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C’est incontestablement une bonne nouvelle, et elles sont rares : les embauches. Dès son apparition, il y a quatre siècles, le verbe embaucher est économique et social, mais son dérivé embauche n’est usuel que depuis une centaine d’années. Embaucher a été fabriqué de toutes pièces pour s’opposer à débaucher, qui était ancien.

Embaucher et débaucher ne sont qu’à moitié parallèles. On voit bien, théoriquement, le rapport entre détourner de son travail et détourner de ses devoirs, mais le rapport entre embauche et débauche est aujourd’hui assez cocasse. À tel point qu’on a formé le mot débauchage, demeuré assez rare, alors que la perte de travail qu’il désigne demeure une des plaies de notre temps. Même bizarrerie entre licencier et la licence, qui a suscité licenciement.

L’opposition travail-chômage a privilégié embaucher et embauche comme remède à la perte de travail. Celle-ci n’a vraiment rien à voir avec la débauche, ce que certains pourront regretter. Reste que dans ce faux couple, on peut reconnaître une origine commune.

Ça commence par débaucher, qui, tout comme ébaucher, est un mot d’artisan, de charpentier. Sans certitude, on pense que débaucher, qui a signifié « disperser », a pu correspondre à « dégrossir du bois pour faire une charpente ». De « disperser des gens » à « renvoyer des travailleurs », il n’y avait qu’un pas. Mais à force de débaucher, c’est le désert économique et social, et il a fallu créer des mots pour la création de travail salarié : la création d’emplois s’est appelée l’embauche.

Aujourd’hui, dans l’attirail des mesures prises contre cette catastrophe qu’est le chômage — mot qui a mal tourné, car il désignait le repos volontaire par temps chaud —, l’embauche est le remède le plus naturel. Cependant, être embauché ne suffit pas et l’embauche, qui succède à l’offre d’emploi, n’est qu’une porte ouverte pour l’emploi effectif. De même que débaucher a fini par susciter embaucher, on aurait besoin d’un certain nombre de repour corriger certains dé- ; relocalisation, par exemple.

15 septembre 2004

Oui

Alors, oui ou non, au projet de Constitution européenne ? On connaît la formule « oui, non, n’a pas compris la question ». Je choisis le mot oui, mais c’est pour une raison philologique. Le fait que le monosyllabe non est déjà latin renvoie les difficultés de son origine à l’étymologie d’une langue antique[77]. En revanche, dire oui est une affaire francophone, et même de la moitié nord de l’Hexagone — qui n’est pas pour autant un triangle. La partie latine de oui, c’est o, qui continue hoc, « cela », le démonstratif qui signale la réalité de ce qu’on montre. Les terres du sud de la France, restées plus proches du latin, disent oc, d’où vient Languedoc, le pays où la langue dit oc, et occitan. Au nord, on a renforcé le o initial par le pronom personnel : ça donnait o-je, o-nos, o-vos, etc., et, à la troisième personne, o-il. C’est cette forme, oui-il, moins subjective, qui l’a emporté : donc, oïl, celui de la « langue d’oïl », et enfin, assez tard — fin du XIVe siècle — ça y est, oui ! Au Parti socialiste, en ce moment, on pourrait dire o-nos, « oui nous », mais ceux qui suivent le raisonnement de Laurent Fabius disent simplement non. Ils auraient dit nenny, quand on commençait à dire oui, à la fin du Moyen Âge. Si, cet autre monosyllabe, correspond à oui, lorsque la réponse réagit à une question négative : « Tu n’as pas envie d’un peu plus d’Europe ? — Si ! » ; « Tu as envie d’une Europe plus sociale ? — Oui. » Les Italiens et les Espagnols disent si dans tous les cas, là où les anglophones préfèrent yes et les Allemands Ja ; les Étatsuniens aussi d’ailleurs, ce qui suggère qu’ils ne parlent pas anglais.

Dans les affaires courantes, l’opposition sèche oui-non ne plaît guère. Plutôt que oui, on va dire tout à fait, d’accord, d’ac, OK, au grand désespoir des puristes. Ou bien, mollement, ouais, ptêt ben qu’oui, oui mais…, sans parler de peut-être.

Si on veut éviter que les oui et les non aillent vers l’insignifiance, comme dans l’expression pour un oui pour un non, qui signifie « pour des raisons minimes », il est utile de renforcer ces deux vocables. François Hollande, pour écarter le « oui de résignation », revendique un « oui de combat ». Du côté des non, les compléments ne sont pas connus, mais le « non de combat » ne devrait pas déplaire à MM. de Villiers ou Chevènement. Je note enfin que, pour obtenir une réponse claire, on dit « oui ou merde ? » mais jamais « non ou merde ? ». Cela révèle quelque chose.

Sans rien dévoiler de mes opinions, qui n’intéressent personne, je note simplement que non est en lui-même définitif : ne unus, niet en russe. Alors que oui fut modulable : o-je, o-nos me plaisent bien, car les opinions sont subjectives : « oui pour moi », « oui pour nous », c’était au fond assez sage, face aux « que nenni » définitifs.

16 septembre 2004

Contrat

En proposant aux Français ce qu’il appelle un contrat, le Premier ministre[78] implique qu’il va tenir compte de la réaction du bon peuple. En effet, ce qu’on a entendu, c’est une déclaration d’intention, celle de réformes « gratifiantes » — adjectif condescendant. Un engagement unilatéral contredit l’idée même de contrat.

Celle-ci, en France, est fondamentale pour qualifier les rapports souhaités entre les gouvernants et les gouvernés, et même entre tous les membres d’une société. C’est le fameux Contrat social ainsi dénommé et pensé par Jean-Jacques Rousseau.

Le contrat, contractus en latin, suppose une pluralité de volontés, puisque le mot dérive du verbe contrahere, formé sur cum et trahere : « tirer ensemble ». Ce que l’on contracte, on le « tire à soi », et le contrat est une traction réciproque : on ne contracte pas mariage tout seul.

En politique, le contrat présuppose une certaine démocratie, en tout cas un renoncement à l’exercice d’un pouvoir absolu. On peut proposer démocratiquement un contrat, mais à condition de discuter, de se mettre d’accord, d’échanger. Or, les déclarations télévisées relèvent de la communication unilatérale, et ne suscitent qu’un contrat de passivité. Le patron de la première chaîne l’a dit avec une franchise désarmante : il s’agit de vider le cerveau des téléspectateurs (avec leur accord, puisqu’ils regardent) pour mieux alimenter la machine publicitaire.

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78

Jean-Pierre Raffarin.