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La médecine du corps et celle de l’esprit, ou, si l’on préfère, de l’âme, ont pris un aspect social. Qui dit social dit économique. Une société civilisée se doit de financer un système de santé appliqué aux maladies de l’esprit — névroses et, justement, psychoses. Une deuxième mutation de la psychiatrie a eu lieu, il y a une quarantaine d’années. Après l’« antipsychiatrie », le domaine s’est humanisé, mais cela impliquait d’autres mesures que l’hospitalisation. La psychiatrie n’est pas tellement malade que la société elle-même l’est. La psychiatrie ne devrait pas avoir besoin de ces signaux de détresse que sont les drames et les crimes.

20 décembre 2004

Raz de marée

Après la catastrophe sismique qui vient de frapper les rivages d’Asie du Sud-Est, on se retient de parler de « raz de marée » électoral en Ukraine, ce qu’on aurait sans doute fait en d’autres circonstances.

On emploie en français l’expression raz de marée depuis plus de trois siècles. Nous avons tous entendu parler de la pointe du Raz et du raz de Sein, l’île de Sein et la pointe en question engendrant un fort courant. Raz, ce monosyllabe orné d’un z final, qui n’a rien à voir avec le surmulot, est d’usage restreint. On ne dit pas : « méfiez-vous de ce raz », mais « du courant » ; pourtant, le raz est tout simplement un courant marin.

Le raz de marée est une énorme vague déferlant sur un rivage, et qui s’explique par une secousse tellurique ou volcanique sous-marine. Ce genre de vague s’appelle en japonais tsunami, « vague (nami) de port (tsu) », ce qui souligne qu’on envisage ce phénomène par les ravages qu’il provoque sur le rivage. Raz de marée exprime en français le même phénomène meurtrier, mais le mot raz, employé seul, ne désigne qu’un courant marin violent dans un passage étroit. Ras, alors écrit avec un s, se trouve en français dès le XIVe siècle ; le mot est pris à la langue bretonne, qui l’avait emprunté au dialecte normand. Mais ras venait de plus loin : les Vikings l’avaient apporté avec eux en envahissant la Normandie et il était resté dans le parler gallo-roman de cette région, après la disparition de leur propre langue. Ce terme scandinave désignait au figuré une course agressive, un assaut, ce qu’on retrouve dans l’anglais race, « course », et il est facile de remarquer que courant, en français, exprime la même idée. C’est donc la violence dangereuse de l’eau qui est en cause, point commun entre courant et vague.

La catastrophe d’hier souligne la fragilité d’un équilibre : celui de cette surface terrestre que nous devons partager. Deux plaques tectoniques qui bougent, une éruption, événements mineurs à l’échelle de la planète, et ce sont des dizaines de milliers de morts : l’Homme, espèce pourtant exceptionnelle et active, est décidément tout petit.

Les médias parlent d’apocalypse, à propos de cette tragique violence naturelle. Mais apocalypse veut dire autre chose : une révélation de ce qui était caché, en grec kaluptein. Le menaçant texte biblique de saint Jean voulait révéler un cataclysme à venir, une fin de monde. La terrible vague sismique révèle, en effet, que nous vivons, nous les humains, sur une poudrière que nous faisons mine d’oublier. Quant aux commentaires qui évoquent les « paradis touristiques », le raz de marée révèle que ces édens pour touristes sont menacés, encore qu’ils sont en toutes circonstances d’assez tristes tropiques pour leurs habitants.

27 décembre 2004

Humanitaire

Par une réaction indispensable à un désastre exceptionnel, les pays épargnés par le tsunami doivent apporter une aide à ceux qui sont frappés. Cette aide est qualifiée d’humanitaire, ce qui peut paraître évident, puisque ce sont des êtres humains qui ont été frappés.

Parmi les dérivés latins de homo, humanus, « humain », est très ancien. Humaniste n’apparaît qu’au XVIe siècle ; humanitaire avec le romantisme, et on n’est pas étonné de le lire sous la plume du généreux Lamartine. Tous ces mots faisaient référence à une conception abstraite des sociétés humaines.

Ainsi, seuls les sentiments, les idées générales étaient appelés humanitaires, ce qui équivalait à philanthropique, qui parle d’amitié pour l’être humain. À propos, on peut rappeler que la langue grecque et le latin avaient intelligemment deux mots différents pour « être humain » et pour l’individu du sexe masculin. Un seul mot en français, c’était une façon d’effacer les femmes, par l’ambiguïté du mot homme. Humain, humaniste et, donc, humanitaire ont l’avantage d’être bisexués.

L’adjectif humanitaire est passé des bons sentiments de la philanthropie à l’action efficace, il y a moins de quarante ans, quand on s’est mis à qualifier ainsi l’aide à des populations frappées par une violence massive, violence naturelle — c’est le cas aujourd’hui — ou, par un triste paradoxe, violence voulue par d’autres êtres humains, en cas de guerre ou de persécutions ethniques : morts, qu’on ne ressuscitera pas, deuils, qu’on ne consolera pas, et aussi misère, désarroi, risques d’épidémies, pour des centaines de milliers de nos semblables. L’action humanitaire a existé, bien sûr, avant d’être nommée ; mais elle restait exceptionnelle, bien qu’au XIXe siècle, les horreurs de la guerre aient suscité la « Croix-Rouge ». Il y eut donc, après la Seconde Guerre mondiale, une aide, des interventions, des actions humanitaires. Puis, on parla de convois, de couloirs, de matériel humanitaires. De plus en plus concret, ce mot : l’humanitaire est devenu un domaine, une organisation, une action collective, internationale, de sauvetage. Toujours insuffisante, certes, et il est facile de critiquer, l’aide humanitaire a le mérite d’amorcer une solidarité concrète entre ces êtres humains qui s’ignorent trop souvent.

28 décembre 2004

2005

3 février, 4 avril :Maladie et mort du pape Jean-Paul II.

8, 22 février :Réconciliation entre les États-Unis et la France.

28 avril :Essais à Toulouse d’un nouvel Airbus gros porteur.

2 mai :Proposition d’un lundi de Pentecôte ouvrable, en France.

10 mai :François Pinault renonce à son projet de musée à Billancourt.

25 mai, 22 novembre :Vote pour le projet de Constitution européenne (suite).

15 juin :Libération de Florence Aubenas, journaliste otage en Irak.