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25 février 2004

Agriculture

De nombreux mots définissent l’activité qui, grâce à la maîtrise des plantes, nourrit l’espèce humaine ; ces mêmes mots expriment le milieu humain qui produit notre nourriture. Certains, comme agriculture, agriculteur, viennent du latin ager, « le champ », la campagne exploitée, qui s’opposait à urbs, « la ville ». Rus, ruris, qui a donné rural, avait à peu près le même sens. Ager vient de loin ; il représente une racine indo-européenne appliquée à tout espace cultivé. Autant dire que l’ager latin supposait la culture des plantes : de fait, la langue latine a créé le mot agricultura, repris dans les langues modernes, en français il y a sept siècles.

Il faut remonter beaucoup plus haut, à l’aube de l’Histoire, pour saisir l’apparition de l’activité agricole. Quand la cueillette, la pêche et la chasse, qui se bornent à prendre et à consommer, cèdent la place à un système qui choisit, améliore, fait pousser les plantes, à côté de celui qui choisit, sélectionne et élève les animaux — l’élevage —, c’est tout simplement la fin de la préhistoire et le début de l’Histoire. Révolution néolithique.

Désormais, existent deux sortes d’êtres humains, ceux qui produisent et ceux qui se contentent de consommer. Entre producteurs et consommateurs, il y a le commerce. Quelques millénaires plus tard, et malgré la révolution industrielle, la culture et les cultivateurs sont encore majoritaires dans les pays qu’on dit émergents. Bien que minoritaires, on le sait, dans les pays industrialisés, les gens de la terre, les gens « du pays » — paysans —, font manger ceux des villes.

L’affrontement actuel entre production agricole ou élevage et grande distribution cache mal une série de mises à mal : celle de l’artisanat par l’industrie, celle du commerce de proximité par les « grandes surfaces », celles de la culture et de l’élevage traditionnels par l’agroalimentaire — où on a du mal à retrouver ager, le champ, le milieu rural. Rien à faire, nous dit-on, comme pour la mondialisation économique libérale ; c’est l’Histoire, comme si l’Histoire n’était pas faite de choix, mais de hasard et de nécessité.

À l’origine de l’agriculture, il y eut pourtant des choix : par exemple, parmi les graminées, le choix de celles qui allaient devenir les céréales. Des modifications progressives, respectueuses — par force — de la nature, et non pas des productions massives dans la recherche exclusive du profit, surtout pour les intermédiaires. Ce que dit agriculture est toujours à entendre : culture, développement mais aussi respect (le mot est apparenté à culte) et ager, le champ, la campagne, la nature qui tolère ce cher prédateur, l’Homme.

1er mars 2004

Motion (de censure)

Motion rime avec émotion. Ce n’est pas un hasard, puisque l’un et l’autre, avec commotion et locomotion, procèdent de dérivés latins du verbe movere, « mouvoir ».

L’idée de « mouvement » est toujours restée présente dans ces mots, mais, si émotion est passé dans le vocabulaire des sentiments, motion, le mot-centre, était un peu fatigué. Depuis le XIIIe siècle, il exprimait simplement le mouvement, puis, jusqu’au XVIe siècle, un mouvement d’insurrection, quand l’« émotion » devant un pouvoir qu’on ne supporte pas aboutit à une révolte, appelée émeute. C’est parce que le mot français, au sens d’« impulsion », a été englobé dans la langue anglaise lorsqu’on parlait encore français outre-Manche. Devenu par la vertu d’une phonétique insulaire « mocheun’ », le mot a été employé dans la politique parlementaire, dont on sait que les Anglais furent les inventeurs. La « mocheun’ » devint une proposition faite dans une assemblée pour pousser ou bousculer une majorité. Trouvant l’idée excellente, la langue française, peu avant la Révolution qui s’annonçait, reprit cette motion-là. Comme le pouvoir, dans le système parlementaire, appartient à une majorité élue, la motion s’accommodait d’une autre idée régulatrice, celle d’une critique, issue d’un jugement négatif. Or, le magistrat romain chargé d’établir le cens, qui est l’assiette de l’impôt, s’appelait le censor et s’était trouvé juge des déclarations mensongères. Le censeur et sa censure sont à l’origine chargés de surveiller, de critiquer, éventuellement de sanctionner. Carton rouge, si l’on veut.

Mais la censure, colorée par une rigueur religieuse et morale castratrice, a mal tourné, y compris en psychanalyse où elle est responsable des refoulements. En politique, c’est le contraire : la motion de censure pourrait susciter le retour du refoulé. Le mot censure ayant suivi d’autres chemins, on pourrait préférer la « motion critique », la « motion ras-le-bol », la « motion, vous charriez, les mecs » à cette vieillotte motion de censure.

Reste motion, mot qui remue, secoue, bouscule, met en cause, proteste, discute, ce qui est le rôle d’une minorité parlementaire, pendant que la « gauche de la rue » dénonce les effets de la boxe sociale, le KO, sinon le chaos. Protégé par son statut majoritaire, le pouvoir, ces temps-ci, n’est pas poussé à la démission, mais à prendre conscience que tout le monde n’est pas d’accord avec lui. Je le suggérais en commençant, on pourrait parler d’une « émotion de censure », forme psychologique de la manif, qui est toujours critique.

2 mars 2004

Adversaire

Dans un univers politique étatsunien apparemment simple, puisque deux tendances politiques, seulement deux, parviennent à s’exprimer, des élections dites primaires (primary) servent à sélectionner un candidat. Opération quasi achevée, en ce qui concerne le parti démocrate, puisqu’un J.F.K. bis est désormais désigné par la plupart des États de l’Union, pour s’opposer au tenant légal, sinon légitime, du titre, le George Bush bis, et fils, occupant de la « Blanche Maison ».

On pourrait dire que John Kerry a été challenger, en français adversaire. Adversaire très probable de George W. et de nul autre, car l’idée d’un candidat républicain différent ne semble effleurer personne. Tel Mac-Mahon, le président américain, lutteur évangéliste de Dieu et du Bien, semble s’en tenir au slogan de la foi en soi, qui accompagne la foi en Dieu de tous les intégristes : j’y suis, j’y reste.