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Pour en revenir à la veste, c’est sous le Second Empire — époque évoquée tout à l’heure par Arnaud Montebourg[67] — qu’un échec électoral fait dire, pour ses victimes, qu’ils ont pris, ramassé ou remporté une veste. La seule explication qu’on ait trouvée pour cette expression, c’est l’emploi de être capot, aux cartes, pour « être battu, perdre ». Or, de la capote à la veste, on peut imaginer un transfert. L’explication vaut ce qu’elle vaut, mais on peut remarquer que tailler un costard à quelqu’un, locution récente, mobilise la même image. Cela suggère que vêtir, habiller, coiffer — « faire porter le chapeau » —, ce n’est pas seulement protéger du froid ou orner, ce peut être déguiser, et rendre ridicule.

Donc, veste il y a, pour la majorité législative devenue minorité régionale. Selon certains commentateurs irrespectueux, cette veste serait usée, et usable jusqu’à la corde. Pourtant, le nouvel habillement ministériel n’étonne pas par sa nouveauté : des ministres tirent leur révérence, d’autres arrivent, beaucoup changent de place, ce qui évoque les vieilles pratiques de la IIIe République, où les portefeuilles de l’Économie, de l’Intérieur, de l’Agriculture et de l’Éducation — exemples aléatoires, bien sûr — étaient confiés à des candidats récurrents. Imitant le nom d’un jeu de société britannique, musical chairs, on a parlé en français de « chaises musicales ». Cette musique, on la connaît, de même qu’on connaît le vêtement très correct des joueurs, en général des messieurs, semble-t-il. Parité dans les déclarations, inégalités dans la pratique… Va-t-on parler, pour autant, de « veste musicale » ? Notre invité voudrait étendre le jeu aux députés, qu’il convie à tomber la veste — je veux dire à dissoudre. Un faux vrai nouveau gouvernement avec une assemblée aux vestes usées, cela peut donner l’idée de tailler de nouveaux costards. Ump ! dirait Arnaud Montebourg.

31 mars 2004

Génocide

Comment trouver des mots pour exprimer l’horreur ? Et lesquels ? L’horreur de la guerre, du terrorisme, de la violence est aussi ancienne que l’expérience humaine, et toutes les langues ont des mots pour l’exprimer, sans jamais pouvoir la traduire.

Avec la commémoration d’un immense massacre, qui doit nous rappeler les responsabilités, effrayantes, des anciens pays colonisateurs, lamentables, des institutions internationales, on ne peut que revenir sur un mot créé en 1944. Cette date précède la fin du grand conflit. On dut alors chercher à exprimer une horreur que la guerre cachait, celle des camps d’extermination, celle de la Shoah. En 1944, donc, l’Américain d’origine polonaise Lemkin crée le mot genocide, à partir du grec genos. Genos exprime l’origine, la naissance, la transmission héréditaire et, finalement, l’idée de « race ». Celle-ci est passée d’une constatation familiale héréditaire de « lignée » allant des ancêtres aux descendants, à un mythe dangereux, l’existence de races humaines, comme il y a des races de chiens ou de chevaux. Cette idée fut pulvérisée par la science du XXe siècle, mais elle a longtemps traîné dans certaines têtes. À propos du nazisme et du fascisme, on parle de « bête immonde ». Quel mot trouver, alors, pour caractériser le meurtre massif, le massacre programmé d’êtres humains désignés par leur appartenance à un groupe religieux et traditionnel considéré comme ethnique ?

Le mot génocide était malheureusement indispensable. Ses inconvénients sont sa neutralité — il n’a pas l’impact de mots plus anciens, comme atrocités, massacre, extermination — et son imprécision. Dans les années 1970, le terme, appliqué avec exactitude à l’ignoble « solution finale » infligée par le nazisme à la communauté juive et aux tziganes, englobe d’autres massacres, visant un groupe humain sans caractère racial, mais national : les guerres d’extermination visant les habitants d’un pays ne relèvent pas ou pas forcément du « génocide ». On passe alors à l’idée d’ethnocide, encore plus incertaine.

L’horreur que nous commémorons est donc appelée génocide, au singulier ou au pluriel, mais le mot ne suffit pas à rendre compte de la frénésie d’inhumanité qui a saisi, en Afrique, des populations d’agriculteurs. Comment ont-elles été entraînées à tuer leurs prochains et leurs semblables, comme ils travaillaient leur champ (les ex-bourreaux disent : « On travaillait même le dimanche ») ? Derrière la folie meurtrière, on aperçoit aujourd’hui une machine à préparer les meurtres collectifs : cette machine génocidaire, adjectif nouveau, à motifs politiques et à moyens matériels précis. Un génocidaire est un bourreau. Ce n’est pas seulement le refus d’intervenir, la non-assistance à peuple en danger et plus qu’en danger, mais la préparation de massacres, qui sont en cause : il y avait des machines de guerre ; des machines terroristes, voici donc la machine génocidaire, inventée par les nazis. La vraie commémoration, ce serait, c’est la recherche de la vérité. Du moins sait-on maintenant que le génocide, assassinat d’un peuple, est un « crime contre l’humanité ».

7 avril 2004

Indemne et indemnité

Des mots qui se ressemblent, qui sont apparentés, et dont le sens est très différent, c’est fréquent. En voici un exemple : des otages japonais, en Irak, ont été libérés ; ils sont sortis indemnes de cette épreuve. Par ailleurs, des chômeurs qu’on dit « recalculés[68] » — alors que ce sont les sommes qu’on leur doit qui le sont, à la baisse, naturellement — ont vu leurs indemnités rétablies, par le jugement d’un tribunal de Marseille.

D’un côté, indemne, « sain et sauf » ; de l’autre, indemnité, qui n’est pas l’état d’une personne indemne, mais une somme d’argent, une compensation. Il y a tout de même une idée commune dans le latin in-demnis, le négatif de damnum, qui signifie « dommage, perte » et parfois « dépense ». Damnum, on connaît, c’est le mot qui a donné le verbe damner, le composé condamner et ce mot ancien qu’on n’emploie plus que dans l’expression au grand dam, « au détriment », « au grand dommage » — expression qu’on prononce souvent, mais à tort, au grand dam’ : les dames n’ayant rien à voir dans l’affaire.

Lorsqu’on est indemne, on n’a pas subi de dommage. Or, l’une des manières d’affranchir quelqu’un d’un dommage matériel est de l’indemniser. Manière insuffisante, car la véritable indemnité d’un chômeur, ce serait de lui redonner du travail. N’allons pas jusqu’à opposer l’enfer, la damnation du chômage au paradis du travail ; mais l’indemnité est encore moins paradisiaque. Le dédommagement, la compensation qu’exprime indemnité sont toujours partiels. Être indemnisé, contrairement à l’apparence des mots, manifeste qu’on est tout sauf indemne. Damned !

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67

L’invité du jour, férocement antichiraquien, comme on sait, réclamait, après les résultats des élections régionales, autre chose qu’un discret remaniement.