Le déficit de confiance est plus grave encore que le déficit budgétaire. Visiblement, les invocations du genre « ayez confiance » ne suffiront pas à le combler.
En politique, la confiance se borne trop souvent à la confiance en soi, alors que ce sont les autres, les citoyens, qui doivent créer et porter cette confiance. Mais gardons confiance : la France ne s’ennuie plus, elle s’énerve.
Peur
Après les États-Unis et plusieurs pays du tiers-monde, l’Europe est en train de vivre un cercle infernal, celui de la menace du sentiment de danger et de la réaction, individuelle et collective, à ce sentiment. C’est là qu’apparaît la peur, ou du moins le mot peur, et qu’elle est évoquée. Selon Jean-Pierre Raffarin, c’est la première victoire du terrorisme. Mais évoquer la peur, ne serait-ce pour la dénoncer, est-ce vraiment nécessaire, lorsque la peur n’est pas ressentie ? Le terrorisme désigne clairement une politique de peur ; il mène en fait une politique de mort.
La peur, donc, a mauvaise réputation, et peut-être que ce mot, réduit par rapport à son origine latine, pavor — en fait, pavorem, l’accusatif —, garde le souvenir d’un sens très fort, plutôt l’épouvante, sentiment qui paralyse. En latin, la peur suscite l’idée de coup : pavere, « avoir peur », était apparenté à pavire, « battre le sol », d’où vient paver.
Peur, ou frayeur ? Effrayer est un montage ; il vient du préfixe ex-, qui est latin, et du radical germanique d’où procède l’allemand Friede, « la paix ». Précisément, le terrorisme pratique la destruction de toute paix.
S’agissant d’une menace réelle et collective, la peur est contagieuse : on peut alors évoquer la peur panique. Mais l’évolution du mot panique, tiré du grec, est si étrange (Pan n’est pas un bruit, mais un dieu) qu’il mérite une autre chronique.
La peur, comme la panique, est paralysante. Elle interdit les réactions efficaces, elle affaiblit la raison ; le plus souvent, elle oublie sa raison d’être, qui est la crainte d’un mal précis. Une expression ancienne dit : plus de peur que de mal, exprimant la disproportion entre la cause — la prise de conscience d’un mal probable ou certain — et l’effet.
Peur, sous sa forme primitive, pavor (le v est conservé dans épouvante, qui dit la même chose en pire), est l’un des mots les plus anciens de la langue française. Nous vivons avec depuis un millénaire et l’idée même de « peur » est évidemment plus ancienne.
On peut avoir peur de la peur : les psychologues et les philosophes ont abondamment commenté ce sentiment et Joseph de Maistre en a exprimé les contradictions en parlant de « la toute-puissante faiblesse de cette passion qui semble souvent avoir plus d’emprise sur nous à mesure qu’elle a moins de motifs raisonnables ». Les motifs raisonnables d’avoir peur, après les attentats de Madrid et diverses menaces, sont évidents : c’est peut-être pour cela qu’on n’observe guère, me semble-t-il, ce syndrome dans la population française. Les déclarations officielles reviennent à cette affirmation perverse : « il y a lieu d’avoir peur, mais avoir peur, c’est perdre la bataille ; soyez raisonnables, ayez peur, puis surmontez cette peur ». Cela s’appelle parler à la France d’en bas !
Espagnol
Puisque cette journée est sous le signe de l’Espagne, sur France Inter, on peut tenter de clarifier l’usage de trois adjectifs qui la concernent : espagnol, hispanique et ibérique, qui ont tendance à se mêler. Une tendance générale conduit à confondre ce qui a trait à un État, à une nation souveraine, et ce qui traduit une réalité géographique, ou bien culturelle, et enfin linguistique, réalités qui diffèrent partiellement. Souvent, la partie majoritaire sert à désigner un tout : on confond souvent la Hollande et les Pays-Bas, l’Angleterre et les îles Britanniques… L’Espagne est un État souverain qui comprend la majorité d’une entité géographique : la péninsule Ibérique. Celle-ci englobe un autre pays souverain, le Portugal. L’Espagne, de son côté, contient des îles, les Baléares et, plus loin, les Canaries.
Du côté des mots, deux latinismes : hispanique et espagnol, de même origine, le latin Hispania, et un hellénisme, ibérique. Les Ibères étaient installés dans la partie occidentale de l’Europe, depuis le néolithique et avant l’arrivée des Celtes. Un vaste métissage a produit, à l’époque gauloise, une population et une langue appelées celtibères. Mots grecs passés en latin, ibère et ibérique concernent l’histoire antique et la géographie. La péninsule Ibérique englobe les réalités espagnole et lusitanienne, c’est-à-dire portugaise.
Quant à hispanique, c’est un mot qui renvoie à une culture et à une langue ; il n’y a pas de passeport hispanique. La désignation de cette langue romane, sœur du français, est délicate. L’espagnol est l’idiome de l’Espagne, c’est clair (¡claro, hombre !), mais ce n’est pas la seule langue maternelle : on parle en Espagne le catalan, le galicien et une langue totalement différente, la plus ancienne d’Europe à être encore parlée, le basque. L’espagnol d’Espagne se nomme aussi le castillan, du nom de deux provinces — aujourd’hui communautés autonomes — de l’État espagnol. Cette langue est parlée dans toute l’Amérique centrale et en Amérique du Sud, à côté du portugais du Brésil, ce qui lui donne une importance mondiale ; c’est la troisième langue du monde en nombre de locuteurs. Ce grand ensemble culturel et linguistique est nommé hispanidad, l’« hispanité » ; cependant, hispanique, en Europe, correspond bien à espagnol.
Enfin, comme certaines communautés de l’État espagnol ont une culture et parfois une langue propres, les adjectifs correspondants, catalan, galicien, basque ou encore andalou, peuvent se substituer à espagnol, comme écossais à britannique et breton, alsacien ou occitan à français. Picasso, Miró sont-ils des grands peintres espagnols ou catalans ? Les deux, Majesté, puisque l’Espagne est une monarchie avec un roi restaurateur de la démocratie.
Veste
On entend dire que le président de la République a décidé d’user son Premier ministre jusqu’à la corde. Cette image est peu aimable, mais elle est cohérente pour peu qu’on évoque un vêtement parfois difficile à porter, je veux dire une veste.
Ce mot avait une valeur plus étendue au XVIe siècle, lorsque le français l’emprunta à l’italien veste, continuateur du latin vestis, qui s’appliquait aussi bien à un vêtement souple, à un voile féminin, avant l’islam, à un tapis léger et même à une peau de serpent ! Lorsqu’un serpent mue, il renouvelle son apparence ; on ne peut pas dire que ce soit le cas pour le nouveau gouvernement Raffarin.