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On apporta une couverture pour y rouler ce qui restait de Kitty. Quelques minutes plus tard, le capitaine Grado tendit à Malko un petit paquet. Il y avait une gourmette en or, une longue mèche de cheveux qu’ils avaient retrouvée au fond de la voiture et un petit ours en peluche, tout roussi. Le tout dans un grand mouchoir à carreaux, prêté par un des carabiniers. Tout ce qui restait de Kitty Hillman. Malko aussi avait envie de pleurer. Il s’éloigna lentement de la carcasse encore fumante de la Cadillac.

15

Il régnait une chaleur étouffante dans le minuscule bureau du capitaine Grado. L’Italien était assis derrière son bureau, en manches de chemise. Il était deux heures de l’après-midi.

En face de lui, Malko gardait un visage grave et triste. Le corps de Kitty Hillman reposait dans un cercueil hâtivement confectionné, au fond d’un hangar attenant au commissariat. Depuis qu’ils avaient regagné le bureau, le capitaine Grado n’avait pas cessé de téléphoner : Rome, Sassari, Olbia.

Malko et les deux gorilles avaient dû faire une longue déposition sous serment, pour l’enquête sur la mort de Carole Ashley. Et maintenant, le capitaine Grado venait de convoquer les trois hommes dans son bureau.

— Commandatore, dit-il après avoir allumé une cigarette, j’ai reçu des instructions en ce qui vous concerne : vous êtes expulsés de Sardaigne pour avoir gravement troublé l’ordre public. Il y a un avion qui quitte Olbia à six heures pour la France… J’ai retenu trois places.

— Et l’émir ?

Le capitaine baissa la tête. Il avait un peu honte.

— Je ne peux rien faire pour le moment. Il est protégé par son passeport diplomatique. Mais je vous donne ma parole d’honneur que l’enquête sur le meurtre de Mlle Carole Ashley sera menée jusqu’au bout…

— Vous voulez dire qu’il risque d’être condamné ?

— Non. Si nous réunissons des preuves suffisantes, en pratique, nous pouvons seulement le déclarer persona non grata et demander son expulsion.

— C’est tout ?

— C’est tout.

Il y eut un lourd silence. Chris Jones était toujours aussi pâle comme si tout son sang s’était vidé de son corps. Il n’avait plus desserré les lèvres depuis l’incendie de la Cadillac.

— Je comprends votre position, dit Malko. Vous avez fait tout ce qui était en votre pouvoir. Je vous en suis infiniment reconnaissant.

La petite tête d’épingle du capitaine Grado n’était plus ridicule. Il semblait sincèrement attristé. Et puis, cet inconnu blond lui plaisait. Les yeux dorés reflétaient parfois une bonté qu’il comprenait. Malko s’éclaircit la voix et dit :

— Capitaine, si je vous donnais ma parole d’honneur de me trouver dans ce bureau à cinq heures précises, m’autoriseriez-vous à aller prendre un dernier bain. Avec mes amis, bien entendu, dont je réponds comme de moi-même…

Le capitaine leva ses yeux d’oiseau sur Malko, toujours sans changer d’expression.

— Si vous me donnez votre parole d’honneur, Commandatore, vous êtes libre. Il fait très chaud aujourd’hui et je ne possède aucun local digne de votre rang pour vous garder. D’ailleurs, nous n’avons même pas de prison.

Malko se leva.

— Vous avez ma parole, capitaine. À tout à l’heure.

L’Italien les regarda partir avec une expression indéfinissable dans le regard, un mélange de fierté, de tristesse et de compréhension. Puis il se replongea dans ses papiers.

Sous le soleil torride, Malko expliqua aux deux gorilles :

— Nous avons trois heures pour régler nos comptes. Après, l’émir nous échappera définitivement.

— Allons-y, dit Chris. Je ne dormirai tranquille que quand ce type sera mort.

Ils n’avaient plus de voiture, mais le Donzi était toujours à quai. Avec toutes leurs valises mais sans armes. Le capitaine avait tout gardé.

— Nous avons le bénéfice de la surprise, expliqua Malko. Jamais l’émir ne peut penser une seconde que nous allons venir le voir. Nous nous débrouillerons.

Chris Jones ne dit rien, mais l’expression hagarde de son visage ne présageait rien de bon.

Ils traversèrent rapidement la petite place de Porto-Giro, déserte à cette heure caniculaire et gagnèrent le Donzi, à quai. Trois minutes plus tard, ils franchissaient la passe. Le domaine était à cinq minutes. Ils virent approcher les bâtiments blancs avec une étrange émotion. C’était la dernière fois qu’ils venaient là. Le wharf grossit. Il n’y avait personne en vue. Malko coupa les deux moteurs et le Donzi continua sur son erre. L’étrave acérée fendait l’eau émeraude silencieusement. Alors qu’ils n’étaient plus qu’à quelques mètres du bout de la jetée, un garde en uniforme sortit d’une petite guérite et vint vers eux en traînant les pieds.

Déjà, Chris, caché par le pare-brise, avait saisi une lourde clef anglaise.

Malko arrêta son geste :

— Évitons de faire couler le sang. L’émir ne se méfie plus. Celui-là ne se fera pas tuer pour lui.

Effectivement, le garde les regardait accoster sans manifester la moindre hostilité, les prenant pour des visiteurs de l’émir. La coque heurta le wharf et Chris sauta à terre. En un clin d’œil, ils furent amarrés. Le garde salua et dit :

— Qui dois-je annoncer à Son Excellence ?

Chris avait fait le tour derrière lui. Brusquement, il lui fit une clef au cou, l’étranglant aux trois quarts.

— Le diable, souffla-t-il. Monte dans le bateau. Vite.

L’autre, de surprise, faillit en avaler son dentier. Il porta vaguement la main à son étui de revolver, mais Chris le découragea d’une tape et récupéra l’arme, un Beretta 7,65.

— Pas d’héroïsme, pépère, ou tu ne toucheras jamais ta retraite…

Le vieux ne comprenait pas l’anglais, mais il saisit parfaitement l’intonation. Son bras retomba le long de son corps et il sauta docilement sur le Donzi. Pour se retrouver ficelé comme un saucisson au fond de la luxueuse cabine. Il était totalement dépassé par les événements.

— Combien de gardes comme vous y a-t-il ici ? demanda Malko en parfait italien.

— Deux. Un au standard téléphonique, l’autre à l’entrée de la route. Et puis les Arabes de l’émir. À l’intérieur de ses appartements.

— Armés ?

Il fit signe que oui. Malko lui enleva son pistolet et expliqua :

— On ne vous fera aucun mal. Dans une heure nous vous libérerons.

— Et l’émir, gémit le vieux, il va me renvoyer. J’ai une femme…

— L’émir, coupa Chris, tu pourras aller à son enterrement, si tu l’aimes tant.

Après avoir soigneusement fermé la porte de la cabine à clef, ils s’avancèrent sur le wharf. Les appartements privés de l’émir se trouvaient heureusement de l’autre côté et il ne pouvait les voir. Rapidement, ils serpentèrent à travers les bungalows des invités. Il n’y avait pas un chat en vue.

Malko connaissait le chemin par cœur. Il se retrouva devant le poste de garde vitré, commandant le patio de la soirée psychadélique avec un pincement de cœur. Comme la première fois, un garde somnolait au standard téléphonique, cuit de chaleur. Lorsqu’il redressa brusquement la tête, il se trouva en face du regard glacé des yeux gris de Chris Jones. Et aussi du museau noir du Colt 38.

— Les mains sur la tête, fit l’Américain.

Le Sarde n’hésita pas une seconde. Dans ce pays où le kidnapping était une des industries de base, on apprenait dans les écoles qu’il ne fallait jamais discuter les ordres d’un homme armé. Il leva gentiment les bras.