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Si je cédais à une mode que je trouve ridicule, je dirais qu’il faut se méfier de la « mammouth attitude », qui consiste à fossiliser ce qu’on veut faire bouger. On a le droit de déplorer certaines difficultés à se mouvoir, mais il faut voir, derrière le mammouth, des enfants, des ados et des enseignants, avec des convictions et un idéal bien vivants.

15 février 2005

Finies, les bisbilles apparentes, les nervosités réciproques, les vengeances mesquines, du style « frites de la liberté[89] ».

Mais pas finies, les divergences sensibles lors des retrouvailles de M. le Président Bush le jeune avec Mme Vieille Europe et ses représentants. Divergences, nous dit-on, sur l’Iran, sur la Syrie ; quant à l’Irak, quant au rôle de l’Otan, restons discret, cela pourrait fissurer la réconciliation. Mais « convergences » par exemple sur le Liban, sur la Palestine.

Les disputes, les brouilles, les discordes sont affectives, subjectives ; les divergences objectives : on peut les constater sans s’énerver. On sent bien ce qui sépare la divergence du différend. Le mot divergence est une création scientifique, que nous devons au grand astronome Johannes Kepler, qui créa en latin le terme divergentia, d’après le participe présent du verbe divergere. Diverger et converger disent l’écartement (dis) ou au contraire le rassemblement (cum) par rapport à vergere, qui exprimait la direction. Si on y va ensemble, on converge ; si on s’écarte, on diverge.

Les divergences, d’abord purement scientifiques — on les trouve en physique, en botanique — deviennent humaines et intellectuelles au début du XIXe siècle. Le mot a gardé de son origine un côté calme : la divergence des opinions, comme celles des rayons lumineux, ça se mesure, c’est un désaccord constaté. En l’appelant divergence, on suggère qu’on peut contrôler et atténuer cette différence d’appréciation.

Le gouvernement de George Bush II, sans rien changer sur l’essentiel, désire visiblement calmer le jeu : légère convergence, donc. Sur le plan anecdotique de la frite, la langue anglaise revient aux French fries. Mais il faudrait évoquer la frite belge, frite admirable, frite originelle et résistance légitime aux frites mondialisées de MM. McDonald’s, que les petits Européens avides d’obésité aiment bien, d’ailleurs. On voit par là combien la convergence est délicate, lorsque les divergences sont sérieuses : entre convergence et divergence, il ne reste qu’une position, c’est le parallélisme. On n’en est pas là.

22 février 2005

Prescrire

Ce qui m’a conduit ce matin vers le verbe prescrire, c’est l’adjectif imprescriptible, employé par Jean-Pierre Raffarin à propos de la dette morale de la France à l’égard des Juifs. Pas facile de faire le lien entre prescrire et imprescriptible, qui signifie « immuable, impossible à modifier ». Ainsi, les droits de la personne, de l’homme et de la femme, sont imprescriptibles.

On s’y retrouve un peu lorsqu’on évoque le mot prescription, qui signifie à la fois le fait d’ordonner — une ordonnance médicale, par exemple — et le fait de lever, de supprimer une obligation : quand il y a prescription, une faute passée n’est plus punissable. Rien de très logique dans les emplois de prescrire et prescription. Ajoutez que prescrire, c’est obliger, ordonner, alors que proscrire, c’est interdire.

Pourtant, l’origine des deux verbes est très voisine : scrire, c’est escrire, du latin scribere, pré-, c’est « devant », et pro, c’est « en avant ». Subtil, non ?

En latin, praescribere, comme proscribere, c’était « écrire devant, en tête, en premier », « donner un titre à un écrit », ou bien « afficher, mettre en avant ». Pour les contenus, tout dépend de la suite : on peut afficher un ordre ou au contraire une interdiction, on peut pro-poser, chercher à im-poser ou au contraire à interdire. Écrire, c’est poser.

En ce sens, la prescription-proscription, c’est la politique même. Le pouvoir, la règle, le droit, les principes s’inscrivent aux frontons, font les titres de lois : ce qui est inscrit dans le marbre est à la fois prescrit et imprescriptible. Logiquement surprenant. Mais l’usage de notre belle langue (et celui des autres, en général) se fiche totalement de la logique. Ainsi, en droit, la prescription permet d’acquérir un bien ou au contraire de faire disparaître une obligation ; dans l’usage courant, c’est un ordre, une recommandation ou au contraire la fin d’une situation.

Les réformistes rêvent de prescrire ; les conservateurs de proscrire ; les pessimistes, devant les difficultés, pensent que « c’est écrit dans le ciel » — prescription suprême —, les optimistes, qui ont cessé d’être révolutionnaires, aimeraient que les acquis sociaux soient imprescriptibles, ce que contestent les réalistes, qui comptent les sous. S’il y a une chose imprescriptible dans ce monde, c’est bien l’argent. Les débats durent depuis si longtemps qu’on a envie de dire : « Arrêtez, il y a prescription. » On dirait que la prescription elle-même est imprescriptible.

16 mars 2005

Dumping social

La fascination du français pour la langue anglaise, on le sait bien, a des zones privilégiées : le sport, l’informatique et, bien entendu, l’économie dite mondialisée, c’est-à-dire prise au « modèle » étatsunien. Dumping, le mot — la chose était ancienne — apparaît en anglais à la fin du XIXe siècle. Les économistes français sautent dessus et la thèse d’un spécialiste importe le mot. Le dumping est un diable surgi dans l’économie mondiale, avant la guerre de 1914. Le mot est créé pour dénoncer l’exportation à prix cassés : on y voyait une arme de guerre économique, puis, après 1945, une forme de guerre froide. L’idée, pas toujours exprimée, était que les prix normaux étaient ceux que fixaient les puissances économiques établies. En les cassant, les prix, les autres brouillaient le bel équilibre. Du coup, l’antidumping apparaît aux États-Unis, peu après 1920.

Il y a une quinzaine d’années, on a parlé en France de dumping social. C’était à propos des rémunérations illégales, scandaleusement basses, qui, malheureusement, n’ont pas disparu. Le spectre d’un tel effondrement des salaires hante la trop fameuse directive dont le nom — néerlandais, non pas allemand — nous pose un problème phonétique : disons donc Bolkestin, pour faire simple, et pas « -chtaïnn », pour faire allemand.

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Voir la chronique du 5 février : Réconciliation.