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James Coburn sursauta :

— Une autopsie ? Vous avez des doutes sur la cause de la mort ? Le général Radford haussa les épaules.

— Aucun. Mais je veux savoir s’il n’a pas ingéré une drogue quelconque avant de sauter. Et cela nous fera gagner du temps. L’homme de la N.S.A. considéra Radford avec stupéfaction.

— Vous voulez vraiment cacher cette mort au public ?

— Oui.

C’était sans appel.

Le général Radford avait le cerveau en feu mais il parvint à donner à son visage une expression presque calme.

— Et je voudrais également que vous débarrassiez cette pièce afin que nous nous mettions au travail sérieusement, continua-t-il. Je veux savoir et je saurai pourquoi Foster Hillman s’est tué.

Il y eut un léger flottement dans la salle. Un téléphone sonna. Radford décrocha, écouta quelques instants et dit avant de raccrocher : « Nous ne savons encore rien. Je vous rappellerai ».

— C’est la Maison Blanche, commenta-t-il. Le Président s’inquiète de la mort de Hillman. Il avait une conférence avec lui demain sur l’Indonésie. Je vous tiendrai tous au courant.

Les participants à la conférence improvisée se levèrent l’un après l’autre et sortirent de la pièce. Déjà deux spécialistes étaient en train de changer la serrure arrachée.

Dès qu’il fut seul Radford alla à la fenêtre et la ferma, ce que personne n’avait osé ou voulu faire auparavant. Puis il mit l’air conditionné à fond pour éliminer la chaleur et l’odeur du tabac et appela son propre bureau.

— Marwy, demanda-t-il, faites monter ici Francis Power et Donovan. Avec le dossier de M. Hillman.

Ned Donovan avait la responsabilité de la Sécurité intérieure de la C.I.A. Son service possédait un dossier complet sur tous les membres de l’Agence, directeur compris. Il travaillait en liaison étroite avec le F.B.I. et grâce à son efficacité la C.I.A. n’avait pas eu trop d’ennuis avec les traîtres. Francis Power, lui, avait été le bras droit de Foster Hillman pendant six ans. Il travaillait maintenant à la Division des Plans, sous les ordres de David Wise. Ned Donovan arriva le premier, le visage soucieux. Avec ses lunettes sans monture et ses traits un peu mous, il aurait pu passer pour un petit comptable. Il serra la main de Radford sans mot dire et s’assit dans un fauteuil avec un profond soupir.

— Avant toute chose, demanda Radford en poussant à travers le bureau un trousseau de clefs, voulez-vous envoyer deux hommes perquisitionner chez Foster Hillman. Qu’ils chamboulent tout. À fond.

— O.K., dit Donovan sans commentaires.

Il empocha les clefs puis se rassit. Radford prit une profonde inspiration.

— Vous en savez autant que moi, fit-il à Donovan. C’est une sale histoire, peut-être la plus sale que nous ayons jamais eue sur le dos. Alors, il ne faut pas faire de sentiment. Avez-vous quelque chose au point de vue Sécurité sur Hillman ? Et d’abord, où est son dossier ? Ned Donovan tendit un doigt maigre vers le petit tas de cendres dans le bac en plastique :

— Là.

— Quoi !

Le général Radford sembla se dégonfler. Alternativement il regardait les cendres et Donovan.

— Vous voulez dire qu’il a brûlé lui-même son dossier de Sécurité, souffla-t-il.

Donovan s’agita sur son fauteuil, mal à l’aise.

— C’est incontestable. Je viens seulement de le découvrir. Il est venu dans mes services pendant que je déjeunais à la cafétéria. Bien entendu, ma secrétaire lui a ouvert notre classeur. Il lui avait précisé qu’il voulait consulter et emporter un dossier dans son bureau. Il n’avait pas dit que c’était le sien. Mais il ne faut pas sauter à des conclusions hâtives, ajouta-t-il, en voyant la tête de Radford.

Le Général souffrait. Physiquement. Comme si on l’avait accusé de trahison, lui. Il secoua la tête et dit :

— Ned, vous êtes un brave type. Mais pour l’instant, nous n’avons pas le droit d’être de braves types. Foster Hillman s’est suicidé il y a trois heures. Sans aucune raison apparente. Il n’était ni malade ni fou. Or, l’expérience nous a appris que dans notre métier, rien n’était impossible. Le suicide est une façon comme une autre de se sortir d’une situation impossible.

— C’est comme si vous soupçonniez le Président lui-même, remarqua Ned Donovan. Foster Hillman était l’homme le plus intègre que j’aie jamais rencontré. Vous pensez qu’il a trahi ?

Radford écrasa son bras velu sur le bureau et rugit :

— Crétin, je ne dis pas qu’il a trahi, je veux prouver le contraire. Et que vous m’aidiez. Pourquoi a-t-il détruit ce dossier ?

Donovan secoua la tête :

— Je n’en ai pas la moindre idée. Autant que je m’en souvienne, il ne contenait que des renseignements de famille anodins. Une sorte de curriculum vitae. Sans aucun intérêt. Du point de vue Sécurité, je n’avais rien eu de récent sur Hillman. Évidemment, ajouta-t-il tout de suite devant l’énormité de ce qu’il venait de dire. Soupçonner le patron de la C.I.A. !

— Et sur sa vie actuelle ! insista Radford.

Donovan croisa les mains sur ses genoux, cherchant à rassembler ses souvenirs, et commença :

« Vous savez qu’il était veuf. Il vivait en célibataire dans un grand appartement de la rue N, à Washington, n’avait aucune liaison, ne jouait pas, ne se droguait pas, n’était pas homosexuel. Côté argent, sa fortune personnelle le mettait très largement à l’abri du besoin s’il lui avait pris la fantaisie de s’arrêter de travailler demain. En gros, c’est tout. Très peu d’amis. Pas mondain. Travaillant quinze heures par jour. Ici.

Radford resta silencieux après cette tirade, puis murmura :

— C’est impossible. Il ne peut pas avoir trahi. Pas lui. Ned Donovan renchérit :

— En plus vous savez comme moi que si Hillman avait voulu trahir, nous mettrions peut-être plusieurs années avant de le découvrir par recoupements. À son poste, il avait accès à trop de choses. Il était invulnérable. Alors ? Pourquoi ce suicide brutal ?

— Faites quand même vérifier ses comptes en banque, voir s’il a eu des rentrées de source inconnue, fit Radford, un peu honteux. Je vais alerter certains de nos agents à l’Est pour savoir s’ils n’ont pas eu vent de la trahison d’un personnage haut placé. Sans donner de détails.

— Gare à l’intox, avertit Donovan.

Il imaginait la joie qu’auraient les Services de Renseignements ennemis à brouiller les cartes.

On frappa à la porte. Radford déclencha l’ouverture électrique sans se lever. C’était Francis Power. Il avait le cheveu blanc et rare qu’il brossait rarement. On aurait pu aussi bien lui donner cinquante ans que soixante-dix. Ses yeux bleus et clairs, couleur du granit de la Nouvelle-Angleterre, pétillaient d’intelligence. Il serra longuement la main de Radford.

— Ce qui est arrivé est affreux, dit-il.

— Et ce qui risque d’arriver l’est encore plus, souligna Radford, asseyez-vous et écoutez, pour le moment.

Il pointa son cigare éteint sur Donovan :

— Au fond, fit-il, vous auriez peut-être pu empêcher ce suicide. En réagissant immédiatement.

Ned Donovan rougit :

— Ce que vous dites est injuste, Général. Dès que j’ai été averti que le magnétophone enregistrant les conversations de M. Hillman était débranché dans son bureau, je vous en ai averti. Vous ne vouliez pas vous en occuper…

— C’est vrai, grommela Radford. Qu’est-ce qui s’est passé au juste ? Donovan rougit un peu plus :