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Ce qui devrait être célébration ou réjouissance, en un mot festif, est surtout une occasion de stimuler une économie passablement essoufflée, mais sûrement pas de créer de nouvelles façons de réagir. « Imaginaire collectif » mou, décidément. Donc, nous affluons vers les grands et petits magasins, réels ou virtuels, de proximité ou non, pour consommer plus ou mieux et, heureusement aussi, pour offrir. Afflux évoque clairement le flux, image de l’eau qui coule. Le verbe fluere, « couler », nous a légué le fleuve et l’affluence, les fluides et, donc, l’afflux.

Il y a dans les afflux de capitaux et, en général, d’argent, comme dans les affluences humaines, une idée de passivité, de mouvement naturel et subi. Mais la vie, nous le savons bien, n’est pas un grand flux tranquille.

Avant que le mot affluence n’évoque des flots humains avides de biens matériels, il avait concerné, tout naturellement, l’eau, puis le courant électrique — courant lui-même vient de l’idée d’eau courante. Quant à l’image de la marée, elle est passée dans les mots flux et reflux, qui s’appliquent assez bien au rythme cyclique des courants humains. En décembre, chez nous, c’est l’afflux vers les commerces, vers la neige ou vers les soleils tropicaux, réalités naturelles, contradictoires d’ailleurs ; en janvier, en général, c’est un reflux. Les migrations des humains et de l’argent, comme les marées, montent et descendent, alors que les flux coulent dans un sens : les rivières ne remontent pas vers leur source. Quand l’affluence se transforme en frénésie d’achat, cela fait tourner la machine : serions-nous l’eau des conduites forcées qui alimentent les turbines économiques ? Triste constatation ; on préférera voir dans l’affluence et l’afflux évoqués ici l’effet d’un désir honorable : une fois par an, améliorer un ordinaire insuffisant et aussi faire plaisir aux autres et, pensent les adultes naïfs, aux enfants. Voire… Où en vient-on, avec ces flux ? À l’idée que la passivité de l’eau qui suit la pente n’est pas de nature à créer des idées : celles-ci n’affluent pas toutes seules.

13 décembre 2004

Récidive

Quand le mot apparaît, la récidive est une affaire médicale. Le terme, qu’emploie Ambroise Paré, est calqué sur le latin, langue qui dominait alors la médecine. Hors de ce domaine, recidivus qualifiait tout événement répété, et cet événement n’était pas positif, puisque le verbe recidere vient de cadere, « tomber ». La récidive s’est distinguée de la rechute ; celle-ci est un nouvel accès d’une même maladie, alors que la récidive suppose une nouvelle infection provenant du même germe. Cependant, récidiver, puis récidive sont rapidement passés de la maladie, subie, à la délinquance, à quoi correspondent des actes volontaires. Ce sont des mots accusateurs, renforcés par le dérivé récidiviste, qui n’apparaît qu’au milieu du XIXe siècle et qui a abouti récemment à multirécidiviste, mot fort savant pour une réalité lamentable, que l’argot ancien exprimait par l’image du cheval de retour.

Le droit pénal se doit d’être précis : c’est pourquoi on ne devrait parler de récidive que s’il y a eu auparavant condamnation, et condamnation définitive, sans appel possible. Dans la langue courante, on ne parle guère de récidive en matière de contravention : sinon, nous serions tous plus ou moins récidivistes. En fait, seuls les délits graves et surtout les crimes répétés méritent d’être dits récidives, sinon par plaisanterie.

La récidive pénale n’est pas une plaisanterie : elle suscite la crainte, et soit la tentation d’aggraver les peines, soit le désir de protection de la société, par précaution. Que faire du criminel qui remet ça après avoir purgé — comme on dit — sa peine ? Or, la récidive ressemble à une rechute de maladie, ce que l’histoire du mot suggère : c’est alors l’idée de danger permanent, quand le crime est le résultat, possible ou probable, d’une pulsion irrésistible. Le criminel est alors un bourreau victime, écartelé entre droit pénal et psychiatrie. « Surveiller et punir », on a rappelé la formule de Michel Foucault ; aujourd’hui, on cherche avec grande difficulté à surveiller et guérir, on appelle cela « réinsertion ». L’idée du bracelet électronique est certainement plus civilisée que celle des chaînes aux poignets — qu’on appelait les bracelets, les petits bras, avant les petites mains, menottes. Surveiller sans punir au-delà de la peine. Mais aucune répression ne résoudra la tendance à la récidive. Prévenir la récidive devrait être moins difficile que prévenir un premier délit, puisqu’on connaît la nature du mal. C’est tout le système répressif qui est sans doute à revoir, pour redonner à la lutte contre la récidive son aspect médical, et susciter une thérapeutique.

14 décembre 2004

Psychiatrie

Il y a plus d’un siècle, ce qu’on appelle fait divers envahit les médias. Le fait divers criminel correspond dans la presse au tristement fameux « du sang à la une ». Mais nous ne sommes pas revenus aux crieurs de journaux d’autrefois. Au XXIe siècle, le fait divers peut être l’occasion d’une réflexion, plus ou moins sérieuse, sur une réalité nouvellement perçue et nommée : le « phénomène de société ».

Ainsi, les deux meurtres horribles de l’hôpital psychiatrique de Pau[84] attirent l’attention sur les difficultés — on dit « la misère » — du secteur psychiatrique, dénoncées depuis longtemps.

Psychiatrie, voilà pour inquiéter ; c’est que le problème de la folie, mot aujourd’hui banni de la science, obsède à juste raison. L’étude de la pathologie de l’esprit fut appelée Psychiatrie en allemand, au début du XIXe siècle. La médecine, depuis l’Antiquité, tentait de comprendre les troubles mentaux, afin de les soigner ; mais la connaissance du corps humain était insuffisante. C’est la rencontre des progrès de la physiologie et d’un certain humanisme, il y a environ deux cents ans, qui a déclenché la prise de conscience des conditions tragiques des malades mentaux, soit abandonnés, soit enfermés dans des asiles-prisons, enchaînés ou neutralisés par la camisole de force. L’apparition du mot psychiatrie en Allemagne, en France, en Italie, en Angleterre, correspond à un effort pour moraliser l’action répressive de la société sur ces fous appelés « aliénés », puis, plus objectivement, « malades mentaux ». On sait l’incroyable succès du mot grec psukhê, « le souffle », puis « la force vitale » — comme le spiritus latin, qui a donné esprit — ; plus discret, l’élément final, tiré de iatros, « le médecin », qu’on retrouve dans gériatre, pédiatre

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84

Deux soignants avaient été agressés et assassinés par un malade violent.