— On va les rattraper, dit Malko, c’est une île.
Chris lui prit le bras et le serra à le casser, il pouvait à peine parler. Jamais Malko ne l’avait vu dans cet état.
— La voiture, fit-il. Elle va sauter. Je l’ai piégée tout à l’heure. J’avais trouvé de l’explosif dans le camion.
Malko sentit le monde lui tomber sur la tête.
— Mon Dieu, Kitty ! Elle est à bord.
14
Comme des fous, Malko et Chris Jones couraient vers l’hélicoptère rouge. Malko cria à l’Américain :
— Combien de temps la bombe ?
— Un quart d’heure environ. C’est un allumeur lent. Il a commencé à brûler quand la voiture a démarré. Il était relié au ventilateur. Je… je voulais faire sauter ce fumier d’émir, au cas où on n’aurait rien trouvé.
— Je sais, fit Malko sombrement.
Essoufflés, ils arrivèrent près de l’appareil, une Alouette à turbine. Par chance, le capitaine Grado bavardait avec le pilote. Malko ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche :
— Capitaine, la jeune fille que nous cherchions vient de partir dans une voiture piégée qui doit exploser dans un quart d’heure. Notre seule chance, c’est cet hélicoptère.
Grado regarda Malko comme s’il déraisonnait :
— Exploser. Mais qui ?
Malko montait déjà dans l’hélicoptère.
— Je vous en prie, capitaine, donnez l’ordre au pilote de décoller immédiatement. C’est une question de vie ou de mort.
Le capitaine Grado inclina la tête :
— D’accord, allez-y. Mais, vous aussi, vous aurez beaucoup de choses à m’expliquer.
— Vite.
Le rotor tournait déjà. Le pilote fit son point fixe, mit les gaz à fond et d’un coup, l’hélicoptère s’enleva gracieusement. Le pilote était un garçon jeune, blond, un peu empâté. Dès qu’ils furent en l’air il demanda à Malko des instructions.
— Suivez la route, dit Malko. Nous cherchons une Cadillac noire. L’Alouette grimpait verticalement. Les portes latérales avaient été enlevées et un vent violent balayait la minuscule cabine. Malko s’était assis sur le siège avant à la gauche du pilote. Déjà les maisons du domaine de l’émir ressemblaient à un jeu de construction.
— Quelle direction ont-ils prise, demanda le pilote.
— Suivez la route côtière vers Olbia, ordonna Malko. Ils doivent rejoindre la crique où se trouve le yacht de l’émir. C’est au nord de Porto Redondo.
Il leur fallut cinq minutes pour retrouver la voiture. Elle filait à toute allure, semblable à un gros scarabée noir. Le soleil se reflétait sur ses glaces bleutées. Malko regarda sa montre. Si les calculs de Chris Jones étaient exacts, il lui restait dix minutes pour sauver Kitty. Ils suivaient la route côtière, bordée de précipices abrupts. Comme toujours en Sardaigne, le temps était extrêmement limpide. Des petits bateaux creusaient un sillage blanc dans la Méditerranée le long de la côte. La Cadillac prit une courbe si vite que Malko crut qu’elle se renversait. Les roues frôlèrent le précipice mais le géant Schaqk parvint à redresser, ses deux roues gauches mordant le bas-côté, projetant un nuage de pierres. Du coup, il ralentit considérablement son allure. La Cadillac n’était pas du tout la voiture indiquée pour cette route incroyablement sinueuse.
— Descendez, cria Malko au pilote.
L’italien obéit. Comme un ascenseur ultra-rapide, l’hélicoptère se laissa tomber et redressa à cinq mètres de la route devant le long capot de la Cadillac.
Malko eut le temps de voir à travers le pare-brise le visage stupéfait de Schaqk. Déjà la voiture était passée.
— Suivez-la !
L’appareil s’inclina gracieusement en avant et en dix secondes, ils furent de nouveau au-dessus de la voiture. Le pilote montra du doigt à Malko un mégaphone électrique accroché au plafond. Sa puissance couvrit le bruit de la turbine. Malko prit le porte-voix et se pencha à l’extérieur en hurlant :
— Arrêtez-vous, il y a une bombe dans votre voiture. Vous allez sauter. Attention, attention, vous êtes en danger de mort ! Les mots, puissamment amplifiés par le mégaphone retentissaient dans les rochers déserts. Même avec le bruit de l’hélicoptère, Schaqk devait les entendre.
Une nouvelle fois, la Cadillac passa en trombe en dessous de l’hélicoptère. Malko eut un choc. Kitty avait baissé sa glace et par la portière faisait un signe joyeux en riant. Le pilote italien la vit aussi et remarqua :
— Mais je croyais qu’on enlevait cette jeune fille ? Elle n’a pas l’air d’avoir peur.
— Elle est folle, expliqua Malko. Elle ne réalise rien. Comme un petit enfant.
La Cadillac avait parcouru à peu près la moitié du chemin jusqu’à Porto Redondo. Malko regarda sa montre. Il restait sept minutes pour sauver Kitty.
— Essayez encore, dit-il.
De nouveau l’hélicoptère plongea, Malko hurla son avertissement. Qu’il l’ait entendu ou non, l’Arabe ne ralentit pas son allure. Il y avait environ trois kilomètres de ligne droite avant la descente en lacets vers la crique de Porto Redondo. Malko essuya son front couvert de sueur en dépit du vent frais. S’il ne faisait pas quelque chose, Kitty, qu’il était venu chercher de si loin, allait mourir. Kitty qui ne se doutait pas du danger qu’elle courait.
Elle était toujours à la portière, observant avec un ravissement enfantin le ballet de l’hélicoptère. Ses longs cheveux flottaient dans le vent. Une fraction de seconde, Malko eut devant les yeux le visage sévère de Foster Hillman.
Indécis, le pilote quêta un ordre des yeux.
— Vous allez poser l’hélicoptère au milieu de la route, ordonna Malko. Comme ça, ils seront obligés de quitter la voiture. Là-bas, au bout de la ligne droite.
L’Italien ne dit rien, mais ouvrit la gaine de son pistolet, accroché à sa hanche droite. Ils dépassèrent la voiture, volant à moins de cinq mètres de la route. S.A.S. priait silencieusement en comptant les secondes. Comme le temps passait vite !
Le pilote cabra légèrement l’hélicoptère et descendit délicatement. Il y eut un choc léger et Malko sauta à terre, le mégaphone à la main, au risque de se faire hacher par le rotor.
La Cadillac freina violemment et stoppa à cinq cents mètres environ de l’hélicoptère.
— Ils vont faire demi-tour, dit l’Italien. Malko secoua la tête.
— Impossible. Ils doivent rejoindre le bateau de l’émir. Restez là pour bloquer la route. J’y vais.
Pour toute arme, il prit le mégaphone et partit en courant. Chaque pas représentait un effort surhumain. La chaleur était terrifiante, sans un souffle de vent. Même les insectes se cachaient. Sous les pieds de Malko, le bitume tout neuf fondait. Quelque part en bas des rochers, le yacht climatisé de l’émir attendait Kitty.
Un projectile passa en sifflant près de lui. Instinctivement, il fit un écart et le bruit de l’explosion parvint aussitôt. Schaqk tirait sur lui. Un gros rocher lui offrait un abri parfait. Il s’abrita derrière et emboucha une fois de plus son porte-voix :
— Attention, sortez de la voiture. Il y a une bombe, vous allez sauter. Attention, vous êtes en danger de mort.
Cette fois, il ne pouvait pas ne pas avoir entendu. Les mots se répercutaient sur les parois rocheuses avec un éclat fantomatique. Malko répéta son message, en détachant bien chaque mot. Pour toute réponse, plusieurs balles s’écrasèrent sur le rocher. Pour tirer avec cette précision, Schaqk devait avoir un fusil. Si seulement il avait abandonné la voiture. Mais il attendait, accroupi derrière la portière ouverte, Kitty toujours dans la voiture.
Malko regarda sa montre. La bombe allait exploser d’une seconde à l’autre.