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On ne contestera pas l’usage du mot contrat dans la communication du gouvernement, mais à condition de donner à ce mot un sens assez particulier. Qualifiées de « contractuelles », les décisions, et même les intentions sont proposées sans discussion. Avec un sourire protecteur, benoîtement, le pouvoir gratifie en paroles tout en agissant à sa guise.

On disait naguère d’un mari infidèle qu’il donnait des coups de canif dans le contrat, s’agissant du contrat de mariage. Aujourd’hui, c’est le contrat social qui est, sinon poignardé, du moins aménagé par l’un des contractants, évidemment celui qui tient les commandes. Il arrive que la gouvernance ressemble à la raison du plus fort. Le contrat, alors, pourrait renvoyer à un autre emploi du verbe contracter. Nous contractons un gouvernement comme on contracte une maladie, diront les mauvais coucheurs, les mêmes qui voient d’un œil torve et sceptique la seconde mi-temps pour une équipe qui perd.

20 septembre 2004

Ayant rappelé l’origine de l’affirmation oui, lorsque France Inter accueillait François Hollande[79], je ne pouvais faire moins que de commenter le monosyllabe non, Laurent Fabius étant notre invité.

Si ce n’était « non », ou bien « oui », ce pourrait être « n’a pas compris la question ». Il n’est pas absurde d’évoquer le défaut de comprenette, s’agissant du projet de Constitution européenne.

De même que oui, non vient du latin ; de même que oui, c’est un composé, malgré les apparences de ces monosyllabes qui nous paraissent si simples. La négation de base, en latin, était ne. Non résulte de la négation de unum, « un » ; ne unum, ou plutôt ne oinum, « pas un », a donné un non plus sonore, qui a peu à peu remplacé ne. En français, ne, combiné avec pas, sert à nier un verbe : je ne veux pas (aujourd’hui je veux pas) de cette Europe-là, je dis non.

De même que oui, non peut être modulé de diverses façons : nous sommes devenus sensibles aux nuances, et non-oui peut paraître simplet.

Il y a donc des non mais, des non interrogatifs, des ah, mais non indignés. Quand oui et non sont devenus des noms, l’affirmation et la négation ont perdu de leur énergie : un oui, un non, quelle importance ? Peut-être l’emporte souvent.

Tel n’est pas le cas devant les grandes décisions politiques ; les référendums excluent l’hésitation : pas de demi-teintes, de clair-obscur, pas de peut-être qui désigne la possibilité, mais pas non plus de renforcement, du genre non, non et non ou, menaçant : non, mais des fois !

Le grand problème, c’est de savoir à quoi on dit non : en l’espèce, on ne dit pas non à l’Europe, sauf souverainisme aigu, mais à un texte précis qui prépare cette Europe-là, et nulle autre, qu’on pourrait préférer. On a remarqué que l’opposition à la mondialisation libérale et peu sociale, l’antimondialisme, était devenu l’altermondialisme. Si c’est bien « non à cette Europe, mais pas non à l’Europe », on pourrait parler d’« altereuropéisme ».

Laurent Fabius est plutôt alter- que anti- : l’étymologie suggère : non, c’est ne unum, « non à un », mais oui à un autre.

À quand un référendum proposant oui, non, autre ? Aujourd’hui, c’est plutôt : « L’Europe, on l’aime tous, nous non plus ! »

28 septembre 2004

Bredouille

Dans le concert de critiques adressées à l’expédition d’un député UMP familier du Proche-Orient, et de ses « acolytes[80] », plusieurs autres mots peu élogieux sont employés. Échec, fiasco, initiative « intempestive », c’est-à-dire « faite au mauvais moment » (en latin, tempestif — tempestivus — signifiait « à bon escient, au bon moment »), ou encore pieds nickelés, trop gentil à mon avis. Plus neutre, l’expression revenir bredouille, qui rime avec embrouille (nous a rappelé la revue de presse d’Yves Decaen).

Mot intéressant, qui nous fait penser au chasseur incapable de rapporter du gibier. Son origine nous échappe. Le rapport avec bredouiller, « bafouiller », est plus que probable. On rejettera l’idée que bredouiller fasse allusion au mauvais français des Bretons bretonnants, qui vient d’une tradition de mépris à l’égard de ceux qui parlent une langue différente.

Ce que l’on sait, c’est que être en bredouille a voulu dire « être un peu éméché », ce qui ne prédispose pas au succès, et que mettre quelqu’un en bredouille, dans un jeu de cartes, c’était « le battre à plates coutures », comme on dit sans trop savoir pourquoi — on pourra revenir sur ces coutures aplaties. En fait, il y eut un retournement de sens spectaculaire, car la grande bredouille, au XVIIe siècle, était l’équivalent du grand chelem d’aujourd’hui. Mais c’était du point de vue du gagnant, qui suppose un perdant : la bredouille serait passée de l’un à l’autre.

L’ennui, avec la mission Julia, c’est qu’il ne s’agit pas de cartes et que l’échec de cette action parallèle n’entraîne pas un succès pour les efforts officiels, bien au contraire.

Si bredouille et bredouiller viennent bien, comme le pensait un linguiste français, de mots régionaux signifiant « patauger, barboter dans la boue » — on dit la berdouille dans le nord de la France —, le rapport avec l’idée de « bourbier », souvent évoquée à propos de l’Irak, s’imposerait.

Bredouille, il me semble, ne dénonce pas seulement l’échec, mais la prétention à réussir une entreprise sans en avoir les moyens. Bredouille, la police ne l’a pas été en arrêtant les hauts responsables de l’ETA. Au contraire, car un ministre espagnol a parlé de réussite « historique », emploi discutable de cet adjectif très valorisant.

Les succès, les réussites sont dits « historiques » ; les échecs, les retours bredouilles vite oubliés. Ce qu’il ne faut pas oublier, ce sont les otages, dont on parle bien, mais dont on s’occupe assez mal.

4 octobre 2004
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79

Le 16 septembre, ci-dessus.

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80

Le député Didier Julia avait tenté vainement de négocier à titre personnel la libération des otages français en Irak.