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— Du diable si…

— Quand nous voyons-nous ? tranché-je rudement.

Et tu sais ce qu’il me dit, l’apôtre ? Oh, non, vraiment, il a un aplomb, cézigueman.

— D’ici trente minutes, à la police, dans le bureau du chef-inspecteur Wat Chié !

Et il raccroche.

Costaud, ce monsieur, non ?

Le mot de six lettres comprenant cinq voyelles de l’alphabet, c’est « oiseau » ; mais ne va pas raconter ça autour de toi, faut que ça reste entre nous.

Un qui est mort d’embêtude, c’est le brave Wat Chié. Pas besoin d’être grand clerc, comme dit mon ami Delune, pour voir que mon coup d’audace lui court sur la bite comme une caravane de fourmis processionnaires sur celle d’un pique-niqueur endormi.

J’ai dans l’idée que le digne seigneur Chakri Spân règne sur la ville et que même les flics chocotent devant lui.

La façon vigoureuse, pressante, éploreuse qu’il lui cause au marchand de cercueils. Avec des gestes, des implorances, presque des larmes et des génuflexions, peu compatibles avec ses fonctions de chef-inspecteur. Il me coule un vilain regard d’intense reproche lorsque je franchis le seuil de son burlingue, à une heure de là, car je suis tombé sur un chauffeur de taxi abruti qui m’a piloté dans des lieux pas croyables avant de me déposer devant la grande taule.

Comme il déplore, Wat Chié, que nous n’ayons aucun langage en commun, lui et moi ! Ce qu’il aimerait pouvoir me déballer son sentiment profond, crois-le ! Il m’engueule en thaï, faute de mieux, pour la satisfaction de son illustre visiteur. M’engueuler en thaï, c’est m’engueuler à si je puis dire (au grand dam des petits messieurs puristes qui vont croire que je fais un calembour, en associant thaï et œil, ces cons horribles dont je réprouve l’existence de fond en comble et vice versa, que vivement la bombe anatomique, merde !).

Je le laisse se vider.

Et le moyen de faire autrement, l’artiste ? Pendant qu’il s’écrème la bille, je prends notion de Mr. Chakri Spân. Comme la tête à Danton, il en vaut la peine. Quel surprenant personnage ! Courtaud, ventru, d’un jaune grisâtre, la peau du visage flasque, le nez énorme, les paupières gonflées comme des hangars à tennis, les lèvres négroïdes, les bajoues en cascade. Ses yeux, pour les fixer, faut aller les chercher là où ils se planquent, par-delà des boursouflures striées de violet.

Il est vêtu de sa fameuse combinaison jaune, constellée de poches rebondies comme ses paupières. Toute son élégance et ses signes extérieurs de fortune résident dans une chevalière ornée d’un monstrueux diamant que la reine Elizabeth II a dû lui céder en sous-main pour payer ses notes de gaz à Buckingham ; car y a que la couronne d’Angleterre qui en possède d’aussi mahousses.

Quand on te parle de tête inquiétante, en voici une. Spécimen rarissime. Froid dans le dos. Non seulement cet être est capable de tout, mais de plus il l’accomplit.

Un Bouddha ? Non, surtout pas. Chez nous, les branques, on se fait une fausse idée de Bouddha. On le croit ventru, adipeux, avec plusieurs bras. Ça confusionne ferme notre éduque. Bouddha, faut que tu saches, c’était un saint type. Prince converti au socialisme à l’état pur. Une espèce de Jésus. C’est ces enfoirés de Japonouilles qui le représentent mastar, Bouddha. En Thaïlande, il est bien constitutionné, méditatif, intercédeur céleste, quoi. Les hommes, faut qu’ils se raccrochent à des êtres supérieurs, tant tellement qu’ils se voient rien du tout, archi-moins que zéro. Archi-nuls. Archi-cons. Archiducs. Foireux — ô combien — sur le toboggan des jours.

Machin, là, que je te cause : Chakri Spân (je leur file de ces blazes, non, écoute !) il ferait Bouddha japonais, lui, plutôt. Voire Japonais tout court. Ainsi courtaud. Tête de cul, tu vois ? Ah ! les Japs ! Le regard qui coule verticalement au lieu d’horizontalement. Des pensées mystérieuses comme l’opium. Un pavot dans l’amarre ! Fachos d’instinct, héréditaires. Encore un kamikazé, v’là le vitrier qui passe ! Des zigs d’une autre planète. Fourvoyés, quoi ! Les Chinois, les Indochinois tu les sens terriens, pas de problos. Mais les Japs, moi, c’est dans le fondement que je les perçois. Ils me picotent l’oignon quand je les regarde avec leurs appareils photos. Pas du racisme. Ou alors de l’authentique : quand la vue te révulse. Mais je me fais des berlues. Je suis sûr que j’m’entendrais bien avec eux si j’étais japonais, moi aussi. Je m’y ferais. Hirochimour mon n’amas. La vérole aussi tu t’y fais, quand tu l’as. C’est à l’idée de l’avoir que tu te fais pas. Mais tout : le cancer, le cocuage, l’Académie, une fois qu’ils t’ont piégé, tu t’intègres. C’est humain.

Et moi, alors que le si aimable Wat Chié tartine, je prends un siège et m’assois en face de l’homme à la combinaison jaune. Il a les jambes croisées. Sa célèbre casquette à longue visière est posée sur son genou supérieur et cela compose une espèce de bonhomme difforme, presque aussi difforme que lui.

— Je me doute bien qu’il me raconte sa vie, fais-je à Chakri Spân, en lui désignant le chef-machin, mais j’ignore à quelle période il en est.

— A celle où il réclame votre expulsion de Thaïlande, me répond obligeamment le marchand de cercueils.

Il a la voix épaisse, mais qui fait des couacs suraigus en bout de phrase.

— Et sous quel prétexte, si ce n’est pas trop indiscret ?

Chakri Spân fouille l’intérieur de ses immenses narines, à la Béru et à l’instar du Gros, examine son butin avant de le déposer sur le bas de son pantalon.

— Sous prétexte que je déteste qu’on me fasse chier, mon vieux, il répond.

— Vous maîtrisez admirablement ma langue maternelle, complimenté-je.

— Je sais ce qu’il faut savoir pour parler à un Français, déclare-t-il, hautement méprisateur.

Moi, ce gus, tu me croiras si tu pourras, mais j’aimerais : lui filer mon soulier dans la bedaine, puis mon poing dans la gueule : lui éclater le pif d’un coup de talon, lui pisser dans la gueule qu’il serait forcé d’ouvrir en grand, du fait de son nez pété ; puis sauter à pieds joints sur ses couilles, ce à plusieurs reprises, et enfin le virguler par la fenêtre bien qu’on ne soit qu’au deuxième étage de l’immeuble.

— Pourquoi prétendez-vous que je vous fais chier ?

— Parce que vous me faites chier ! rétorque ce faux Chinois de merde.

— Vous ai-je causé le moindre préjudice, Mr. Chakri Spân ?

— Oui.

— En quoi faisant ?

— En essayant de vous introduire chez moi, puis en usurpant l’identité d’un policier d’ici pour me parler au téléphone, ensuite en m’accusant de rapt et en me menaçant de foutre la merde. Car, de votre propre aveu, vous m’avez menacé, exact ?

— Exact.

— Parfait. Je suis un commerçant réputé, je m’occupe de bonnes œuvres, j’appartiens au conseil d’importantes sociétés, et il est inadmissible qu’un fonctionnaire français en vacances vienne jouer les héros pour bandes dessinées au dépens de ma quiétude. En fait de quoi, je réclame votre expulsion aux autorités thaïlandaises et je vous parie n’importe quoi, vous m’écoutez ? N’importe quoi, que je vais l’obtenir.

Baisé en canard, l’Antonio chéri.

Je suis vraiment tombé sur une enclume.

Pour se payer ce mec, il faut faire appel à la main-d’œuvre étrangère, je te l’annonce ! Messire mézigue en est ulcéré plus loin que la moëlle. Je sens que même mon sperme de réputation universelle tourne vinaigre. Je suis à la limite sur le point de lui filer des coups. Il le sent, il en rêve. Je le cognerais, je te parie un kilo de pralines qu’il sortirait quelque pétard de l’une de ses abominables poches et qu’il m’en abattrait séance tenante. Son pied superbe ! Mais je me contiens.