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L’origine du latin falco semble bien être le mot falx, falcis, « la faux », qui ferait allusion à la courbe coupante ou écrasante du bec et des serres. Les faucons sont des prédateurs ; quand on les dresse, ils peuvent devenir d’excellents chasseurs d’oiseaux. Cette forme de chasse fut à la mode pendant des siècles : c’était la fauconnerie, qui a encore des adeptes. On remarquera que les faucons humains, appelés en français familier des va-t-en-guerre, sont plus souvent des politiques que des militaires. On les nommerait plus justement fauconniers que faucons, alors que les colombes, partisans de la discussion, de la communication, sont à la fois colombes et colombophiles. Aux États-Unis, ces temps-ci, les colombes sont plutôt des pigeons.

On se gardera de qualifier ainsi le modéré Colin Powell, mi-faucon, mi-colombe, et on se retiendra de traiter de fauconne — féminin oublié des dictionnaires — dame Condoleezza, qui incarne tout de même, ne l’oublions pas, la féminisation, qui doit aussi s’appliquer aux noms d’oiseaux.

17 novembre 2004

Départager

À propos de la confrontation entre partisans du oui et du non au projet de Constitution européenne, on entend dire au Parti socialiste que le vote des militants va départager non pas Laurent Fabius, mais ses idées, de celles de ses opposants.

Départager dérive très clairement de partage et celui-ci, plus étrangement, vient du verbe partir, non pas au sens moderne de « s’en aller », mais bien de « diviser, séparer », qui survit seulement dans l’expression avoir maille à partir, mystérieuse si on ignore que la maille était la plus petite monnaie, donc impartageable, l’impossibilité du partage déclenchant la bagarre.

L’idée de partage étant par intention égalitaire, il arrive que les opinions confrontées — ce qui préserve l’unité — ou même affrontées — ce qui introduit une idée combative — soient réparties également. Cette répartition moitié-moitié empêche toute décision : pour dégager une majorité, on voit apparaître au XVIIe siècle le verbe départager, après re-partager, qui n’a pas eu le même succès. On imagine que, sous Louis XIV, ce « départage », comme on ne dit plus guère, et c’est dommage, était autoritaire. Sous la Révolution, c’est normal, départager change de nature : ce sont les électeurs qui sont chargés de valider ou d’infirmer une opinion ou une décision qui semble être à égalité avec son opposée.

Ceux qui départagent jouent un rôle d’arbitre. Un grand enjeu politique n’est pas un résultat sportif, mais dans les deux cas, il s’agit de faire cesser une égalité synonyme d’indécision. Ainsi, la photo qui détermine le gagnant d’une course hippique départage les deux concurrents en tête ; quand ils sont nettement séparés, tel Nicolas le galopeur (Galloping Nick) devant des concurrents à peine trotteurs, on dit : « y a pas photo ».

Y a-t-il photo entre les non et les oui à cette Europe encore en pointillés ? On le saura bientôt. Mais, malgré la nouveauté apparente de la situation, qui crée le suspens, la nécessité de départager semble normale en politique. Ainsi, François Mauriac, qui n’était pas socialiste, mais gaulliste, écrivait dans son Bloc-notes, il y a plus de quarante ans : « une alternative comme celle qui va faire hésiter tant de Français sera un pari : l’événement seul nous départagera au cours des semaines qui vont venir ». Joliment actuelle, cette phrase, mais applicable à peu près à toutes situations : Europe, Irak, partis politiques, élections : très souvent, il y a encore photo.

22 novembre 2004

Logement

Parmi les problèmes sociaux que les sociétés modernes ont à résoudre, à côté du travail, de l’emploi, l’un des plus graves, les plus urgents aussi, est celui du logement, facteur de cohésion sociale.

Logement, ce mot appartient à une série riche et ancienne, dont les premiers éléments sont loge et loger. Ce sont les témoins d’une civilisation précise, celle des Francs venus en Gaule du Nord et qui ont donné leur nom magnifique — les « hommes libres » — à la France. Logement est donc un vocable germanique, présent en Allemagne, en Scandinavie, qui a fourni l’allemand Laube, l’anglais loft, bien connu en France, le français loge après le latin médiéval lauba, passé en plusieurs langues, et j’en passe. Mot européen, donc, qui ne signifiait pas « maison, logement », mais simplement « abri, auvent », ou même « cabane de branchages ». Le verbe loger, au XIIe siècle, est militaire, le logement étant alors le campement d’une troupe. Cela traduit les civilisations de ces populations nomades et guerrières qui parcoururent un Empire romain délabré avant de fixer politiquement plusieurs pays européens — ce qui est le cas des Francs en Gaule.

Mais on n’en était pas encore à la civilisation urbaine, et c’est justement lorsque les grandes villes se développent, au XVIIe siècle — elles avaient réapparu, très rares, au Moyen Âge, et se multiplient avec la Renaissance —, que loger et logement changent de sens. La pierre remplace la hutte ; la ville, héritière de l’urbs romaine (d’où urbain et urbanisme) remplace le campement, la maison remplace l’abri : les mots enregistrent cette évolution. À côté de logement est apparu logis, aujourd’hui un peu vieilli, alors que sans-logis, comme sans-abri et SDF, où il s’agit hypocritement de « domicile fixe », sont malheureusement très actuels.

Logement est un mot double : concret, il rejoint habitation, maison, demeure, appartement, pièce, à condition qu’elle soit logeable, c’est-à-dire « habitable ». Loger une personne, une famille, c’est déjà un problème : trouver un abri acceptable pour ceux qui n’en ont pas. Problème d’argent, on s’en doute. Mais loger une population, c’est une autre paire de manches : pourtant, on ne parle de politique du logement, en français, que vers 1945 : il faut reconstruire la France Pour loger, il faut construire ; si on ne construit que pour ceux qui peuvent financer la construction, beaucoup restent sur le carreau. D’où des expressions nécessaires, celles du logement social, qui succéda à l’habitation à loyer modéré, la fameuse HLM, qui date d’un demi-siècle, ou celle d’aide au logement.

Logement humanise la technique ; sans neutraliser les différences financières, car le prix des logements s’envole, on le sait, ce mot cherche à les corriger, à les atténuer, avec l’adjectif social. Enfin, logement conduit à logis, qui a un côté intime et rassurant et n’exclut pas le rêve : on appelle l’imagination la folle du logis. De l’imagination, il en faut, pour améliorer une situation lamentable.