entendait le bruit de la mer dans l’obscurité. Si au moins les gorilles avaient pu l’accompagner !
Aucun bruit ne filtrait. D’innombrables étoiles brillaient dans le ciel limpide. La brise était encore tiède, en dépit de l’heure tardive.
Malko se décida à poursuivre.
À Dieu vat !
Malko entendit soudain un glissement derrière lui. Il n’eut pas le temps de se retourner. Sa tête éclata et il glissa dans l’inconscience.
11
C’est la lumière du jour qui réveilla Malko. Un rayon de soleil brûlant lui chauffa le visage. Il ouvrit les yeux et les referma aussitôt. Il avait l’impression que l’orchestre de la soirée psychadélique continuait à jouer dans sa tête. Avec précaution, il tâta la bosse qu’il avait derrière l’oreille gauche. Un œuf de pigeon.
Courageusement, il ouvrit les yeux pour de bon. Il se trouvait dans une pièce aux murs peints en blanc, style hôpital, meublée du lit sur lequel il se trouvait, d’une armoire, d’une table et d’une chaise. Des sangles pendaient du lit, permettant d’attacher la personne qui s’y trouvait, mais, lui, était absolument libre de ses mouvements. Il se redressa, se mit debout et s’approcha de la fenêtre. Si on pouvait appeler « fenêtre » une ouverture d’un mètre de côté fermée par des barreaux en croisillons, épais chevrons de deux doigts. Ils étaient scellés dans un mur de pierre de taille.
De l’autre côté, c’était le paysage aride d’une colline sarde, coupée en deux par une rangée de barbelés. Il devait être très tôt car le soleil était encore à mi-chemin du zénith mais une brume de chaleur formait déjà un halo autour des pics dans le lointain. Malko alla jusqu’à la porte et tenta de l’ouvrir. Bien entendu, elle était fermée à clef. Il retourna s’étendre sur le lit, ignorant s’il avait dormi une nuit ou une semaine.
Son pistolet avait disparu et il était vêtu en tout et pour tout, de son slip. Dans un coin de la chambre, les bandelettes qu’on lui avait arrachées formaient un petit tas blanchâtre.
Au moment où il se recouchait une clef tourna dans la serrure, le géant café au lait apparut, cette fois il braquait sur Malko son P. 08 qui disparaissait dans son énorme patte. Il fit signe à Malko de se lever et de le suivre. S.A.S. obéit. L’autre l’aurait sans aucun doute transformé en passoire à la moindre incartade. Chris et Milton étaient dehors, eux. Il fallait gagner du temps.
Malko frissonna dans le couloir frais. Ils ne croisèrent personne. Le bâtiment à la forme d’un U n’avait pas d’étage. Toutes les portes étaient semblables et fermées.
Enfin, ils parvinrent au bout du couloir. Le géant frappa à la porte, l’ouvrit et poussa brutalement Malko à l’intérieur. L’émir Katar était assis derrière un bureau. Sans même lever les yeux sur Malko, il dit une courte phrase en arabe et continua à examiner la pile de dossiers qui se trouvaient devant lui. L’Arabe enserra le bras de Malko de sa patte énorme et lui fit faire demi-tour, refermant soigneusement la porte du bureau derrière lui. Cette fois, Malko n’y comprenait plus rien. Il aurait donné cher pour parler arabe. Mais sa mémoire étonnante ne s’était jamais exercée sur cette langue. Manque d’atomes crochus.
De nouveau ce fut l’enfilade du couloir. Puis, brusquement, l’éblouissement d’un patio désert. Le domaine privé de l’émir était en réalité immense. La partie où se trouvait Malko était la plus éloignée des bungalows des invités. Le gorille s’arrêta devant une trappe de bois, au niveau du sol. Sans lâcher Malko, il la souleva d’une seule main et la laissa retomber de côté découvrant une ouverture carrée. Malko eut soudain l’impression qu’une pelle à vapeur lui enserrait la nuque. Le géant était en train de le courber vers l’ouverture. Pris de panique, Malko se débattit furieusement, donnant des coups de pieds, mordant même le bras de son adversaire. Mais l’autre était le plus fort. Inexorablement la tête s’inclina vers l’ouverture. Il aperçut la surface lisse d’une eau dormante.
Quelque chose flottait près de la surface. Ébloui par le soleil, Malko mit quelques secondes à repérer un corps humain : le corps de Carole. Bien que gonflé et déformé, le visage était très reconnaissable. Elle portait toujours ses dessous noirs et ses bottes. Un détail fit frémir Malko d’horreur. Une de ses mains était retournée et il vit les ongles arrachés et la peau du bout des doigts en lambeaux. On avait jeté Carole vivante dans le puits.
Le géant café au lait le tira violemment en arrière et referma la trappe. Malko tremblait de dégoût. Ainsi, la gentille Carole avait payé de sa vie l’aide qu’elle lui avait apportée. Lui, qui abhorrait la violence, avait envie soudain de sentir la crosse d’un solide pistolet dans sa main. Poussé par son gardien, il reprit le chemin du bureau de l’émir.