Le général Radford sembla favorablement impressionné par cette discrétion. Ce S.A.S. n’était pas si indiscipliné, après tout.
— Est-ce que cela peut avoir un rapport avec votre convocation présente ? demanda-t-il.
Malko secoua la tête.
— Je ne pense pas. Cette affaire avait été réglée définitivement.
— Et avez-vous une idée de la raison pour laquelle Hillman a fait directement appel à vous au lieu de passer par la voie hiérarchique ?
— Pas la moindre. Je pense maintenant qu’il a eu besoin de quelqu’un qu’il connût personnellement pour une mission à laquelle il tenait particulièrement.
Il y eut un silence pesant. Visiblement, les trois hommes hésitaient à croire Malko. Il en profita pour contre-attaquer. À cause de Hillman, il se trouvait dans une position assez délicate.
— Vous ne soupçonnez quand même pas Foster Hillman d’avoir trahi ? demanda-t-il doucement.
Radford leva sur lui des yeux injectés de sang et répondit lentement :
— C’est la question que beaucoup de gens vont se poser ces jours-ci. Et à laquelle nous devons répondre. Pouvez-vous nous y aider ? Malko dit prudemment :
— Je ne sais rien de cette affaire. Il semble que Foster Hillman ait eu un problème, et a fait appel à moi, Dieu sait pourquoi. Entre-temps, la situation a évolué de telle façon qu’il s’est suicidé…
— Vous ne voyez vraiment aucun lien entre cette mort et votre rendez-vous ? insista Donovan.
Malko plongea ses yeux dorés dans les yeux bleus du chef de la Sécurité et fit sèchement :
— Aucun.
De nouveau, un lourd silence plana dans le bureau. L’immeuble entier était maintenant au courant du drame mais, à part le corps de Foster Hillman dans son bac à glace au sous-sol et la réunion des quatre hommes, rien ne transpirait. Malko se leva.
— Messieurs, dit-il, mon rendez-vous n’a plus de raison d’être. Aussi vous demanderai-je l’autorisation de me retirer… Je reste à votre disposition, vous savez où me trouver.
Donovan et Radford échangèrent un regard gêné. Puis Radford fit :
— Avant de partir, voulez-vous avoir l’obligeance d’attendre quelques instants dans le couloir ? J’aurai peut-être besoin de m’entretenir avec vous à nouveau.
Malko aimait de moins en moins la tournure que prenaient les événements. Il aurait donné cher pour que Foster Hillman n’ait pas sauté avant son arrivée. Maintenant, la moindre erreur le transformerait en suspect numéro un. Il mourait d’envie de les envoyer promener mais, néanmoins, il s’inclina et sortit faire les cent pas dans le couloir sous le regard impassible des deux gardes.
— Qu’en pensez-vous ? demanda Radford dès que Malko eut refermé la porte blindée.
Donovan eut un geste évasif.
— S.A.S. travaille avec nous depuis longtemps. Il a un bon dossier. Et je ne vois pas quel serait son intérêt dans cette histoire.
— À moins que ce soit sa conversation avec Hillman qui ait déclenché le suicide de ce dernier…
— Ce n’est pas la première fois qu’on nous retournerait un agent, souligna Donovan. Même un homme considéré comme sûr. Il y a tant de ressorts à faire jouer dans un être humain. Radford avait allumé un nouveau cigare. Il regardait par la fenêtre. Brusquement, il sortit de son mutisme pour dire :
— Plus que jamais je pense qu’il faut dissimuler au public la mort pendant un certain temps.
Donovan secoua la tête :
— Pour cela nous avons besoin de l’autorisation du Président. Radford balaya l’objection.
— Est-ce possible à l’intérieur de l’Agence ?
L’homme du Renseignement réfléchit quelques instants avant de dire :
— En avertissant tout notre personnel, je pense que nous pouvons limiter les fuites à quelques bavardages mondains. Évidemment, des Services étrangers peuvent l’apprendre, mais, si nous faisons attention, ils ne pourront avoir de confirmation durant, disons, au moins une semaine. Toujours si le Président est d’accord.
Radford hocha la tête, satisfait :
— Cela pourrait aller.
— Mais où voulez-vous en venir ? Radford pointa son cigare sur lui :
— À ceci. Foster Hillman a choisi de mourir. Sans laisser aucun indice. Il semble donc que sa mort elle-même nous prive de tout espoir de tirer cette histoire au clair. Par contre, si on ignore que Hillman est mort, il se produira peut-être quelque chose.
— C’est astucieux, approuva Donovan. Mais en admettant que quelqu’un veuille contacter Hillman, il se rendra compte tout de suite qu’il n’a pas affaire à lui.
Radford se permit un sourire, un peu crispé.
— Non. Avez-vous entendu parler des hologrammes ?
— Vaguement, mais j’ignore ce que c’est exactement, fit Donovan.
— C’est un petit gadget électronique mis au point pour la Division des Plans. Une combinaison de magnétophone et d’ordinateur. Convenablement « nourri » il imite la voix de n’importe qui… Je vous signale que les Russes ont la même chose. C’est la raison pour laquelle nous avons dû interdire aux équipages du Stratégie Air Command d’obéir à la voix du Président des U.S.A. en cas de conflit.
— Dites-moi, vous vous éloignez du sujet.
Radford secoua la tête :
— Pas du tout. Nous allons mettre dans ce bureau un agent avec un hologramme. Foster Hillman a laissé assez d’enregistrements de sa voix pour que nous puissions le nourrir. Pour tout le monde, il sera Foster Hillman. Bien entendu les communications téléphoniques seront filtrées et ne lui parviendront que celles pouvant avoir un rapport avec ce que nous cherchons. Après, ce sera à nous de jouer, dès que nous aurons une piste.
— Et qui va être l’agent ? demanda Donovan.
— Son Altesse Sérénissime le Prince Malko, fit Radford en détachant le mot. De cette façon, nous faisons d’une pierre deux coups. S’il est pour quelque chose dans cette histoire il va se trouver dans une situation difficile.
Donovan et Power n’avaient pas l’air enchanté mais ils n’eurent pas le temps d’élever leurs objections : la sonnerie d’un des trois téléphones posés sur le bureau venait de retentir. Ce n’était pas une sonnerie stridente, mais bien distincte. Une sonnerie ininterrompue et persistante.
C’était le téléphone relié à la Maison Blanche.
Aucun des hommes présents ne l’avait jamais entendu.
Le général Radford décrocha, écouta quelques instants, le visage figé, écarta le combiné de son visage et dit :
— Le Président veut me parler. Au sujet de la mort de Foster Hillman. De la main gauche, il brancha le système de haut-parleurs diffusant dans le bureau la conversation et attendit.
Il y eut quelques craquements et la voix du Président, avec son accent traînant du Sud, parvint :
— Savez-vous ce qui est arrivé à Foster Hillman ?
— Non, Monsieur le Président, nous ne le savons pas, répondit le général Radford. Il y a une faible chance pour qu’il s’agisse d’une brusque crise de dépression.
— A-t-il eu jamais de semblable crise ? demanda sèchement le Président.
— Non, Monsieur le Président, mais…
— Éliminons donc cette possibilité, dit le Président. Avez-vous une autre idée ?
La voix résonnait étrangement dans la pièce. Francis Power et Ned Donovan ne quittaient pas des yeux le combiné. Radford essuya son front de sa main libre. Il aurait donné dix étoiles pour être ailleurs.
— Je n’ai pas d’idée pour le moment, répondit-il. Foster Hillman a détruit son dossier personnel avant de se suicider et nous devons procéder avec beaucoup de prudence.