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— Il paraît qu’on m’appelle au téléphone, dit-elle.

— Vous attendiez une communication ?

— Non, et personne ne sait que je dîne ici. Effectivement, il y a là un mystère qui, pour ne pas être de Paris, nous fait eugènesuer copieusement.

— Quelqu’un de vos relations vous aura aperçue, suggéré-je. Le monde est plein d’yeux qui vous fixent à votre insu. Allez voir ce dont il s’agit et votre lanterne chinoise sera éclairée.

Elle se lève, j’en fais autant, comme il sied à un homme de bonne éducation, lorsqu’une dame quitte la table ou y arrive, et je la regarde disparaître en direction des toilettes-lavabos-téléphones, la démarche hallucinante de souplesse et d’ondulante. Ce cul, Madame !

Ce qu’il y a d’agréable, dans les restaurants d’Asie, c’est que tout au long du repas, avant, pendant et après, on t’approvisionne en serviettes chaudes, sorties de l’étuveur, si bien que tu as l’impression de bouffer en faisant ta toilette.

Je me dis qu’on devrait procéder à une extension de la chose et organiser des parties de cul avec bidets volants à disposition pendant toutes les phases de tes galipettes. Chaque fois, tu pourrais te refaire une bite ou un palais neufs, ce qui ne manquerait pas de charme.

Me voyant seul, le maître d’hôtel français vient me faire un doigt de causette, comme quoi il est ici pour enfouiller du blé et, par la suite, aller monter sa propre boîte dans un coin des Pyrénées. La vie bangkokienne ? Ça va… Une petite colonie française, des gars sympas avec lesquels il se paie une java temps à autre en causant de l’air du pays. Les distractions ? Le scotch. La bouffe aussi, car tu trouves des langoustes grosses comme des bassets artésiens pour des prix défiant les halles de Rungis. Cela dit, il va voir des combats de boxe thaïlandaise au Palais des Sports. Très curieux. Oui, il y a les massages, mais c’est bien surfait. Il préfère chez Mme Rosine, rue de Courcelle, qui héberge des petites gagneuses bien méritantes, pseudo épouses de cadres assoiffées de vison, et qui montent au fion, l’après-midi, pour douiller les traites de leur Renault 5.

Je l’écoute en louchant sur nos assiettes où le poisson coagule dans son beurre léger.

Elle dit la messe en chinois, la mère Tieng !

Rien de plus désolant quand on se paie une croque somptueuse qu’une perruche qui déserte la mangeoire. T’es obligé de l’attendre, décemment, et tes papilles consternées regardent se flétrir les mets chargés de les enchanter.

Le maître d’hôtel me laisse pour se consacrer à une tablée de sales cons qui éclusent de la bière en clappant du homard. Rien de plus affligeant que des Ricains à table, sinon des hindous en train de déféquer.

Tout soudain, le fichtre-foutre me biche et je m’arrache pour foncer aux toilettes-lavabos-téléphones.

Les deux cabines d’acajou sont désertes. P’t-être que miss Bronze en a profité pour passer par les chiches s’annuler la vessie ?

Je m’hasarde à pousser la porte des toilettes pour dames, au risque de me faire traiter de sadique par une quelconque vieille Anglaise en réfection, mais elles sont vides également.

Peu banal, non ?

J’interpelle un loufiat chargé de vaisselle.

— Vous n’avez pas aperçu une jeune fille chinoise en tailleur noir et chemisier rouge ?

Il opine, ce concupiscent.

— Elle a été aux ascenseurs, me précise-t-il.

Il s’éloigne sans attendre que je l’interroge plus avant. Bibi, oublieux du repas, se rend au rez-de-chaussée pour demander à un branleur en uniforme ce qu’il est advenu d’une jolie Chinoise en tailleur et chemisier nani-nana.

Le branleur rétorque qu’elle a gagné la sortie fissa, comme si elle avait le feu aux trousses.

Alors, bon, je vais dehors. A droite de la porte, des préposés galonnés sont à un guichet et délivrent des bons de taxi. Est-ce qu’ils auraient aperçu une jolie nani-nanère qui, etc. ?

Ils répondent qu’oui, et qu’elle galopait comme si elle aurait eu le trou aux fesses.

Où qu’elle a t’été ?

— Elle a pris à droite, vers le fleuve.

Moi, tu me devines, même qu’on se connaît pas très bien, je coudaucorpse jusqu’à l’embarcadère. Une grosse dame jaune, coiffée d’un immense bada façon couvercle de lessiveuse, attend la prochaine navette, tandis que l’employé des billets discute derrière sa sacoche de cuir avec un bronze d’art qui représente un bonze.

Je demande à ces trois, d’une manière cantonaise, puisque c’est ainsi qu’on appelle la cantonade dans ce coin du world, je leur demande si nani nana nana nanère et ils me répondent (du moins le gars de la billeterie) qu’effectivement, la jolie Chinoise en tailleur noir, chemisier rouge, est grimpée dans un canot tomobile qui l’attendait.

Est-ce que par hasard, j’insiste, le pilote du canot ne portait-il point un short blanc et une casaque bleue à écusson ? Eh bien, oui, justement, papa, me répond l’employé. Et ça me fait bizarre qu’il m’appelle papa. Mais ça ne m’empêche pas de piger que Mr. Chakri Spân est un type curieux de nature qui a voulu en apprendre plus complètement à mon propos. Sachant que j’étais à l’Oriental, il a aussitôt fait prendre des renseignements sur moi. A su que j’y dînais en compagnie d’une Chinoise, s’est débrouillé pour qu’on appelle cette dernière au bigophone et lui a enjoint (juillet, août, septembre) de foncer à l’embarcadère. Je suis prêt à te parier la mienne contre la tienne que ma donzelle est déjà chez sa pomme.

O.K. A toi de faire, mon Tonio !

Je me rabats sur l’hôtel et mobilise l’une des exquises hôtesses de la réception pour qu’elle téléphone chez Mr. Chakri Spân, de la part de l’inspecteur chef Wat Chié, en exigeant que M. Spân vienne en ligne personnellement.

J’ai décidé que je parlerais à ce tout-puissant croquant, et je vais lui parler, dussé-je enfumer son terrier pour l’en déloger.

Effectivement, il condescend à communiquer avec Wat Chié et vient glapir en dialecte thaï ou assimilé (bien qu’Assimil n’ait pas encore sorti Le thaïlandais sans peine).

— En anglais, je vous prie, mister Chakri Spân ! le coupé-je. Je suis un confrère français du chef-inspecteur Wat Chié et je n’ai pas le bonheur de parler sa langue.

Il baragouine, dans un françouse un peu pâteux, mais néanmoins audible, bien que d’un vocabulaire restreint :

— Vous êtes le type qui est venu à mon embarcadère tout à l’heure ?

— Exactement, cher monsieur. Il est urgent que nous ayons une conversation.

— Pas le temps.

— C’est dommage.

— Quoi ?

— Je dis que c’est dommage.

— Pour qui ?

Pour vous, monsieur Chakri Spân, pour vous.

— Vous me menacez ?

— Oui.

Là, il prend ces trois aimables voyelles (tiens, à propos, je te pose une devinette : quel est le mot de six lettres qui contient cinq voyelles ? Cherche, tu trouveras la solution plus loin, grand con !) dans la poire, et elles lui font l’effet d’une casserolée d’eau froide.

Tout ce qu’il peut bafouiller, c’est de répéter sa question d’un ton effaré :

— Vous me menacez !

— En effet, monsieur Chakri Spân, je vous menace. Je vous menace de foutre la merde si vous ne me renvoyez pas immédiatement miss Tieng pour que nous terminions, elle et moi, le délicat repas que nous avions commencé. Votre français vous permet-il d’apprécier à sa juste valeur l’expression « foutre la merde » ? Ou souhaiteriez-vous que je cherche des synonymes ?

— De qui parlez-vous ? Qui est miss Tieng ?

— La personne qu’un de vos boys est venu quérir à l’embarcadère de l’Oriental.