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3 mars, 4 novembre :Élection présidentielle aux États-Unis : Bush contre Kerry.

8 novembre :Présence militaire française en Côte d’Ivoire.

11 novembre :Mort de Yasser Arafat.

17 novembre :Départ de Colin Powell.

20 décembre :Meurtres dans un hôpital psychiatrique de Pau.

27, 28 décembre (et voir 4 et 5 janvier 2005) :Le raz de marée en Asie du Sud-Est.

Deuil

On dit que les mots, devant la mort, sont dérisoires ; le silence ne vaut pas mieux. Catastrophe, tragédie ajoutent à accident un élément subjectif, émotif, essentiel après une nouvelle aussi affreuse que celle qui nous atteint ce matin. Qu’il y ait polémique sur l’entretien des avions des vols charters, en français vols nolisés, c’est très normal. Mais ce n’est pas cela qui soulagera la peine des proches des victimes, pas plus que la sismo-ou séismologie n’apaisera les populations iraniennes désespérées après le tremblement de terre de Bahm et ses trois cent mille morts.

Ces morts violentes, dont on recherche désespérément les causes rationnelles, ont pour effet essentiel, sur le plan humain, la douleur et le deuil. Malgré le d et le l, on reconnaît à peine la douleur dans le mot deuil. Ce sont deux vocables latins différents, mais homonymes, dolus, qui expriment la peine, et aussi la ruse, la tromperie. Et en effet, on peut croire que c’est la tromperie du destin qui produit la douleur. Mais le rapport des deux idées, celle d’affliction dans le deuil, celle de fraude pénible dans le dol et les doléances, n’est pas clair, ni dans l’Antiquité ni aujourd’hui.

En tout cas, en français, le deuil n’est plus une affliction, une peine quelconque, mais la tristesse attachée à la mort des personnes aimées. Le langage trahit les attitudes humaines dans la société : le mot deuil, autrefois, faisait surtout penser aux manifestations extérieures de cette douleur : les vêtements, la couleur noire, dans notre culture — en Asie, c’est souvent le blanc — et même le cortège funèbre, par exemple dans conduire le deuil.

Mais, dès le XVIe siècle, on parle de deuil comme d’un temps d’épreuve, terrible d’abord, puis pénible et qui s’achève ou s’atténue avec le temps. Enfin, au début du XXe siècle, on a traduit par deuil le mot allemand Trauer, qui désigne à la fois la peine et le regret d’une absence.

Ce sentiment fut analysé par Freud en 1905, en montrant que le deuil est un travail de détachement et d’apaisement. Aujourd’hui, on tente d’aider ce travail intérieur et sans doute les explications rationnelles peuvent y contribuer, par exemple en diminuant l’angoisse liée au mystère et à l’incompréhension.

Car la compassion, qui dit en latin la même chose que sympathie en grec, « souffrir avec », ne suffit pas à apaiser. Le deuil, aujourd’hui mieux compris, est affaire personnelle ; ce sentiment inspire d’abord le respect.

5 janvier 2004

Ambition

Souvent, dans l’actu politique, le mot ambition scintille en lettres lumineuses.

Ambition fait d’abord penser à la recherche du pouvoir, de la gloire ou de l’argent pour soi-même. Le mot a l’avantage de l’ambiguïté, car on peut ambitionner des résultats pour tout autre chose que son propre intérêt. Tout homme politique, tout entrepreneur, tout syndicaliste a l’ambition de la réussite, mais cette réussite est collective et quelquefois désintéressée.

Il en va des ambitions comme des trains, les unes peuvent en cacher d’autres. Les ambitions, dont Montesquieu disait qu’elles étaient des sentiments utiles à la société quand elles étaient bien dirigées, sont parfois animées, poussées par un sentiment égoïste et puissant. On trouve dans le Michel Strogoff de Jules Verne ce petit portrait d’un homme, je cite, « très intelligent, mais impossible à maîtriser, et d’une ambition effrénée qui ne recule devant rien ». Si ce miniportrait vous fait penser à l’un de nos contemporains, ce n’est pas la faute de l’auteur, qui vivait au XIXe siècle.

L’ambition désintéressée, les ambitions bien dirigées vers la réussite collective, les politiques ambitieuses ne suffisent pas à faire oublier que l’ambitieux ou l’ambitieuse, espèce moins répandue, désirent avant tout leur réussite personnelle.

L’origine du mot confirme cette impression, politiquement politicienne, et la précise. Le latin ambitio vient du verbe ambire, qui veut dire « aller autour ». Et pourquoi donc cet ambitieux antique se déplaçait-il en tournoyant ? Simplement pour faire le tour et la tournée des électeurs qui lui permettraient de monter, comme on dit aujourd’hui, en puissance, assimilant les humains à des moteurs.

Cela montre au moins deux choses : l’ambitieux est actif, parfois un peu agité ; mais, hormis les situations d’absolutisme et de dictature, il a besoin des autres. Ce que dit aussi ce mot, c’est que ce sentiment dévorant conduit à bouger sans cesse : amb-ire, « aller autour », un peu partout, à droite et à gauche — ça s’appelle ratisser large. « À l’américaine ! », disait Tati dans Jour de fête. Ce qui suggère le surnom de Speedy. Remarquons que l’ambition, ça commence par un mouvement tournant ; or, l’ambitieux ne peut se contenter de tourner autour du pot. Il arrive toujours un moment où il se dirige tout droit vers son objectif. Alors l’ambition n’est plus ambi et se transforme en tir direct.

9 janvier 2004

Euthanasie

Euthanasie est un mot discutable, mais clair, à condition de savoir que thanatos signifie en grec « la mort » et que le début du mot, comme dans eu-phonie ou eu-phorie, correspond à « bon, bien ». Ce terme grec, thanatos, est apparenté à un verbe sanskrit signifiant « s’éteindre, disparaître progressivement ». Ce serait donc un eu-phémisme, une « parole douce » pour une réalité insupportable. Un autre verbe, plus direct et plus dur, exprimait la fin de la vie : c’est lui qui a donné le latin mors, mortis.

Dans les mythologies, la mort est divinisée. Le dieu Thanatos était représenté comme un vieillard drapé de noir, et opposé au jeune et bel Éros, dieu de l’Amour et symbole de vie. Affaire masculine, comme on voit. On peut penser que le sentiment religieux est en grande partie une réponse à l’angoisse devant la mort. Une autre réponse est l’idée de « bonne mort », disons plutôt de « mort délivrance », seul remède à la souffrance de l’agonie. Cette idée apparaît en français à l’époque où la « philosophie » de l’époque des Lumières, le XVIIIe siècle français, met en cause les attitudes traditionnelles, en recherchant, par exemple, des solutions au problème inévitable et terrible de la mort. C’est l’art de rendre la mort douce, d’apaiser les derniers moments lorsqu’on ne peut plus guérir, lorsqu’on renonce à l’acharnement, à l’obstination déraisonnable, dit le conseil de l’ordre, après les soins « palliatifs ». C’est dans une publication chrétienne, le dictionnaire des jésuites de la petite ville de Trévoux, que le mot apparaît en français pour la première fois. Idée sans doute prématurée, car il fallut attendre plus d’un siècle pour que le mot se répande grâce à la traduction française d’un ouvrage en anglais, par le docteur William Munk : Euthanasie — euthanasia — ou traitement médical pour procurer une mort facile et sans douleur. C’était en 1888. La médecine britannique est aussi la responsable de palliative care, ces soins qui pallient, c’est-à-dire « cachent, recouvrent d’un manteau », pallium en latin, les peines et les douleurs de l’agonie.