Rapidement, grâce à une partie des fils téléphoniques du standard, il fut ligoté à sa chaise.
— Il Principe ? demanda Malko. L’autre désigna des yeux le patio.
— E la casa.
On le sentait attentif à ne pas faire la moindre peine à Malko. L’émir ne devait pas très bien le payer.
— Dove ?
L’homme montra la galerie à droite et leva quatre doigts. C’était donc la quatrième porte, un peu plus loin que le salon Louis XV où Malko avait été reçu.
— Restez là, dit Malko à Chris… Je vais voir. Que Milton fasse le tour pour surveiller les fenêtres. Et surtout, pas de coups de feu. Il jeta un coup d’œil à sa montre : trois heures moins le quart. Il avait encore le temps. Avant de partir, il ramassa sur le bureau un gros trousseau de clefs.
Abdullah Al Salind, émir Katar, s’étira voluptueusement, sauta de son canapé de cuir blanc et déboucha délicatement la bouteille de Dom Pérignon, tout en pensant à rentrer le ventre car la jeune femme assise en face de lui l’observait.
Pour la première fois depuis des semaines, l’émir se sentait d’humeur joyeuse. Ces chiens de Baki et d’Aziz étaient morts. Il était débarrassé des agents de la C.I.A. et Kitty Hillman n’était plus un problème pour lui. Certes, il allait être obligé d’engager des gardes du corps pour un certain temps. Mais la politique est mouvante. Nasser serait peut-être tué avant lui…
Quant à ses ennuis avec les autorités sardes, cela se réglerait à Rome en deux coups de téléphone.
Aussi avait-il décidé de s’offrir une petite joie, de s’occuper enfin sérieusement de la jeune personne qui se trouvait en face de lui. Il l’avait invitée dans son domaine, mais depuis une semaine, à cause de tous ces événements fâcheux, elle croupissait dans son bungalow climatisé. Il ne l’avait vue que pour la soirée psychadélique. Mandy Wheeler aimait l’argent et tout ce qu’il procure. Son analphabétisme presque total avait résisté aux assauts des meilleurs finishing schools d’Angleterre et du Continent. Lorsqu’elle avait rencontré l’émir au cours d’une soirée à Londres, son choix avait été fait immédiatement. C’était l’homme idéal à épouser. Elle avait beau savoir qu’il avait la fâcheuse habitude de se débarrasser, au bout de quelques semaines, des jeunes débutantes auxquelles il faisait l’honneur de son lit, elle était sûre de la victoire. Il suffisait d’être plus rusée, plus patiente et plus vicieuse que les autres. Une recette simple. Son statut social était excellent, elle avait toujours choisi ses amants discrètement parmi ceux qui pouvaient élargir ses connaissances sexuelles et elle était belle. Et décidée à dire « oui » à tout. On disait l’émir affreusement dépravé, pédéraste occasionnel, et un peu sadique. Mandy espérait de tout son cœur qu’il serait à la hauteur de sa réputation. Qu’au moins elle ne s’ennuie pas trop. Mandy, assise bien en face de l’émir, décroisa légèrement les jambes. Il aperçut le triangle blanc de son slip et détourna les yeux trop vite. Le champagne débordait des coupes. Il tendit la sienne à Mandy.
— À nous, dit-il.
Quel merveilleux décor pour un premier contact ! Cette partie du bâtiment était réservée aux ébats amoureux de l’émir Katar. Le sol de marbre noir était parsemé de luxueux tapis, de moquette blanche comme le divan et les fauteuils. Une somptueuse installation de stéréo diffusait une musique douce et sentimentale. Bien entendu, l’appartement était à air conditionné et il régnait une agréable fraîcheur. Mandy frissonna. Le contact du cuir contre sa peau lui causait un agréable picotement. Elle voyait que l’émir avait envie d’elle et c’était, aussi, une sensation agréable.
— Je voudrais une cigarette, demanda-t-elle.
— Elles sont dans le tiroir du bar, dit-il.
Il aimait la voir déplacer sa longue silhouette souple, deviner sous la jupe très serrée, la ligne du slip, lorsqu’elle marchait. Mandy le savait : elle fit saillir ses reins en se levant, retira ses chaussures et glissa jusqu’au bar. Dans son dos, elle sentait le regard brûlant de l’émir. En ouvrant le tiroir, elle poussa un petit cri :
— K ! qu’est-ce que c’est ?
Pour simplifier, elle l’avait surnommé « K ». Cela avait quelque chose de mystérieux qui l’excitait beaucoup. Elle tenait à la main un petit pistolet automatique noir.
L’émir ne fit qu’un bond jusqu’à elle, lui reprit l’arme et referma le tiroir.
— C’est pour me défendre contre les cambrioleurs, expliqua-t-il.
Il lui avait raconté que le domaine avait été attaqué par des bandits sardes, la nuit précédente, pour justifier les coups de feu entendus. Mandy le regarda d’un drôle d’air.
Les armes à feu l’excitaient. Il le sentit et l’enlaça. Appuyés au bar, ils échangèrent leur premier baiser. Mandy y mit toute sa technique, bien que l’haleine de l’émir ne fût pas des plus fraîches, mais l’argent n’a pas d’odeur…
Leur flirt se poursuivit sur le divan. Mandy savait parfaitement qu’elle était venue là pour faire l’amour, mais elle tenait à exciter le plus possible son partenaire. Très chatte, elle se frottait contre lui, se reprenait, s’écartait, bavardait. Quand l’émir fit sauter son soutien-gorge, elle poussa un petit cri et se couvrit la poitrine, tout en prenant soin de laisser dépasser la pointe d’un de ses seins.
— Ce n’est pas très confortable, ce divan, soupira-t-elle. L’émir Katar découvrit ses dents blanches.
— Vous avez raison, j’ai quelque chose de bien mieux.
Il tira Mandy par le bras et la fit lever, pour l’amener au milieu de la pièce. Dans sa main gauche, il dissimulait une petite boîte carrée de la taille d’une boîte d’allumettes, qu’il avait prise sur une étagère.
— Allongez-vous par terre, ordonna-t-il.
— Par terre ?
À cet endroit, il n’y avait pas de tapis.
— Oui, par terre.
On lui avait toujours dit de ne jamais contrarier les caprices sexuels d’un milliardaire.
Quand la pointe de ses seins nus toucha le sol, le froid du marbre la fit frissonner. L’émir se pencha et la tira un peu en avant, en même temps, il fit glisser sa jupe le long de ses jambes.
— Ne bougez pas, dit-il.
Il y eut un petit déclic et un ronronnement, Mandy poussa un cri. Le sol se soulevait sous elle. Elle se tortilla pour regarder : un grand rectangle de marbre constituant le revêtement du living-room montait lentement, comme un pont hydraulique dans un garage. Ses jambes pendaient à l’extérieur et elle commença à comprendre ce que voulait l’émir. Ce n’était pas extrêmement confortable, mais très excitant. En plus, les vibrations du moteur se répercutaient dans la table et dans le corps de Mandy.
— Comment ça marche ? demanda-t-elle.
— C’est une table escamotable, expliqua le Prince complaisamment. Avec un système hydraulique que je télécommande avec ça.
Il lui montra la petite boîte jaune et appuya sur une des touches. La table s’arrêta de monter. Il pressa une autre touche et le marbre redescendit légèrement. En même temps, l’émir fit le tour du plateau de marbre pour venir se placer derrière Mandy. Pendant que la table se remettait à monter, il tira doucement sur le slip blanc. Mandy l’aida en se soulevant un peu. L’idée de faire l’amour électroniquement ne lui déplaisait pas. Quant à l’émir, cette méthode épargnait son début d’embonpoint. Le mécanisme hydraulique lui évitait des mouvements inutiles. Avec un petit chuintement, la table s’arrêta en position haute.
— C’est étonnant votre système ! gloussa Mandy en sentant le corps de l’émir se glisser derrière elle. Voluptueusement, il passa les deux mains sur son dos nu et lui emprisonna les seins. Il ne s’était pas encore déshabillé. Au moment où il mettait la main sur la ceinture de son pantalon, il y eut un craquement à l’autre bout de la pièce et il leva la tête. La porte était en train de s’ouvrir tout doucement. L’émir n’eut même pas peur. Pour lui, l’opération Kitty était terminée. Il avait une confiance absolue dans son invulnérabilité.