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À travers les barreaux de la cellule, la masse noire de la montagne se détachait dans la nuit claire. Malko n’avait pas touché à son dîner. Écœuré. Aucun bruit ne filtrait du bâtiment, comme s’il avait été inhabité. Sauf de temps en temps un froissement dans le couloir : probablement le sinistre Schaqk.

À dix mètres de là, il espérait que Kitty dormait. Les yeux ouverts dans l’obscurité, Malko n’arrivait pas à trouver le sommeil. Il était près d’une heure du matin.

Soudain, un grondement très lointain venant de la colline, fit sursauter Malko. Il se leva, alla à la fenêtre et examina l’obscurité, sans rien voir. Il resta là, les sens aux aguets, avec l’impression que quelque chose se passait, sans pouvoir dire quoi. Malko avait beau écarquiller les yeux, il ne parvenait pas à percer l’obscurité. Il entendit seulement rouler quelques cailloux, mais cela ne voulait rien dire. Des tas de petits animaux devaient se promener la nuit.

Peu après, il y eut un piétinement presque sous la fenêtre de sa cellule et un bruit sourd. Comme un corps qui tombe. Alors, il comprit qu’on venait le délivrer.

Chris Jones, le visage noirci au bouchon, chaussé d’espadrilles, avançait courbé en deux dans l’obscurité. Trois heures plus tôt, il s’était bourré de carotène, comme on le lui avait appris à l’école de commando de San Antonio au Texas. Aussi, bien que l’obscurité fût totale, il distinguait vaguement les formes des objets.

D’un bond, il parvint jusqu’au mur du bâtiment et se colla tout contre lui. Il avait environ une minute devant lui. Toute la journée il avait observé à la jumelle le domaine. Sur ce côté, il n’y avait qu’un garde armé qui faisait le tour du bâtiment en cinq minutes environ. Il entendit des pas réguliers. L’autre arrivait, et lorsqu’il tourna le coin, il se trouva nez à nez avec la haute silhouette de l’Américain. Chris frappa sans pitié à la gorge, du tranchant de la main. Le garde, totalement surpris, porta les mains à son cou, lâchant sa mitraillette Thomson qui tomba avec un effroyable bruit de ferraille. Mais il n’était qu’étourdi. Une fraction de seconde plus tard, il démarrait à toutes jambes.

Plaqué aux jambes par le gorille, il roula par terre. Chris parvint à lui enserrer le cou dans son bras droit et commença à serrer. À tout prix éviter qu’il ne crie. Et ne pas perdre de temps. Mais l’autre avait une force extraordinaire. Chris avait l’impression d’étrangler un tronc d’arbre. L’Arabe grognait, se secouant comme un ours blessé, cherchant à se débarrasser de l’étreinte mortelle.

Chris comptait lentement. Un individu normal devait perdre connaissance à douze. L’Arabe gigota encore un peu à dix-huit et eut une dernière contraction à vingt-cinq. Pour plus de sûreté, Chris serra encore cinq secondes et se releva.

Il avait encore trois minutes au moins avant que l’alerte ne soit donnée. Ce côté était assez peu gardé, les seules ouvertures étant les fenêtres à barreaux. Il y en avait douze. Le gorille était sûr que Malko se trouvait dans une des douze.

En courant le long du mur, il appelait à voix basse, sous chaque fenêtre :

— S.A.S. ! S.A.S. !

Malko était à la cinquième fenêtre.

— Je suis là, souffla-t-il. Vite. Mais je ne peux pas sortir.

— O.K., fit le gorille, on s’en occupe. Ne bougez pas. Accroupi, il sortit l’antenne d’un minuscule walkie-talkie, attendit le grésillement et dit un seul mot :

— Go !

Il replia l’antenne, et prit dans sa ceinture un étrange objet, avec un mauvais sourire. Un engin appelé gyrojet, en forme de pistolet, mais tirant des missiles de treize millimètres qui faisaient des trous gros comme des soucoupes à plus de deux cents mètres. Il venait d’être mis au point. Chris l’avait acheté à San Francisco pour 160 dollars, à tout hasard. Il portait à sa ceinture vingt roquettes.

Le canon de son gyrojet dirigé contre l’angle du mur, il attendit. Là-bas, sur la colline le grondement qui avait intrigué Malko avait recommencé.

Malko ne comprenait plus. Ils n’auraient jamais le temps de scier les barreaux. C’était de l’acier au tungstène, presque impossible à entamer avec des outils normaux. Et les gardes n’allaient pas tarder à réagir. Du dehors, Chris le héla :

— Prenez ça.

Il déposa sur le rebord de la fenêtre un Colt 38 chargé que Malko ramassa aussitôt. Jamais il n’avait été aussi heureux d’avoir une arme à feu.

— La fille ! cria-t-il. Elle est à côté.

Sa voix fut couverte par le grondement devenu assourdissant. Une seconde, Malko pensa à un hélicoptère. Il ne voyait toujours rien dans le noir.

Le bruit changea et Malko reconnut un moteur de camion ou de char. D’après la distance, il avait franchi la clôture de barbelés. La silhouette d’un énorme véhicule apparut dans l’obscurité, fonçant vers le bâtiment, tous phares éteints dans un vacarme effroyable. Cahotant sur la rocaille, l’énorme machine avançait en crabe ; avec des coups de moteur à réveiller un mort. C’était un Wrecker, un camion-grue de dépannage, avec un moteur de trois cents chevaux et six roues indépendantes. Il dévalait la pente caillouteuse comme un char. Avec un grincement effroyable de freins, l’engin s’arrêta juste sous le mur.

— Ici !

C’était la voix de Chris Jones.

Du camion, une voix cria quelque chose. C’était Milton Brabeck.

— On va vous lancer une chaîne, cria l’Américain à Malko, passez-la à travers les barreaux. Attention, c’est lourd, reculez-vous.

Malko obéit et alla jusqu’au fond de la chambre. Il y eut des jurons, un cliquetis métallique et des bruits de moteur : le camion faisait demi-tour.

Un choc violent contre les barreaux. Chris avait mal visé. La chaîne retomba à l’extérieur. Au même moment, des cris retentirent dans le couloir. Quelqu’un hurla un ordre en arabe. En toute hâte, Malko poussa son lit devant la porte. C’était trop bête de se faire prendre maintenant. De toute façon, il avait le Colt 38.

— Dépêchez-vous, ils se sont réveillés, cria-t-il.

— Ils feraient mieux de continuer à dormir, dit Chris, sinistre. Cette fois, la chaîne resta accrochée sur l’appui de la fenêtre. Malko bondit, tira le bout qui dépassait et le passa à travers deux barreaux, puis il rejeta l’extrémité à l’extérieur. Il sentit aussitôt qu’on en tirait le bout.

— Ça va, cria Chris. Encore deux minutes.

Cliquetis de chaînes. Un vrai rallye de fantômes. Un cri dehors, deux coups de feu. Chris leva son gyrojet. Cela fit une flamme orange, la fusée fila comme une balle traçante. Une explosion sourde et un cri inhumain. La tête arrachée, Abd el Baki bascula en avant dans un jet de sang. Aziz s’aplatit précipitamment. Chris revint au camion. Dans l’obscurité, Milton et lui luttaient pour attacher les deux bouts de la chaîne aux manilles, s’écrasant somptueusement les doigts.

— Ça y est, crièrent en même temps les deux Américains.

Milton escalada l’énorme cabine et embraya doucement. Le lourd camion avança d’un mètre et les chaînes se tendirent. Chris Jones, son pistolet lance-fusées au poing, croisa les doigts et murmura :

— Mon Dieu, pourvu que ça tienne !

Si les chaînes cassaient, c’était foutu. Ils n’auraient pas le temps de faire une autre tentative. Les chaînes étaient maintenant tendues à craquer.

— Go ! hurla Chris.

Une main sur le volant du monstre, l’autre sur le levier de vitesse, la première, crabotée sur les deux ponts, Milton appuya à fond sur l’accélérateur. Les trois cents chevaux rugirent en faisant trembler le capot.

L’écho se répercutait dans les collines à l’infini. Les roues patinaient sur le sol légèrement en pente, projetant un flot de cailloux contre les murs. Tout le camion tremblait comme un cheval en plein effort, les ridelles claquaient. Les dents serrées, Milton donnait des petits coups d’accélérateur sans oser pousser à fond, de peur de casser les chaînes. Mais les barreaux tenaient trop bien. Ils s’étaient à peine incurvés sous la traction. Le camion, tiré en arrière redescendait vers le mur.