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L’émir Katar fumait un cigarillo quand Malko se retrouva toujours en slip dans son bureau. Cette fois ses yeux de myope se posèrent sur Malko, avec une expression ironique et cruelle. Malko le toisa avec dégoût :

— C’est pour m’impressionner que vous avez voulu que je voie le cadavre de Carole Ashley ?

L’émir tapota la cendre de son cigarillo et répliqua de sa voix chantante :

— Certainement pas. Vous êtes un professionnel, n’est-ce pas, au-dessus de ces choses ? C’est seulement pour vous monter que je ne bluffe pas et que je suis sûr de moi. J’aurais pu faire disparaître cette fille purement et simplement. Au lieu de cette solution simpliste, un bateau emmènera le corps dans la baie. Lorsqu’on le retrouvera, on conclura à une congestion, due à un bain de minuit après une trop forte ingestion d’alcool. L’eau de ce puisard est salée.

L’émir parlait un anglais parfait en choisissant ses mots avec une certaine pédanterie. Son blazer de flanelle bleu marine et son polo à col roulé étaient d’une élégance raffinée. Seule la lueur cruelle de ses yeux ne venait pas d’Eton. Malko haïssait sa pédanterie d’assassin bien élevé. Bien que nu, il conservait toute sa distinction et il sentit que l’émir était sensible à cette classe.

— Où voulez-vous en venir ? demanda-t-il sèchement. Pourquoi m’avez-vous kidnappé ?

L’émir ne put maîtriser un tremblement dans sa voix, comme s’il implorait Malko.

— Je suis dans une situation très délicate, dit-il. D’où, seul, Foster Hillman peut me sortir.

Une seconde, il fut sur le point de parler à Malko de Aziz et de Baki, puis se retint. Après tout cet homme était son prisonnier. Mais il avait absolument besoin de se justifier, ce pauvre émir. C’était bien la première fois qu’il trempait ses mains dans le sang, lui-même.

— N’essayez pas de m’attendrir, avertit Malko. Même nos adversaires de l’Est n’ont encore jamais employé une méthode aussi vile. Vexé, l’émir fit :

— Si vous connaissiez les horreurs perpétrées par l’Intelligence Service vous trouveriez ma combinaison d’une innocence angélique. Une fois, près de chez moi, ils ont fait liquider plus de deux mille rebelles, femmes et enfants compris, par des mercenaires…

Malko en avait assez :

— Finissons-en, dit-il. Vous allez me liquider, n’est-ce pas ? Alors, faites-le vite.

Sa rage était telle qu’il pensait sans peur à la mort. Et Dieu sait s’il aimait la vie !

L’émir sourit, méprisant.

— Vous êtes stupide. Je n’ai pas besoin de vous exécuter. Ce domaine m’appartient et jouit du privilège de l’exterritorialité. Les autorités de ce pays le savent et se garderaient bien d’y faire la moindre incursion. Même si vos amis de la C.I.A. le leur demandaient.

« Vous allez donc rester ici. Des semaines ou des mois. Vous êtes un otage intéressant. Et ne comptez sur personne pour vous faire évader. Je sais que vous n’êtes pas seul. Mais vos hommes ne pourront rien. Il faudrait une armée pour prendre d’assaut mon domaine. Dans ce cas, ajouta-t-il, je ferais immédiatement appel aux carabiniers. Je leur ai déjà demandé d’effectuer des rondes fréquentes. Il y a tant d’enlèvements en Sardaigne, ces temps-ci.

L’émir se grisait de ses propres paroles. Renversé en arrière dans son fauteuil, il étalait son double menton sur son col roulé. Le dégoût de Malko était tel qu’il se demanda s’il aurait le temps de l’étrangler avant que le géant café au lait, assis en tailleur derrière lui, puisse intervenir. Cela aurait valu la peine. Mais l’émir n’avait pas fini son monologue :

— J’ai besoin de vous dans l’immédiat, annonça-t-il. Vous allez écrire à Foster Hillman, après avoir vu sa fille. Il croit que je bluffe, que je n’oserai pas y toucher. Je voudrais que cette lettre soit assez bien tournée pour éviter d’autres amputations. Hillman doit cesser de me contrer.

Il parlait d’une voix doucereuse et égale, les yeux baissés, un peu comme un prêtre. Malko n’osait pas comprendre.

— Quoi ? Vous allez…

L’émir découvrit ses dents, avec toute la cruauté de l’Arabie.

— Le second doigt accompagnera votre lettre. J’ai un messager sûr. Je veux que M. Hillman comprenne que j’ai absolument besoin des renseignements que je lui demande. Je pensais qu’il tenait assez à sa fille pour éviter des enfantillages tels que votre venue et le piège de New York. Je regrette de m’être trompé.

— Autrement dit, articula lentement Malko, vous allez de nouveau torturer Kitty Hillman.

L’émir eut un geste évasif :

— Torturer est un mot inexact. Je ne tiens pas à la faire souffrir. Mais, en l’absence du docteur Weisthor, je suis obligé de faire appel à Schaqk, ici présent, qui opérera avec moins d’habileté.

— Jamais je n’écrirai cette lettre, dit Malko. D’ailleurs je vous ai dit que Foster Hillman est mort.

L’émir ne répondit pas tout de suite. Lui et Malko s’affrontaient du regard. Soudain l’Arabe claqua des doigts :

— J’ai une meilleure idée. C’est Mme Hillman qui va écrire à son père elle-même. Elle trouvera des mots meilleurs, qui le toucheront plus peut-être. Vous allez vous charger de lui faire rédiger cette lettre. Moi, je n’ai rien pu en tirer, elle ne veut même pas m’adresser la parole.

— C’est une malade mentale, coupa Malko, écœuré, elle est incapable d’écrire. Et je ne ferai rien pour la forcer…

Il croyait rêver. Par la fenêtre du bureau, il pouvait apercevoir les bungalows des invités. À quelques centaines de mètres il y avait des touristes, une vie normale. Ici, il était en pleine horreur moyenâgeuse. L’émir décrocha son téléphone et dit une longue phrase en arabe, puis il raccrocha et attendit, sans regarder Malko.

La porte s’ouvrit. Et Malko se trouva devant l’original de la photo que lui avait donnée le professeur Soussan.

Kitty Hillman était encore plus ravissante au naturel. Pieds nus, elle portait une petite robe de toile imprimée multicolore, probablement sans rien dessous, car le tissu dessinait toutes ses formes et la courbe délicate de sa poitrine. Malko fondit devant son visage mobile, enfantin, avec deux immenses yeux noisette.

Il y avait au fond une expression de peur animale, la panique qu’on voit dans les pupilles des animaux pris dans un incendie. Puis, elle regarda Malko, toujours en slip, et son expression changea. Une onde comme un sourire parcourut ses lèvres et son visage se détendit imperceptiblement. Malko ne pouvait détacher son regard du gros pansement sale qui entourait sa main gauche. L’émir ne bluffait pas en effet. Mais lorsqu’il croisa le regard des yeux dorés, il baissa les siens.

— Mme Hillman n’a pas prononcé un mot depuis qu’elle est en notre compagnie, dit-il. J’espère que vous serez plus heureux que nous… Je vais vous laisser avec elle.

À ce moment, Malko reconnut l’homme qui escortait Kitty Hillman. C’était un de ceux qui avaient voulu le tuer avec le Riva. Son complet noir dessinait presque tous ses os tant il était maigre et son visage plein de marques de petite vérole était repoussant. Malko se rapprocha soudain du bureau :

— Faites sortir tout le monde, dit-il d’une voix contenue. Je veux vous parler, seul à seul. Dans votre intérêt.

L’émir hésita. Mais il vit le tic d’inquiétude sur le visage d’Aziz et le chassa d’une interjection rauque. Il sortit en emmenant Kitty. Seul, Schaqk resta, toujours à la même place.