On tambourina à la porte. Malko fit signe à Chris Jones de rentrer son pistolet.
— Ouvrez la salle de bains, demanda-t-il.
Maintenant, il avait l’âme en paix. Abdullah Al Salind Katar ne pouvait plus échapper à son sort. Le coup de Chris l’avait assommé pour une bonne dizaine de minutes.
Mandy sortit de la salle de bains, rhabillée et poussa un cri en voyant le corps étendu.
— N’ayez pas peur, dit-il. Je l’ai seulement assommé. Nous voulions lui donner une leçon.
Les coups redoublèrent à la porte.
— Ouvrez, Chris, dit Malko.
Mandy se précipita vers le corps de l’émir et s’agenouilla près de lui, glissant sa main contre la poitrine à la place du cœur. À peine Chris entrouvrit-il le battant que trois carabiniers firent irruption, accompagnés du capitaine Grado.
— Qu’y a-t-il ? demanda Malko.
L’Italien avait le visage sévère. Il sursauta en voyant le corps.
— On vous a vus arriver et on m’a téléphoné. Qu’avez-vous fait ?
— Rien de bien grave, dit Malko aimablement, une petite correction. Mais il est bien vivant. N’est-ce pas, Mademoiselle ?
Mandy inclina la tête affirmativement.
— Je me préparais à partir, capitaine, ajouta Malko. Notre avion décolle dans une heure, nous avons juste le temps.
— Je vous accompagne, dit le capitaine des carabiniers. Je ne voudrais pas qu’il y ait un autre incident…
— Je vous en prie, dit Malko.
Mandy s’était relevée et attendait, indécise. Malko lui fit un charmant sourire.
— Vous devriez aller chercher un médecin pour son réveil, mademoiselle, il sera certainement sensible à cette attention.
— C’est vrai, balbutia Mandy.
Elle était plutôt dépassée par les événements. Docilement, elle sortit.
Malko donna le signal du départ. Le capitaine Grado sortit le dernier. Il se souciait peu de réveiller l’émir.
Dès que la porte fut fermée, Malko appuya sur une petite touche de la boîte jaune au fond de sa poche, et laissa le doigt écrasé sur la touche, tout en marchant à côté du capitaine Grado. De l’autre côté, il y eut un chuintement imperceptible.
Personne n’entendit le léger craquement que fit l’arête de marbre lorsqu’elle s’abattit sur la nuque de l’émir, lui brisant les vertèbres cervicales.
16
Un beau soleil d’hiver réchauffait l’atmosphère de Cape Cod. Mais l’assistance distinguée qui s’était déplacée pour assister au lancement du porte-avion Foster Hillman grelottait quand même. Ce n’était pas un lancement ordinaire. Jamais les chantiers navals de Cape Cod n’avaient vu autant de gens importants. La file des Cadillacs et des voitures de luxe s’étendait sur trois kilomètres. Des bruits étranges couraient sur ce lancement. On avait dit que le porte-avion, devant s’appeler Corregidor, avait été rebaptisé très peu de temps avant son achèvement, sur la demande de la Maison Blanche. Il y eut un remue-ménage dans le service d’ordre, des hurlements de sirène. La Lincoln noire blindée du Président arrivait à quatre-vingts miles à l’heure.
Cela aussi, c’était inhabituel. Le Président n’avait pas pour habitude d’assister au lancement des navires. Mais la Présidente était la marraine de l’énorme porte-avion.
Figés par le froid et le respect, les invités d’honneur regardèrent le couple présidentiel monter l’escalier de bois qui menait à la tribune improvisée, devant l’énorme proue. La traditionnelle bouteille de champagne pendait déjà près du micro, au bout d’un long câble. Le Président, sans perdre de temps, s’empara immédiatement du micro. La première partie de son discours n’eut rien de bien spécial. C’était un rappel de l’effort de la nation pour se doter de puissantes armes de défense. Ce porte-avion allait être affecté à la Sixième flotte dont il serait un des plus beaux fleurons. Les assistants s’endormaient doucement sous le ronron officiel. Brusquement, le Président changea de sujet et se mit à parler de Foster Hillman. Un brillant éloge posthume.
« Je suis heureux que ce fier bâtiment porte le nom de Foster Hillman, conclut-il. C’était un homme qui avait consacré sa vie à son travail. Il a donné ce qu’il avait de meilleur et il est mort pour son pays. Nous lui en sommes tous infiniment reconnaissants. »
Un murmure de curiosité balaya les tribunes officielles. Officiellement, la mort de Foster Hillman avait toujours été présentée comme un suicide, au cours d’une crise de dépression nerveuse. Seuls, deux hommes au premier rang des invités ne bronchèrent pas : le général Radford, nouveau patron de la C.I.A. et Son Altesse Sérénissime le Prince Malko.
Déjà, la marraine envoyait la bouteille de champagne contre la gigantesque étrave. Il y eut un jaillissement de mousse, des applaudissements et la coque s’ébranla lentement vers la mer. Une larme glissa lentement sur la joue du général Radford, mais sa femme fut la seule à l’apercevoir. Le patron de la C.I.A. fixait l’endroit où la bouteille de champagne s’était écrasée, comme s’il avait pu apercevoir le minuscule point d’or de la gourmette de Kitty Hillman, noyée dans les 300.000 tonnes d’acier de la coque. Une idée à lui.