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Un bruit de moteur lui fit lever la tête. Il risqua un œil vers la route Comme un gros crabe, la Cadillac enjambait le fossé en cahotant. Elle franchit l’obstacle dans un nuage de poussière et un hurlement de pneus martyrisés, puis partit en tanguant dans la pierraille, vivant un vague sentier.

Malko sortit d’un bond de son abri. Une nouvelle fois, il hurla dans le mégaphone :

— Sauvez-vous, la voiture va sauter.

Il n’eut comme réponse que le hurlement des vitesses de la grosse voiture. Il courut vers l’hélicoptère. Sa décision était prise. Il allait demander au pilote italien de se poser sur le toit de la Cadillac. Comme cela Schaqk serait bien forcé de l’abandonner. S’il arrivait à temps.

Le pilote avait mis le rotor en marche en le voyant courir. Cassé en deux, Malko grimpa dans la cabine et ils décollèrent immédiatement. Ils n’eurent aucun mal à retrouver la voiture. Elle avançait très lentement dans un no man’s land rocailleux, vers la mer. Au moment où Malko allait donner l’ordre au pilote de descendre, il aperçut un point noir sur la route. Il grossit et Malko reconnut alors une Alfa-Roméo des carabiniers. Elle freina à l’endroit où la Cadillac avait quitté la route, si violemment qu’elle se mit en travers. Puis tenta de prendre le même chemin que la voiture américaine. Mais, les roues avant patinèrent et elle s’enlisa dans la poussière du fossé. Le conducteur tenta de l’arracher en donnant de furieux coups d’accélérateur puis jaillit de la voiture.

C’était Chris Jones, décoiffé, en manches de chemise, les courroies de son holster lui barrant la poitrine. Il franchit le fossé d’un bond prodigieux et dévala en courant vers la Cadillac qui cahotait à trois cents mètres devant lui.

— Il est fou, il va se faire tuer dit Malko. Il reprit son mégaphone et hurla :

— Chris, arrêtez-vous. C’est trop tard.

L’Américain fit un vague signe de la main. Ils se trouvaient juste au-dessus de lui et Malko pouvait voir le haut de son crâne dégarni. Il courait à longues enjambées, les coudes serrés et la bouche ouverte, gagnant du terrain à chaque seconde. Il n’était plus qu’à deux cents mètres de la voiture.

— Rattrapez-la et posez-vous sur la voiture. Tant pis pour la casse, dit Malko au pilote.

Cette fois, l’Italien le regarda, franchement désapprobateur.

— Signor, remarqua-t-il doucement, j’ai une femme et deux enfants et je n’ai pas envie de mourir. Ceci est une affaire privée qui ne me regarde pas. Si vous voulez vous faire tuer, faites-le tout seul. Vous avez dit vous-même que la voiture va sauter.

— Mais la fille ! dit Malko avec désespoir. L’Italien baissa la tête et murmura :

— C’est horrible, mais nous n’y pouvons rien.

Malko ne quittait pas la voiture des yeux, pris d’un fol espoir. Le temps de l’explosion était passé de cinq minutes. Peut-être le dispositif n’avait-il pas fonctionné ?

L’hélicoptère bourdonnait comme un gros insecte au-dessus de la voiture. Schaqk n’avait plus que cinq cents mètres environ à franchir pour rejoindre la route en contrebas. On ne voyait plus Kitty. Soudain la Cadillac stoppa net. Schaqk en jaillit, une carabine automatique dans son énorme poing. Chris se rapprochait à vue d’œil. Précipitamment, il épaula et pressa la détente ; une flamme orangée apparut à la sortie du canon et plusieurs petites gerbes de poussière jaillirent autour de Chris Jones qui ne ralentit pas sa course. Il ne chercha même pas à riposter avec son pistolet. Mais la tentative de l’Américain était désespérée.

Malko, dans l’hélicoptère immobilisé une vingtaine de mètres au-dessus de la Cadillac, n’en pouvait plus.

— Stop, Chris, hurla-t-il dans le mégaphone. Cela va sauter !

Le gorille était à moins de cinquante mètres de la voiture. Brusquement Malko réalisa pourquoi Schaqk n’avait pas abandonné la voiture : il ne comprenait que l’Arabe. L’émir le lui avait dit. L’Italien avait entendu son avertissement. Il cabra l’hélicoptère qui grimpa verticalement, collant Malko au siège. Celui-ci eut le temps de détailler la scène : la voiture noire immobilisée sur la rocaille et l’homme qui courait comme un fou sous le soleil. Et soudain, il n’y eut plus de Cadillac. Rien qu’un cratère noir. Un souffle irrésistible souleva l’hélicoptère et Malko dut se cramponner pour ne pas être éjecté. Le pilote jura :

— Porca madona !

Pendant près d’une minute, l’Alouette fut ballottée comme un fétu de paille. Enfin, Malko put regarder en bas. À la place où se trouvait la Cadillac il n’y avait plus qu’un nuage de poussière. La silhouette de Chris Jones avait disparu aussi. À cent mètres de là, dans une crevasse, un panache de flammes et de fumée noire montait dans l’air brûlant, des débris de la voiture.

— Descendez, hurla Malko. Vite !

Le pilote était blanc comme un linge. Tellement troublé que l’atterrissage fut plutôt brutal. L’appareil rebondit deux fois. Malko était déjà à terre. Il se tordit la cheville et courut en clopinant vers le brasier.

Ce qui restait de la Cadillac avait été projeté dans un petit ravin, à près de cinquante mètres du lieu de l’explosion. Une chaleur terrifiante se dégageait du brasier. Malko dut reculer. Il manquait les portières, un morceau de toit et le capot. À travers les flammes, Malko aperçut soudain une frêle silhouette.

— Kitty ! hurla-t-il.

Il ne sut jamais si c’était une illusion d’optique ou si la jeune fille avait réellement bougé. Mais il y eut une flamme brusque à l’intérieur et les longs cheveux blonds s’enflammèrent d’un seul coup. Pendant des mois, il reverrait cette vision. Le pilote accourait avec l’extincteur de l’hélicoptère. Il le braqua sur les flammes et une mousse blanche atteignit la voiture. En vain. La chaleur était trop forte.

Chris Jones surgit, les yeux fous. Une profonde estafilade lui barrait le front.

Dès que l’extincteur parut avoir fait une trouée dans les flammes, il se précipita. Mais lui aussi dut reculer, les cheveux et les sourcils roussis, des cloques sur les mains. Il avait l’air si égaré que Malko lui dit :

— C’est trop tard, Chris. Et ce n’est pas votre faute. C’est le destin. Il y avait des larmes dans les yeux de l’Américain. Il contemplait la voiture, hypnotisé, si près que Malko dut le tirer en arrière. La Cadillac continuait à brûler, l’extincteur de l’hélicoptère était vide. Les trois hommes reculèrent, impuissants.

Puis on entendit les sirènes des voitures des carabiniers sur la route. Cinq minutes plus tard ils arrivèrent avec Milton. La Cadillac finissait de brûler. Milton était verdâtre. Il avait trouvé sur son chemin le corps de Schaqk dont la tête, écrasée contre un rocher n’était plus qu’une bouillie ignoble. Il lui manquait un bras, arraché net à l’épaule. Un groupe de campeurs accouraient. Ils s’arrêtèrent net et hélèrent les carabiniers à grands gestes. Il y avait, aplati sur une paroi rocheuse, le volant de la Cadillac, un peu plus loin une main poilue. Enfin les carabiniers apportèrent un plus gros extincteur et on put s’approcher de la voiture. Malko parvint à ouvrir la portière avant, encore brûlante, sous un flot de neige carbonique.

Kitty n’était plus qu’une petite silhouette carbonisée, recroquevillée sur ce qui avait été le siège avant. On aurait dit une enfant de huit ans. À côté de Malko, le capitaine Grado arrivé en dernier pleurait. Il fit un signe de croix et murmura :

— Elle n’a pas dû souffrir, elle a été asphyxiée tout de suite par la fumée.

Malko ne répondit pas. Il repensait au regard innocent de Kitty et à sa détresse. Il était le dernier être à lui avoir apporté un peu de joie. Pauvre gosse. Elle n’avait pas eu de chance dans sa courte vie. À l’écart, Chris Jones se tenait debout, les yeux secs. Malko alla le réconforter, mais l’Américain semblait dans un état second, insensible aux mots.