Выбрать главу

Au moment où l’émir sortait de la Cadillac, une silhouette chafouine surgit à un angle du patio. Malko reconnut Hussein, le secrétaire. L’émir l’avait vu aussi. Avant qu’on puisse l’en empêcher, il hurla une interminable phrase en arabe. Chris Jones avait déjà bondi et le bâillonnait mais c’était trop tard. Hussein fit demi-tour à toutes jambes et disparut dans le dédale des bâtiments.

— Rattrapez-le, cria Malko.

Mais il fallait garder l’émir et le capitaine. Chris partit en courant. Le chauffeur tenta au même moment de prendre la fuite. Cueilli par un magistral coup de crosse de Milton à la nuque, il s’étala dans la poussière et il ne bougea plus.

Malko prit l’émir par le bras. Ses yeux dorés brillaient de rage.

— Nous allons tout fouiller, dit-il.

Traînant l’Arabe, il se dirigea vers le bâtiment où lui et Kitty avaient été enfermés. En route, ils croisèrent deux Arabes qui se traînèrent presque par terre en voyant l’émir. Celui-ci, ne desserrait plus ses lèvres minces, mais une lueur méchante sautillait dans ses yeux. Où était le géant Schaqk ? C’est lui qui inquiétait Malko. Ils arrivèrent au couloir desservant les chambres. Désert.

La porte de la pièce où Malko avait été enfermé était ouverte. Il alla jusqu’à la chambre de Kitty. Ouverte et vide également. L’émir Katar lui jeta un coup d’œil moqueur. Les barreaux arrachés avaient été posés par terre dans chaque chambre.

Il fallait s’y attendre. Malko était indécis. Où chercher Kitty dans tous ces bâtiments ? Il commençait à craindre que l’émir ne s’en soit débarrassé pendant la nuit. Mais non, c’était impossible : Katar avait besoin de Kitty pour sauver sa propre vie.

Il n’avait pas dit un mot des deux Égyptiens abattus. Ceux-là ne devaient pas être tellement en règle…

Le capitaine Grado commençait à jeter des regards inquiets à Malko. L’émir triomphait sur toute la ligne. Il eut d’ailleurs un sourire de victoire.

— Je vous avais dit, capitaine, que ces hommes étaient des gangsters, fit-il.

Toute sa superbe retrouvée, il gonflait le torse, immobile, un peu à l’écart. Et Chris qui ne revenait pas !

— Chris ! appela Malko. Pas de réponse.

Soudain Malko pensa à la citerne et au corps de Carole Ashley. Pourvu qu’il y soit encore ! L’émir n’avait pas prévu la perquisition. C’était possible…

Sans douceur, il prit l’Arabe par le bras.

— Je vais vous montrer quelque chose, capitaine, annonça-t-il. Quand ils arrivèrent devant la dalle, l’émir avait changé de couleur. Il tenta d’échapper à l’étreinte de Malko et Milton lui donna un léger coup de crosse sur la tempe.

Malko se pencha et tira l’anneau. Mais il n’avait pas la force de Schaqk : la dalle bougea d’un centimètre.

— Aidez-moi, capitaine, demanda-t-il.

— Ne l’aidez pas, je vous l’interdis, glapit l’émir.

Mais l’Italien halait déjà la dalle avec Malko, découvrant à moitié l’ouverture. Malko se pencha.

Le corps de Carole Ashley était toujours là, flottant sur le dos, Malko le désigna à Grado.

— Cette jeune fille a été assassinée, jetée vivante dans ce puits, parce qu’elle m’a aidé. L’examen du corps le prouvera.

L’odeur était effroyable. Le capitaine Grado se releva pâle comme un mort, de grosses gouttes de sueur sur le front. Il détourna le regard quand l’émir dit d’une voix mal assurée :

— Je ne suis au courant de rien. C’est une machination.

C’est le moment que choisit Chris Jones pour arriver en courant, son éternel magnum au poing.

— Venez voir ce que j’ai trouvé, annonça-t-il. Malko sursauta :

— Kitty ?

— Non.

Ils suivirent le gorille à travers un dédale de couloirs pour aboutir dans le bureau où l’émir avait interrogé Malko. Il y avait une penderie grande ouverte, large et profonde. Chris Jones écarta les vêtements ; tassés derrière, il y avait deux cadavres posés tête-bêche, à même le sol, aux vêtements poissés de sang. Abdul Aziz et Baki. Si maigres qu’ils avaient déjà l’air d’être des squelettes.

Un ange passa et s’enfuit à tire d’aile, horrifié par ce qu’il avait vu. L’émir se laissa tomber dans un fauteuil, les jambes coupées, et Malko apostropha le capitaine Grado :

— L’immunité diplomatique donne-t-elle le droit de garder des cadavres dans les placards, capitaine ? Et puisque l’émir Katar nous a accusés d’un certain nombre de délits, pourquoi a-t-il oublié ces cadavres ?

L’Italien fit avec beaucoup de dignité :

— Commandatore, il signor Principe aura des explications à fournir sur ces… il chercha le mot… étrangetés. Juste à ce moment, un ronronnement puissant envahit la pièce. Malko regarda par la fenêtre et vit un gros hélicoptère rouge qui tournait lentement au-dessus du domaine, à très basse altitude. L’émir bondit de son siège :

— Capitaine, voilà vos hommes, je les ai fait prévenir, le domaine est cerné. Maintenant, vous pouvez arrêter ces bandits.

Le capitaine Grado avait vieilli de vingt ans en dix minutes. Il pensa à son fils, à tout le mal qu’il s’était déjà donné. Mais c’était un homme honnête et à cinquante-sept ans, on ne se refait pas.

— Signor Principe, dit-il, il se passe ici des choses étranges. Je dois demander l’ouverture d’une enquête. Et, en mon âme et conscience, je ne peux arrêter ces gens.

L’émir tourna à l’aubergine :

— C’est une infamie, hurla-t-il. Je vous ferai révoquer, je ferai chasser votre fils de l’Université.

— Je le sais, dit l’Italien tristement. Malko le tira par la manche :

— Capitaine, il faut retrouver cette jeune fille. Dites à vos hommes de fouiller le domaine, je…

La fin de la phrase se perdit dans une monstrueuse pagaille. Deux carabiniers, mitraillette au poing, conduits par un Hussein blafard, venaient de faire irruption dans le bureau. Tout le monde cria en même temps. Chris Jones voulut sortir, il dut stopper, sous la menace des carabiniers.

— Dites à vos hommes de le laisser passer, cria Malko.

— Arrêtez-les, hurla l’émir.

D’autres carabiniers arrivaient de partout. Pendant plusieurs minutes ce fut un désordre indescriptible. Le capitaine Grado hurlait de faire garder les sorties au milieu des vociférations en arabe de l’émir et de Hussein. Puis l’Italien prit Malko à part :

— Essayez de trouver cette jeune fille, dit-il à voix basse, moi je ne peux rien faire, il jouit de l’immunité diplomatique.

Et il fit signe au carabinier qui gardait la porte de les laisser passer. Malko fonçait déjà, suivi de Chris et de Milton sous les injures de l’émir.

Ils arrivèrent à l’endroit où ils avaient laissé la Cadillac juste au moment où la grosse voiture démarrait. À cause des vitres bleutées, il était impossible de voir qui était à l’intérieur. Mais elle devait faire un détour pour atteindre la sortie. Courant comme des fous, ils coupèrent à travers les bungalows. Juste à temps pour voir surgir la Cadillac. Le géant Schaqk conduisait, pour une fois, vêtu normalement. Et à côté de lui, Malko vit les cheveux blonds de Kitty. Juste à temps pour frapper le bras de Chris Jones. Sa balle se perdit dans le ciel.

— Stoppez cette voiture, hurla Malko aux deux carabiniers qui gardaient l’entrée. Stupides, ils le regardèrent sans bouger : ils n’avaient pas d’ordre.

La Cadillac fila devant eux, tourna dans un nuage de poussière et disparut.

Malko fit volte-face et se heurta à Chris Jones, pâle comme une carrière de craie, les yeux rétrécis, les bras ballants.

— Qu’est-ce qu’il y a, vous êtes touché ? Le gorille fit non de la tête.