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J’opine.

— Il a une idée quant à l’identité de la personne en question ?

Pour encourager le serveur, je lui vote une photo en couleur de son roi, en costume d’apparat, sur un billet de cent bahts.

Il la griffe sans sourciller : plouf : in the pocket.

Faudrait écrire l’histoire d’une banknote, d’une main et d’une poche. Leur union sacrée, leur accomplissement parfait. La main en langue de caméléon, le bifton si bien vite froissable, la poche hébergeante. Un documentaire, je pourrais tourner, tellement j’ai semé de pourliches au long de ma route. Je sais tout sur la façon discrète de le tendre et celle, plus discrète encore, de s’en saisir. La promptitude stupéfiante de ce court voyage d’une fouille à l’autre. Le billet serait une plaque sensible, y aurait rien d’impressionné dessus, à ce degré de fulgurance.

Le barman traduit.

Wat Chié répond.

— Il dit que non, mais que tout devait être convenu à l’avance.

Je tire la liste des passagers de ma vague. L’explore. Beaucoup de noms asiatiques, et aussi des noms anglo-saxons. De français, seul celui du vieux Victor. Excepté le sien, je suis certain de n’avoir jamais lu ceux de ses compagnons de voyage.

Je réprime un bâillement nerveux. Je m’emmerde. Qu’est-ce que je peux faire pour essayer de retrouver le père Héatravaire ? Publier sa photo dans les baveux d’ici ? Tiens, au fait, pourquoi pas ?

J’informe, via le serveur, mon homologue thaïlandais de ce désir. Il hoche la tête, l’air de dire lui aussi « pourquoi pas ? mais ne vous faites pas trop d’illusions ».

Est-ce qu’il veut bien m’accompagner jusqu’à la rédaction de Bangkok-Soir  ?

Tout ce qu’il y a de volontiers.

Il est de bonne composition, mon pote. Quel dommage qu’on soit obligé de chiquer les sourds-muets !

* * *

Il a sa bagnole, sur les portières de laquelle est écrit le mot police. Mot magique bien souvent.

En pas moins de rien, nous sommes dans les bureaux du journal. J’ai l’impression d’entrer dans une immense volière pleine de canaris.

Et bon, on rédige un texte, je confie la photo de Victor Héatravaire, en demandant qu’on ajoute « Bonne récompense à qui fournira des renseignements sur cet homme ». Mon collègue, par l’intermédiaire d’une secrétaire multiglotte, me fait savoir qu’il désapprouve ce rajout, alléguant que, consécutivement, j’aurai droit à des tas de témoignages bidons de la part des petits coquins attirés par l’appât du gain. A quoi je lui fais rétorquer que je préfère une surabondance douteuse à un silence complet.

La secrétaire en question, faut que je te fasse accomplir un détour par elle. Une beauté ! Chinoise pur fruit. Grande, mince, visage ravissant, teint légèrement rosé (un brugnon, comme disent les grands littérateurs qui ont des voix au Prix Goncourt et un compte débiteur chez leur éditeur). Son air intelligent, ses lèvres délicatement sensuelles me créent du désordre au-dessus de la ligne de flottaison. Elle me considère avec intérêt, moi je la dévore goulûment. Elle porte un tailleur noir et un chemisier rouge. Elle est coiffée assez court. Contrairement à la plupart des Asiates, elle trimbale un joli brin de poitrine et son fessier ne désobligerait pas un short très décolleté. Je lui dis comme ça que je suis perdu dans cette immense cité de cinq millions d’âmes. Ames bouddhistes, je n’en disconviens pas, mais montées sur deux jambes, et que dix millions de jambes autour de moi, qui savent où elles vont, alors que moi je l’ignore, c’est éprouvant pour un pauvre petit Français de France qui n’a qu’un tube de comprimés d’aspirine pour se défendre. Cela lui dirait-il de me servir de cicérone ? Je suis descendu à l’hôtel Oriental et n’ose en bouger, ignorant les mœurs, usages, coutumes ; redoutant la circulation, craignant la chaleur, le typhus et les morpions.

Elle a un sourire mignon, oh ! là là, je te jure que c’est vrai. Tu verrais combien elle porte aux sens, je crois que t’enfilerais ta bonne femme à sa santé, bien que tu l’eusses déjà caltée le mois dernier, en rentrant du ciné cochon.

Est-ce qu’après son travail, elle consentirait à venir me rejoindre ? Peut-être même accepterait-elle de dîner au restaurant français, tout là-haut, au dernier étage de l’hôtel ?

La Chinoise continue de sourire.

— Ce serait volontiers, dit-elle, mais je dois vous avertir que je ne suis pas une spécialiste du plaisir et que je ne couche pas.

Galant, je sais dissimuler mon désappointement (c’est le mot). Je me dépointe donc et récrie bien haut.

Que va-t-elle penser là ! Mes intentions sont pures ! Ai-je donc la tête d’un suborneur ? Répondez franchement ? Ainsi, je viendrais à Bangkok-Soir chercher de la fesse alors qu’il y en a plein la ville et qu’il faut parfois faire une grande enjambée pour ne pas marcher dessus ? Allons, allons, voyons !

Elle est rassurée par mes protestations.

Et bon, d’accord, elle me rejoindra en fin d’après-midi. Elle me demande la permission d’apporter son maillot pour profiter de la piscaille après le dîner.

Je la lui accorde sous seins privés.

J’en suis donc là de l’histoire.

Nulle trace d’Héatravaire, mais je fais diffuser sa bouille à tout hasard.

Par ailleurs, j’ai failli être écrasé par un gros chleuh tombé du onzième.

Ceci relate ma première journée à Bangkok.

Laquelle est loin d’être terminée, tu vas voir.

On ne peut pas se figurer ce qui m’arrive dans un polar !

Tu sais que si je me relisais, je ne voudrais pas me croire ?

De retour au bienfaisant Oriental, je découvre deux choses en attente : Bérurier, et un télex du vieux contenant la liste des passagers Paris-Tokyo.

L’un est rond, l’autre long.

Triste figure, le copain Alexandre-Benoît. Ronchon, taciturne, l’air de regretter Paris, sa Berthe, son bougnat favori, le beaujolais, les andouillettes de chez Prin.

— T’as des misères ? le questionné-je, bourré à craquer d’inquiétude.

— Parle-moi z’en pas, dit-il : j’ai t’eu un accident de parcours.

— T’as pas pu embroquer miss Jaunisse ?

— Au contraire.

— Comment, au contraire ?

Il est terriblement penaud, masteur Tristemine.

— J’ai beau chercher, j’pige mal c’faux mouvement. D’alieurs, c’est pas t’t’à fait d’ma faute. C’t’à cause du tube d’vas’line dont sur lequel j’ai glissé. Juste au moment d’l’enfourchement, ta donzelle. Elle voulait à la Duc Dos-au-mâle, la sœur. J’l’avais posturée conv’nab’ement, la moniche bien d’équerre, assurée su’ses coudes. Les travaux préluminaires s’étaient pas mal passés. On savait qu’ça seraye pas du cousu-main, fatal. Qu’y faudrait un p’tit forcinge discret au moment d’la bénédiction nuptiale : l’coup d’reins autoritaire, quoi. Çui qui barguigne pas. Allez, oust ! Entrez, v’s’êtes chez vous ! Elle consentait. Une vraie valiante, c’te souris, j’admets. L’genre d’guernouille qui s’croye plus grosse qu’à Elbeuf.

« Moi, bon, tu m’connais la conscience professionnelle ? Je l’ajuste à la langoureuse, lui commence un rond de bide pour qu’elle octroye mieux du frifri. J’m’étais pavané l’glandoche à la vaseline, tout bien, reluisant comme un vrai p’tit prince d’Emile et une nuit ; tout vibreur, tout piaffant : Saumur ! J’comptais lu procéder par p’tits tagadas marteleurs, comm’ av’c le maillet d’un commissaire qui prise ; bien préparer l’circuit pour l’déboulé final. J’la grimpais en danseuse, les pognes z’en haut du guidon, aérien, zélé comme un amour. Et pis v’là-t-il pas qu’en actionnant, j’fous mon panard su’ l’tube de vaseline qui jonchait. Dedieu, j’dérape comme c’serait été sur une peau d’banane, et rran ! J’pars à dame, c’est le mot ! Juste que le signor Popoff s’trouvait à l’entrée des artistes, brandi communal barde. Pas moilien d’dévier. Et heureus’ment dans un sens, que sinon j’eusse risqué de me l’péter net contre l’coin de table. L’v’là donc qui télescope miss Réglisse sans escale, tout d’une traite ! Plaouff ! Enplâtre cette mignonne jusqu’aux sourcils, directo ! L’hurlement qu’elle a poussé, j’le garde encore dans mes étiquettes ! Comme une qu’agonirait. Ce travail, Dieu d’Dieu ! Ce travail ! Ah ! espère, ell’ est pas prête de r’tourner au rondibé, mam’zelle Miss ! Sa cramouille a esplosé, littérairement ! Un claqu’ment pareil à une courroie de transmission qui saute. Dès lors elle a tourné d’l’œil, la pauvrette. Y a fallu appeler sa potesse. On l’a ravigotée au scotch, ensute coltinée jusqu’à son bidet de famille, manière qu’elle dédolore, mais mon cul ! Les ravages étaient faits. Sinistrée à cent pour cent, la chérie ! On pouvait déclencher le plan Culsec sans coup fou-rire. Ç’a été l’toubib : un vieux Chinois tout jaune, à lunettes. Et après quoi l’ambulance pour la driver à l’hosto, qu’y z’y recousent l’échancrure, lu posent des points de soudure, tout ça. Y a à faire, croye-moi ! C’est pas d’main qu’elle retrouvera son berlingot d’ jeune fille, ta madone ! Merde ! Note qu’un fois ces p’tites tracasseries passées, elle pourra vraiment s’aventurer dans l’pain de fesse. Pacequ’enfin j’en r’viens toujours, mais si tu veux faire pute, faut t’au moins avoir l’orifesse apte, non ? Cantonner dans le zobuscule chinois ça mène où, tu peux m’dire ? Désormaux, ell’s’ra gratifiée en conséquence, la p’tite démone ! Ell’ pourra signaler su’ ses brèmes que c’est du tout terrain, sans limite d’tailles ; ell’ épongera l’curé d’campagne comme l’cosaque du legs. Là qu’est passé Béru, l’bulldozer peut passer aussi !