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1er décembre 2004

Question

Poser des questions, exercice auquel les auditeurs viennent de se livrer, voilà une situation quotidienne, car chaque fait nouveau, chaque réponse à une question, pose de nouvelles questions.

Le référendum du PS posait cette question : « Faut-il ou non soutenir le projet de Constitution européenne ? » Qu’une majorité de militants réponde oui à cette question ne supprime pas les problèmes soulevés, la réponse est une option, un choix, pas une vérité. Le jugement d’appel qui réserve l’avenir de M. Alain Juppé répond à une autre question et en pose… Et on pourrait continuer ainsi.

Question est souvent proche de problème, mot qui vient du grec et qui évoque les difficultés à venir et au-devant desquelles on va : pro-ballein, « jeter devant ». Quant à question, c’est le dérivé latin du verbe quaerere, « chercher » — on disait quérir. Initialement, la question est une recherche, une enquête, une interrogation, et même un interrogatoire, avec ce que cela peut comporter de violence : la question, en droit criminel, ce fut pendant quatre siècles la torture.

Question politiquement incorrecte : est-ce qu’on torture encore pour obtenir la réponse à une question, militaire ou policière ? Demandez à Amnesty International, pour voir.

Heureusement, il existe des questions pacifiques et innocentes. La question est même au cœur de la recherche et de tout exercice de la raison. Quand on dit : « il en est, il n’en est pas question », cela signifie simplement « on va en parler ou pas », « envisager ou non le sujet en question ».

La question commence avec ce qui nous concerne tous et toujours. Malgré d’infinies répétitions, celle que pose le jeune Hamlet : « être ou ne pas être », reste inusable et fondamentale. Les réponses sont relatives, provisoires, précaires ; les questions sont éternelles et accompagnent toute vie. Ce qui ne signifie pas que la seule réponse soit la mort : c’est le couple question-réponse qui fait marcher la machine.

On notera que l’autorité, la violence, la tyrannie, la dictature refusent toute question : elles disent toutes : pas question, c’est hors de question. Dans le langage, évacuer les questions, c’est dire « non ». La démocratie, en revanche, pose les questions, plus ou moins bien, d’ailleurs : élections, scrutins, référendum peuvent y répondre par « oui », par « non », par « j’ai pas compris la question ».

Puisque je suis obsédé par les mots, une dernière question. Pourquoi diable réserver le mot sacre à un officier corse mégalomane — pardon, cher Bonaparte, assassiné par un empereur, qui était toi-même — et aujourd’hui à un chef de parti ambitieux[83], alors que ce mot liturgique du XIIe siècle devrait comporter l’idée de sacré ? Question à mille euros, dont une réponse est simple : sacre n’est ni laïque ni républicain. À bon « UMPereur », salut !

2 décembre 2004

Homophobe

La formation des mots, à peu près logique en français jusqu’au XXe siècle, est aujourd’hui devenue aberrante. Exemple éclatant : les mots homophobe et homophobie, qui donnent à la loi antidiscrimination une partie de son importance.

L’élément homo-, largement international, vient du grec homos, qui ne signifie que « semblable, pareil, identique » : ce qui est homo-gène contient des éléments « du même genre » ; homo-logue, c’est « le même rapport (logos), la même proportion ». Quand l’allemand et l’anglais, langues où la psychologie des comportements humains est étudiée à la fin du XIXe siècle (sans trop de tabous), créent le mot homosexuel, le terme est clair : il constate que la pulsion sexuelle peut être dirigée vers des personnes du même sexe, à la différence de la situation majoritaire, désignée par le mot hétérosexuel, qui apparaît après homosexuel, on peut le noter. Comme d’habitude, nos civilisations machistes ont donné plus d’importance aux hommes qu’aux femmes, en matière d’homosexualité aussi. Mais, on le sait, les appellations péjoratives et insultantes ont déferlé : inutile de les rappeler ; mais certaines existaient bien avant le mot homosexuel (on parle des tantes dans Balzac). Toutes traduisaient une hostilité bornée. Ce sentiment lamentable de rejet, il fallait bien le désigner, ne serait-ce que pour le combattre.

Les composés de l’adjectif sexuel sont nombreux : homo-, hétéro-, inter-, trans-, psycho-sexuel, et d’autres. Et puis, combiner homosexuel de manière claire et logique avec un élément exprimant l’attitude hostile à l’égard de cette réalité était difficile : homosexuelophile ou phobe, ça le fait pas, comme on dit. Donc, à la manière de la langue anglaise, qui n’y va pas par quatre chemins, on a coupé, tranché, tronçonné — les syllabes, j’entends —, au mépris du sens des éléments hérités, qu’ils soient grecs ou latins. C’est le pragmatisme, l’utilitarisme qui se moquent royalement de la logique, en matière de mots. Alors, allons-y Alonzo, on dira homophobe, qui devrait signifier « la peur ou la haine du semblable », alors qu’il correspond tout au contraire à la haine et la peur du différent. Les homophobes s’appelleraient mieux hétérophobes. Il est vrai qu’on dit aussi téléthon, qui n’est pas l’expédition d’un poisson à distance, mais un marathon télévisé, et on dit handisport, où handi n’est là que pour handicap, lui-même peu compréhensible. Vous allez voir que nous aurons droit à la handiphobie. Aujourd’hui, on rapproche le sexisme, discrimination antifemmes (on ne dit pas gynécophobie), et l’homophobie. Mais les mots ont moins d’importance que ce qu’ils signifient. Ce qu’il faut combattre, dans ce mot mal foutu, c’est une idée détestable, celle qu’exprime l’élément — phobie, et qui s’applique à des groupes humains qu’une majorité sûre d’elle-même condamne. Les humoristes, privés d’un thème trop facile, se gourent : qu’ils apprennent à faire rire plus intelligemment ! On peut rire de tout, disait Desproges, mais pas avec n’importe qui, et plutôt de soi-même que des autres.

8 décembre 2004

Afflux

Refusant de se laisser assombrir par les nouvelles littéralement empoisonnantes de l’actualité internationale, il semblerait que, dans les frimas hivernaux du Nord ou sous le soleil méridional, les Français — et sans doute leurs voisins — affluent vers les achats et les commerces à l’approche des fêtes.

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83

Le ministre Nicolas Sarkozy venait d’être élu secrétaire général par l’enthousiasme militant de l’UMP, parti naguère chiraco-gaulliste.